Voici la seconde partie de ce parcours parmi quelques monuments de l’art funéraire du Pays Basque Nord. Ce choix forcément subjectif montre la qualité de ces monuments qui restent pour beaucoup d’entre eux à l’air libre, dépourvus de toute protection tant juridique que matérielle, avec les risques de disparition et de dégradation évidents.
D’où l’appel lancé aujourd’hui par l’association Lauburu en faveur d’une politique publique visant à protéger et valoriser cet aspect majeur de notre culture.
(Cliquer ici pour accéder à la Première Partie : https://www.enbata.info/articles/voyage-au-pays-des-steles-et-des-croix-diparralde-premiere-partie/)

Cette spectaculaire croix « navarraise » du cimetière ancien de Saint-Jean-Pied-de-Port est celle de Jean Louis Félix O’Kennedy. Ce capitaine d’origine irlandaise est né à Corte en Corse en 1789 et il décède en Pays Basque en 1832. Sur ce monument de haute taille, est sculptée une croix de chevalier de la Légion d’honneur impériale. Les camarades officiers du régiment de O’Kennedy lui ont en outre offert une imposante plate-tombe sculptée «pour perpétuer sa mémoire et leurs regrets». Il s’agit d’un des plus beaux monuments de ce cimetière qui pourtant n’en manque pas.


Cette stèle de 1651 est celle de la senora (dame) de Apalas à Orzaitze. Elle a évidemment un lien avec la maison Apalasia située à l’entrée de ce village et dont la façade ouvragée est connue en Iparralde.

Les croix métalliques pourraient sembler un art mineur dans le patrimoine funéraire basque. Elles ont toutes largement disparu du fait de la corrosion du fer. Le cimetière ancien de Donibane Garazi en offre une belle collection datant de la seconde moitié du XIXe siècle. Celle-ci est assez caractéristique de la production en pays de Cize, avec l’usage de cœurs aux extrémités et un sacré-cœur surmonté d’une croix en son centre. Ces croix portent parfois des boules de laiton, comme sur les balcons de fer forgé créés à la même époque.

Au pied d’une croix « navarraise », voici une belle rosace sculptée. Comme si, par-delà les évolutions de styles et de modes des monuments funéraires, le cercle de la discoïdale perdurait et résistait dans le schéma mental du sculpteur basque. Quitte à l’écraser sous le signe dominant de la croix.

En pays de Cize, les symboles de l’ancienne religion —ici soleils et étoiles— demeurent vivants aux côtés de la croix chrétienne. Un exemple parmi d’autres du syncrétisme religieux à l’œuvre dans notre pays.

Aperçu du cimetière ancien de St-Jean-Pied-de-Port. Il s’agit d’un des rares cimetière basque urbain où une population venue d’ailleurs (fonctionnaires, commerçants, militaires) fait souche et choisit souvent pour ses défunts un type de monument propre à la Basse-Navarre. Longtemps laissé à l’abandon, l’ensemble de ce site d’environ 350 tombes, a conservé sa cohérence. Pour en savoir plus https://www.terresdenavarre.fr/vieux-cimetiere-de-saint-jean

Jusqu’au XIXe siècles, stèles et croix étaient peintes, parfois de couleurs vives. Voici un exemple de remise à l’honneur de cette pratique en Pays de Garazi. A propos de cette démarche: https://www.enbata.info/articles/pour-un-art-lapidaire-basque-colore/

Toute la discrétion voilée de mystère d’une stèle souletine.

Le passage du temps n’a pas effacé l’arbalète et ses carreaux, l’épée et le bouclier du soldat. Avec la stèle suivante, ce très rare monument figure au centre de Larceveau. Sur Youtube, vous pouvez écouter le père Marcel Etchehandy présenter en euskara ce Centre et plusieurs de ses monuments. Premier épisode d’une série de six : https://youtu.be/_Zohxx5PWZU?feature=shared

Comme tout droit sortie de la paroi d’une grotte préhistorique, un chasseur en action et les animaux qu’il convoite.

En pierre de Bidache, une croix spectaculaire de la région de Guiche. Elle se trouve aujourd’hui au Centre d’interprétation de Larzabale. Sur Youtube, voir un montage audio-visuel de l’ensemble des monuments conservés dans ce Centre : https://youtu.be/72TPhGatiI8?feature=shared, sur la musique du Quatuor pour la fin du temps d’Olivier Messiaen. Ou bien https://youtu.be/tGgLQ3q0Kpg?feature=shared, sur une musique de Marin Marais, interprétée par Jordi Savall.

Stèle d’un village de Cize. La part de mystère qui entoure ses signes ont, dès l’entre-deux-guerres, frappé le bascologue et artiste Philippe Veyrin. Sur cette stèle, voir : https://www.enbata.info/articles/une-stele-bas-navarraise/

Voici la stèle de Bereterretxe à Etchebar en Soule. Elle témoigne d’un évènement qu’évoque la célèbre chanson de Bereterretxe dont les 17 couplets nous sont parvenus de bouche à oeille, depuis le XVe siècle : « Haltzak ez dü bihotzik,/ Ez gaztanberak hezürrik./ Ez nian uste erraiten ziela aitunen semek gezurrik./ Andozeko ibarra,/ Ala zer ibar lüzia!/ Hiruretan ebaki zaitan armarik gabe bihotza…». Il s’agit d’un des textes les plus anciens de la littérature orale basque. Sculpture et vers évoquent l’assassinat de Bereterretxe —peut-être pour un droit de cuissage ou bien suite à un conflit politique avec la famille de Gramont— sur ordre de Louis de Beaumont, comte de Lérin et connétable de Navarre, en poste au château de Mauléon entre 1446 et 1449. Pour entendre Bereterretxen khantoria, voici l’interprétation de Lucien Larraus « Joa » : https://www.youtube.com/watch?v=VkhXCAQOPKo

Avec sa simplicité forte et rigoureuse, une stèle de la vallée d’Hergarai, au lever du jour.

Sur le thème de l’arbre, une stèle tabulaire contemporaine, réalisée par la plasticienne Christiane Giraud.

Au cimetière d’Arrosa, stèle du XXe siècle sculptée par Christiane Giraud. Cette artiste qui a réalisé assez peu de monuments funéraires détient dans son atelier un ensemble remarquable de maquettes de stèles discoïdales en Siporex. Elles mériteraient de se concrétiser un jour dans la pierre, souhaitons que leur créatrice se remette à l’ouvrage.

A Donaixti, tombe de Elixiri, Lazkarai et Erdozaintzi, avec une stèle récente au nom de la maison Errekartea. Réalisée par le sculpteur trop peu connu Piarres Erdozaintzi-Etxart, elle témoigne du renouveau de l’art funéraire basque aujourd’hui qui va de pair avec la création des cimetières paysagers.

Stèle contemporaine réalisée par le sculpteur Piarres Erdozaintzi-Etxart, à l’intention du maire de Behorlegi Manex Unhassobiscay et de son épouse (maison Etxebestea), tous deux disparus très jeunes. Dans le lointain, le fameux pic. Centre irradiant, intensité du rayonnement, disque bien défini, axe vertical et axes secondaires hiérarchisés, équilibre et mouvement, jeu sur les surfaces et le grain de la pierre, élan vers le ciel… rien ne verse ici dans l’anecdote ou le divertissement. Cette stèle vibre comme un hymne à la vie, un défi jeté à la face de la mort.

En l’église de Bazkazane, quelques témoins du rituel funéraire basque où les femmes qui donnent la vie, jouent un rôle déterminant. Sur les jarleku, deux ezko sont allumés devant la chaise où se tient en principe la maîtresse de maison. Pour en savoir davantage : https://www.enbata.info/articles/le-rite-funeraire-ezkoa-renait/
Le village guipuzkoan d’Amezketa est le seul du Pays Basque à conserver vivant ce rite qui, en Hegoalde, prend le nom de argizaiola : https://www.youtube.com/watch?v=zrmqca5O288

Et pour achever ce voyage, faisons une pause en l’église de Bascassan, devant son admirable retable polychrome, peint vers le XVIIe siècle par les habitants de la paroisse, aux confins de l’art populaire et de l’art brut. Voir : https://bazkazane.blogspot.com/ Cette église est une des dernières à conserver ses chaises nominatives installées hier encore par la benoîte, sur une place bien précise.
+ Plusieurs lieux publics présentent des stèles et croix anciennes de notre pays
Le Musée Basque de Bayonne : https://youtu.be/1dEREmLGNUE?feature=shared
Le Musée de Basse-Navarre à St Palais : https://youtu.be/7OZnqtE3iwE?feature=shared
Le Centre d’interprétation de la stèle discoïdale à Larceveau : https://youtu.be/tGgLQ3q0Kpg?feature=shared
Le Musée de San Telmo à Donostia, avec un très bel ensemble de argizaiola.
Le petit musée des stèles à Abaurregaina en Haute-Navarre.
La collection de Lizoain-Arriasgoiti en Haute-Navarre.
Le Musée archéologique de Bilbao, avec des monuments primitifs qui annoncent clairement la stèle discoïdale.
La nécropole d’Argiñeta près d’Elorrio en Biscaye.+ Eléments de bibliographie
Le livre de Lauburu paru aux éditions Elkar en 2004 constitue l’ouvrage de référence sur le sujet : Les stèles discoïdales et l’art funéraire basque: Hil Harriak, 187 pages, 45 e.
Ajoutons les synthèses publiées dans deux numéros de la revue Zodiaque, n° 156 d’avril 1988 et n° 161 de juillet 1989, sous les plumes respectives de Michel Duvert et de Marcel Etchehandy : https://www.blogger.com/blog/post/edit/8218393784162170298/4506766065367100761
On peut trouver chez des bouquinistes le monumental ouvrage en deux tomes de Louis Colas, La tombe basque, paru en 1924, qui rassemble 1300 inscriptions funéraires et domestiques. Sur cet auteur, un article de Michel Duvert dont vous trouverez ici le compte-rendu: https://www.enbata.info/articles/louis-colas-et-son-epoque/+ Un film
Le cinéaste de notoriété internationale Victor Erice a réalisé en 2019 un court-métrage Harria eta zerua, Pierre et ciel, à la demande du Musée des Beaux-Arts de Bilbao. Pendant 24 heures, il filme une stèle monumentale réalisée en 1958 par le sculpteur Jorge Oteiza (1908-2003), en hommage au musicologue Aita Donostia. Elle se trouve en pleine nature à Agiña, sur un site montagneux riche en cromlechs, qui domine Lesaka (Navarre).
L’oeuvre d’Oteiza se présente comme un cercle creusé et légèrement décentré dans le carré d’un bloc de pierre grise. Un petit oratoire contenant un vitrail est construit à quelques pas de là. Victor Erice nous montre la vie de cette sculpture et de l’oratoire, pendant 24 heures extrêmement envoûtantes : l’aube, le soleil de midi, la lumière du soir et le couchant, la nuit noire, la voie lactée ses étoiles et la lune. Un cycle éternel et immuable avec le souffle du vent dans les arbres, les bruits de quelques animaux invisibles, le rythme de la nature et le passage du temps. La stèle aux reliefs et aux ombres changeants s’intègre dans un cycle cosmique cher au Père Marcel Etchehandy. Il lui donne tout son sens.
Certes, « le silence éternel des espaces infinis [nous] effraie ». Mais le talent du cinéaste Victor Erice filmant une simple stèle dans la campagne, nous fait toucher du doigt la dimension métaphysique de la création lapidaire basque, celle d’hier comme celle d’aujourd’hui. « De la simplicité dans laquelle la terre et le ciel, les divins et les mortels se tiennent les uns les autres, le bâtir reçoit la direction dont il a besoin pour édifier les lieux » (Martin Heidegger).
superbe !!!!… Comme d’hab ….
M. Duvert
Texte présentation du cimetière ancien de Donibane Garazi (exposition de 2022)
Par A. Duny-Pétré
avec l’aide de Pantxika Sala et de Jon Etcheverry-Ainchart
Tous les hommes ont un attrait secret pour les ruines.
Ce sentiment tient à la fragilité de notre nature,
à une conformité secrète entre ces monuments détruits
et la rapidité de notre existence.
François-René de Chateaubriand
Le génie du christianisme (1802)
Cette exposition vous propose quelques photographies et dessins de monuments funéraires basques. Tous proviennent d’un lieu méconnu, le « vieux cimetière » de Saint-Jean-Pied-de Port, situé au-dessus du cimetière actuel. Il contient 325 monuments, dont 197 « croix navarraises » et 97 dalles. La plupart sont en grès rose dit d’Arradoy, montagne qui domine le site. Un seul est en marbre.
Ce cimetière sort de l’ordinaire à plusieurs titres. Tout d’abord du fait de sa cohérence dans l’espace et dans le temps. Il a été créé au début du XIXe siècle (1) et, à de rares exceptions près, les constructions de caveaux s’achèvent ici un siècle plus tard, d’où une unité de style plus forte qu’ailleurs. Les outrages du temps sont là, mais le site a été peu altéré par l’arrivée de nouvelles tombes au XXe siècle. Hormis pour les sépultures des prêtres, l’immense majorité des croix est orientée face à l’est, vers le soleil levant, symbole d’éternité, de lumière et de vie, mais aussi foi en la Résurrection.
Un deuxième élément est frappant: la densité des croix dites navarraises. Elles sont souvent hautes, quelquefois près de deux mètres, et dotées de deux ou trois cannelures de chaque côté. Les branches de la croix portent des bossages ou saillies, parfois en demi-sphères. Celles réalisées durant la première moitié du XIXe siècle ont une qualité de sculpture en champ levage assez exceptionnelle. Elles figurent ici en nombre, alors qu’elles disparaîtront peu à peu ou seront laissées de côté dans les autres cimetières de Basse-Navarre.
Troisième point : nous sommes dans un lieu-témoin d’enterrement basque de type urbain au XIXe siècle. Ce fait quasiment unique en Iparralde a trois conséquences. La plupart des tombes sont nominatives, nous nous éloignons ici de la tombe très liée à l’etxe comme dans la société rurale. Les monuments, croix et plates-tombes, émanent de familles disposant de moyens financiers conséquents. Cela a visiblement un effet sur la multiplication des dalles, la taille et l’importance des sculptures. Enfin, nombre de défunts sont des commerçants, des fonctionnaires, des militaires qui se sont implantés au Pays Basque et y ont fait souche. Ceci est lié à la démographie saint-jeannaise qui est d’abord une place-forte frontalière, un centre administratif et commercial. Les familles ont adopté le style des monuments funéraires bas-navarrais en cours à l’époque. Beaucoup de tombes de Donibane Garazi apparaissent donc comme le fruit d’une acculturation. À une nuance près, les plates-tombes richement sculptées comportent des commentaires qui ont peu à voir avec la sobriété, la réserve si valorisées en Pays Basque. Parfois le texte fort long commence sur la croix et se poursuit sur la dalle.
L’usage du français est quasi généralisé. Ce n’est ni la langue du culte (le latin), ni la langue la plus couramment parlée dans le pays (l’euskara) ; la langue dominante est donc employée, c’est la langue du roi et de la république, du pouvoir d’État, de l’écrit et du droit. Dans l’esprit du temps, ce serait déchoir que d’utiliser une langue populaire, dépourvue de prestige. Le français s’impose sur les tombes comme sur les linteaux qui tous deux prennent ainsi un caractère officiel, voire « notarié ».
Oeuvre des travailleurs de la pierre de Saint-Jean-Pied-de-Port et du pays de Cize (2), ce cimetière est un élément essentiel de l’histoire de la cité, de la vie et de la mémoire de ses habitants. L’’inventaire des 346 personnes inhumées, dont l’activité est renseignée, indique : 32 militaires —aucun simple soldat— 27 douaniers, 19 fonctionnaires, 43 commerçants et négociants, 62 artisans, 21 employés, 6 médecins non militaires, 3 pharmaciens, 13 cultivateurs dont 8 vignerons. Le cimetière accueille à égalité militaires, bourgeois, commerçants, artisans basques et gens du peuple, alors qu’il écarte les simples soldats. Photographie sociale du Donibane Garazi du XIXe siècle, avec ses métiers, ses niveaux de fortunes, ses nationalités, ses classes sociales, ses mélanges de populations et leur diversité, il est à l’image d’un melting-pot d’individus enterrés en terre basque, expression de la porte ou du verrou que constitue Saint-Jean, sur un axe de circulation militaire, économique et religieux séculaire.
Rituels funéraires basques à Saint-Jean-Pied-de-Port
Effet d’une déchristianisation galopante, la mort et notre dimension même de mortels sont aujourd’hui refoulés, comme victimes de notre extrême individualisme, véritable tout à l’ego. Il n’y a plus d’après. La mort était un passage, elle est devenue cul de sac. Le rituel et ses symboles mettaient des mots sur la douleur. Elle s’inscrivait dans une histoire collective, un nous, un partage au sein d’une communauté, celle des vivants et des morts, elle constituait un élément structurant de l’humaine condition et de la création esthétique. Nous avions à la comprendre pour mieux l’affronter.
Aujourd’hui le cérémonial et les dieux sont perdus ou très appauvris. La mort n’est plus assumée, elle est devenue comme honteuse, clandestine, gênante. Nous l’avons rendue solitaire, individuelle, elle se cache, alors qu’hier elle s’insérait dans une communauté, elle faisait partie de la vie.
Les monuments funéraires ne sont signifiants que s’ils s’inscrivent dans un ensemble de pratiques sociales, expressions d’une culture, d’une civilisation. Les couper du contexte qui les a vu naître nuirait gravement à leur compréhension et les appauvrirait. Stèles et croix prennent sens dans un ensemble de rites funéraires traditionnels qui ont perduré à Saint-Jean-Pied-de-Port jusqu’à une date très récente. Le hilbide ou chemin des morts reliant la maison à l’église était clairement défini jusque dans les années 80. Narcisse Donamaria du quartier Eiheraberri, décédée en juillet 1987, demanda à son entourage et ses voisins que son cercueil suive précisément ce chemin. Marie Duny-Pétré décédée en 1977 avait son jarleku, sa place attitrée, en l’église de Notre Dame du Bout du Pont. Elle l’occupa quasiment jusqu’à sa disparition, bien que les bancs aient remplacé les chaises, semble-t-il à la fin des années 60. Et elle conserva dans sa maison natale la chaise nominative de sa mère qui se trouvait à l’emplacement du jarleku, ainsi que ezko (cire de deuil enroulée sur elle-même dans un petit panier) et plusieurs mantaleta portés par les femmes au moment du deuil.
Une procession relie l’église au cimetière après la messe des obsèques : cercueil, prêtre et entourage de défunt suivent alors un ordonnancement codifié. Cette pratique disparut au milieu des années 60, en raison de l’importance de la circulation automobile (témoignage d’Augusta Chaliés, 96 ans en 2022). Marie-Claire Hillion, quasi centenaire décédée en juin 2019, détenait le drap mortuaire brodé qui faisait partie de son trousseau de jeune fille. Enfin le rituel funéraire ezko fut encore pratiqué à la fin de l’été 2012 dans l’église de Saint-Jean-Pied-de-Port, pour les obsèques d’Elise Durquet-Haranburu, cheville ouvrière de l’association Terres de Navarre. C’est dire la prégnance de pratiques funéraires basques dans la population d’une cité aussi composite que la nôtre.
Il ne tient qu’à nous de redonner vie à ces pratiques, de resocialiser, de réinscrire la mort dans la vie.
(1) Pour des questions d’hygiène, les inhumations furent interdites dès la fin du XVIIIe siècle à l’intérieur des lieux de culte fermés. Une loi du 23 prairial en XII (12 juin 1804) impose en dehors des bourgs les cimetières qui sont désormais du ressort de la commune. Dans les régions rurales, le texte sera peu suivi.
(2) Selon le témoignage de ses descendants actuels, le tailleur de pierre Jean Dubourdieu, né en 1840 et originaire d’Hastingues, réalisa plusieurs grands caveaux monumentaux de ce cimetière.
*
Voir un choix de photos réalisées dans des conditions d’éclairages particulières est une chose. Aller sur les lieux, s’imprégner de son atmosphère est mieux. Nous vous invitons à faire cette démarche. Le « vieux cimetière » de Donibane Garazi est particulier du fait de l’état de quasi abandon qui est le sien. La poétique des ruines chère aux Romantiques, la proximité des montagnes qui l’entourent et des murailles, la lumière très différente selon les heures de la journée, tout cela suscite chez le promeneur des émotions inédites. Déambuler au lever du soleil parmi les tombes toutes orientées vers l’est, nous situe au cœur du cycle cosmique, du mystère de la résurrection et de l’éternel recommencement. Les voir en début d’après-midi, alors que l’éclairage solaire rasant fait parler les textes des tombes et ravive les couleurs des lichens, suscitera bien des découvertes. Les pierres sont alors comme autant de pièges à lumières. Autre ambiance le soir, entre chien et loup, vous y percevrez un écho baudelairien, celui du violon frémissant «comme un cœur qu’on afflige / Valse mélancolique et langoureux vertige», sous un «soleil noyé dans son sang qui se fige».
*
Depuis des millénaires, de grands textes nous disent l’essentiel de notre humaine condition : « Vanité, vanité, tout est vanité et poursuite du vent », « Je suis sorti nu du ventre de ma mère, et je retournerai nu dans le sein de la terre ». Mais envers et contre tout, chaque cimetière témoigne du désir irrépressible qui pousse femmes et hommes à tenter de laisser une trace de leur passage ici-bas. Leur mémoire se prolonge quelque temps dans le récit des générations suivantes. La créativité, le monde de l’art se greffent là-dessus.
Rappel de notre finitude et de notre vulnérabilité, le vieux cimetière de Saint-Jean-Pied-de-Port fascine tout autant qu’il inquiète. Les vivants ferment les yeux des morts et les morts ouvrent les yeux des vivants. Pour ceux qui ont la chance d’être habités par la foi ou la transcendance, « ce doit être ici le relais où l’âme change de chevaux ».
Quant aux agnostiques et aux incroyants, eux aussi apprécieront ces pierres «où se dissimile et en même temps se livre un mystère plus lent, plus vaste et plus grave que le destin d’un espèce passagère. Elles n’ont même pas à attendre la mort, elles n’ont rien à faire que de laisser glisser sur leur surface le sable, l’averse ou le ressac, la tempête, le temps ».
*
Pour en savoir plus sur l’art et les pratiques funéraires basques
• Visiter le Centre d’interprétation de Larzabale (Larceveau) qui présente la remarquable collection sauvée par le Père Marcel Etchehandy, accompagnée d’une exposition et de films permettant de comprendre cet univers et les intentions de ceux qui l’ont créé. Pour y entrer, une clef magnétique est à retirer auprès de commerçants du village.
• L’ouvrage de référence sur le sujet est Hil harriak, les stèles discoïdales et l’art funéraire basque, par Michel Duvert, Marcel Etchehandy, Jon Etcheverry-Ainchart et Claude Labat, Elkar, 190 p, 2004.
• Un grand nombre d’articles publiés par Mikel Duvert et d’autres auteurs sont accessibles via le blog https://hilarriakeuskalherrian1.blogspot.com/
Sur les rites funéraires basques, voir :
• Contribution à l’étude ethnographique de la mort en Pays Basque Nord, Mikel Duvert et dix autres auteurs, bourse Barandiaran, Anuario de Eusko-folklore n° 40, 264 p, 1996-97.
• Données ethnographiques sur le vécu traditionnel de la mort par Mikel Duvert, http://www.aranzadi.eus/fileadmin/docs/Munibe/1990479489AA.pdf
• Sur le rôle de la benoîte et de la femme dans les rituels funéraires basques, on lira avec profit différents articles dans https://bazkazane.blogspot.com/
D’une tombe à l’autre
N° 1, Marie Larrarape
Cette croix est la sépulture de Marie Larratape. L’inscription, indiquant «MAITREs ANTHONENE», suit la coutume de se faire connaître par le nom de l’etxe. Il s’agit ici de sa ferme Antonena dont son époux, Jean Iriart, est maître adventice, c’est-à-dire cadet venu d’une autre maison. En 1802, son acte de naissance indique « Marie Antonena […] fille de Pierre Antonena maître jeune de la maison de ce nom », alors que le nom de son père est Larratape: le nom de l’etxe prime sur le nom patronymique. Une seule autre sépulture de ce cimetière rappelle cette coutume, la croix de Catalin Hunto (née Gainecotche, épouse Arrosagaray). Sous l’Ancien régime, les femmes maîtresses de maison héritent, votent parfois aux assemblées et disposent de droits équivalents à ceux des hommes.
N° 2, Cangina
Dans ce cimetière, un ensemble de pierres en forme d’urne intrigue… Ces urnes sont pleines donc ne renferment pas de cendres. Elles sont au nombre de quatre, dont deux portant une inscription « ICI REPOSE », l’une d’entre elles ajoute : «ICI REPOSENT CATHERINE/CANGINA». L’état civil et des archives notariales nous indiquent que le nom de Cangina est celui d’une famille d’horloger-orfèvre ou pâtissier-cabaretier, spécialités du canton des Grisons (Suisse) dont elle est originaire, plus exactement de Flims. Elle arrive en France à Orthez au début du XIXe siècle, puis à Saint-Jean-Pied-de-Port vers 1837 où elle gère rue de la Citadelle, le Café suisse ou Billartia. Parmi ses membres, Catherine Cangina est née à Flims en 1797 et décédée à Saint-Jean-Pied-de-Port en 1840. Cette famille est de religion protestante, ceci expliquerait le choix de ce type de monument, les sépultures protestantes évitant jusqu’à la fin du XIXe siècle la croix caractéristique des monuments catholiques. Le dernier Cangina figurant dans les registres de l’état civil de Saint-Jean-Pied-de-Port est Victor, horloger-orfèvre, décédé en 1895. Dans le cimetière, son nom est inscrit sur une simple dalle entourée d’un enclos en ferronnerie. Y figure également son fils, militaire, décédé dix ans avant lui. Une autre petite dalle signale le décès en bas-âge de sa fille, Sidonie Cangina, en 1868.
N° 3, Philippe Paul Mildieu
Ce monument, situé à proximité de la grande croix du cimetière, est celui d’un prêtre. Philippe Paul «dit Mildiu» ou «dit Mildieu» est né à Saint-Jean-Pied-de Port en 1760, il y meurt en 1837. Il est le fils de «Joseph Paul cavalier de la maréchaussée» «dit Milledieu» et de Jeanne Cautare de Luzaide-Valcarlos. Ce prêtre termine son mandat à Louhossoa et prend sa retraite à Saint-Jean-Pied-de-Port. Sa tombe présente une particularité par rapport à l’ensemble des autres sépultures qui font face au soleil levant, elle est orientée face au soleil couchant, comme les autres tombes des prêtres de ce cimetière. Le texte des inscriptions se déroule du haut de la croix jusqu’au milieu de la dalle.
N°4, Jean-Baptiste Berceau
Une Légion d’honneur impériale est sculptée sur la croix. Sont à noter l’inscription en continue de la croix à la plate-tombe et la décoration en lacets de la bordure de la dalle. Le défunt est le lieutenant-colonel d’infanterie de ligne Jean-Baptiste Berceau (Fontaines-les-Clerval dans le Doubs, 1765 – Saint-Jean-Pied-de-Port, 1837), nommé chevalier de la Légion d’honneur en 1809 et officier en 1813. La base Leonore révèle qu’engagé en 1783 dans la Légion du Prince Nassau, devenue Corps de Montreal et Chasseurs cantabres, puis 5e bataillon d’infanterie de ligne basé à Saint-Jean-Pied-de-Port, Jean-Baptiste Berceau est successivement jusqu’en 1814, dans l’armée des Pyrénées occidentales (capitaine du bataillon de Chasseurs basques), puis des Grisons, d’Italie, de Naples, etc. pour finir dans la Grande armée. Il épouse à la fin du XVIIIe siècle Marguerite Etcheverry ou Laharrague originaire de Saint-Jean-Pied-de-Port (1768-1826).
N° 5, François Caritat
Avec cette croix de François Caritat, fils de tisserand, décédé en 1845 à l’âge de 17 ans, le sculpteur fait preuve de créativité. Il se détache du modèle habituel des croix bas-navarraises et reprend l’effet «cannelures» de celles-ci, en évitant le volume habituel du socle. À comparer avec la croix voisine en grès rose, croix bas-navarraise classique. Nous avons deux structures équivalentes présentant le texte en recto et la croix en verso, mais un profil effilé est ici choisi.
N° 6, Adolphe Pascal
Ce très intéressant monument est composé d’une croix et d’une plate-tombe. Cette plate-tombe d’un capitaine de navire de la marine marchande attire l’attention: superbe dans son exécution, elle est totalement différente des autres plates-tombes du cimetière. Un double décès est mentionné: le père, Dominique Jean Pascal est décédé en 1833 après son fils, Adolphe, disparu en 1820 à l’âge de 15 ans. La dalle est donc postérieure à 1833. Cette sépulture est la seule dans ce cimetière qui ait un lien avec la mer… Dominique Jean Pascal, plus couramment appelé Dom Juan, est né à Saint-Jean-Pied-de-Port en 1770. En 1799, lors de son mariage à Pauillac avec Marguerite Goy, née en Gironde en 1774, il y est domicilié ainsi que ses parents. Son père, Bernard, est «contrôleur des brigades nationales des douanes de Pauillac». Dom Juan est dit «marin» dans son acte de mariage et «rentier» selon son acte de décès.
N° 7, Raimond Fonrouge
Il s’agit d’un officier, Raimond Fonrouge, natif de Saint-Jean-Pied-de-Port. Sa tombe est décorée d’étoile, de rosaces et du Sacré-Cœur de Jésus. Sur la partie supérieure, figure «eguzki saindua», l’ostensoir à hostie ou ostensoir soleil, élément classique des croix bas-navarraises au XIXe siècle, comme sur les linteaux des maisons. Le défunt a pour parents Marie Etcheberry de la maison Tipitto d’Uhart-Cize et Joseph Fonrouge qui est un marchand auvergnat. Arrivé comme trois de ses frères au milieu du XVIIIe siècle à Saint-Jean-Pied-de-Port, il y a fait souche.
N° 8, Fort
Le monument de Bertrand Fort (croix), décédé en 1817, et de deux de ses fils Michel et Louis (dalle), décédés en 1829 et 1839, a dû être sculpté au décès du dernier des trois. La famille Fort ou Faure est originaire de Haute-Garonne. Plusieurs de ses membres s’installent au XVIIIe siècle comme commerçants à Saint-Jean-Pied-de-Port. Bertrand Fort, marchand chaudronnier né en 1776 à Escanegrage en Haute-Garonne, suit leurs traces. Il épouse en 1806 une Saint-jeannaise, Marie Souhourt, le couple a six enfants dont deux sont enterrés dans ce cimetière. Leur maison se trouve près de la Porte de France, collée au rempart. L’inscription de cette tombe, marquée de romantisme, commence au haut de la croix et se poursuit sur la plate-tombe. La dalle est une des plus imposantes de ce cimetière, avec une largeur exceptionnelle (1,21m x 2,21m).
N° 9, Etcharren
Manecate Etcharren, né en 1797 est enterré ici en 1832. Il a pour parents Catherine Etcharren (née Souhourt, 1767-1829) et le cordonnier Pierre Etcharren (1768-1830). Manecate Etcharren s’est marié le 15 octobre 1821 à Saint-Jean-Pied-de-Port avec Catherine Carrère, ils ont eu quatre enfants. Dans leur descendance, figurent les familles Inchauspe et Bergouignan, bien connues en Basse-Navarre.
N° 10, Andere serora
Cette tombe est celle de la benoîte Josepha Hiriart. L’inscription en euskara indique « HEMEN DA EHORCIA / JOSEPHA HIRIART/ DONIBANECO SERORA / HILA 45 URTHETAN/ ABENOAREN 31 1850». En français: «Ici est enterrée Josepha Hiriart, benoîte de Saint-Jean, décédée à 45 ans le 31 décembre 1850». «Cultivatrice» originaire de Macaye, son acte de décès indique « Décédée dans le bâtiment dit le clocher de l’Eglise» et son contrat de benoîterie, signé devant notaire en 1840, précise «La fabrique s’oblige à lui fournir gratuitement un logement au bâtiment du clocher de la dite Eglise»…
La benoîte qui n’a rien à voir avec la «bonne du curé», est un personnage important dans le Pays Basque d’hier. Nommée par la communauté paroissiale puis avalisée par l’évêque, elle achète sa charge, souvent par le versement de sa dot. Le tout aboutit à la signature d’un contrat qui définit ses fonctions. La benoîte gère tout ce qui se passe à l’intérieur de l’église, hormis dans le périmètre de l’autel qui est le domaine exclusif du prêtre. Sorte d’etxeko andere (maîtresse de maison) de la paroisse, elle gère les places des paroissiens dans l’église, l’organisation du cimetière, les cérémonies, baptêmes, mariages et enterrements, ainsi que les nombreuses fêtes religieuses, pèlerinages, rogations, etc. qui font l’objet d’un rituel précis et structuré. Selon certains auteurs, son statut et son rôle correspondraient aux vestiges d’un clergé féminin antérieur à la christianisation.
N° 11, Fiterre
La sépulture de la famille Fiterre-Girard est composée d’une croix, admirable travail d’artiste sur pierre, aujourd’hui largement détruite, et d’un caveau recouvert d’une dalle sculptée. Il existe trois ou quatre exemplaires seulement de monuments travaillés comme celui-ci, dans d’autres cimetières de Basse-Navarre. Le monument témoigne de l’opulence de cette famille qui a vendu à très bas prix à la municipalité, le terrain du nouveau cimetière situé en contrebas.
André Fiterre, négociant en grains, est originaire de Haute-Garonne, il naît en 1743 et épouse Jeanne Sainte-Marie en 1777, à Saint-Jean-Pied-de-Port. Un de ses neveux Bertrand Fiterre, né en 1766 et décédé en 1844, repose dans cette sépulture. Bertrand a épousé en 1793 une Saint-Jeannaise, Jeanne Souhourt (1773-1856), il est donc le beau-frère de Bertrand Fort, autre grande famille de négociants. La famille Fiterre est propriétaire d’une maison au 9 de la rue d’Espagne à Donibane Garazi, très connue pour son linteau indiquant le prix du froment en 1789 (15 livres) et pour la série de têtes anthropomorphiques sculptées sur une poutre de l’avant-toit.
Le nom d’une des filles de Bertrand Fiterre, Leonide Eleonore (1811-1878), est inscrit sur la dalle, ainsi que son mari, Gabriel Girard (1797, Pouilly-Saint-Genes dans l’Ain – 1863) et leur fille, Jeannette décédée à 21 ans. Gabriel Girard est noté «capitaine en retraite / chevalier de la Légion d’Honneur».
N° 12, O’Kennedy
Le monument de Jean Louis Félix O’Kennedy (Corte en Corse, 1789 – Saint-Jean-Pied-de-Port, 1832) est composé d’une dalle et d’une croix. Sur celle-ci, le nom irlandais étonne. De même le travail minutieux du sculpteur dans la réalisation d’une croix de chevalier de la Légion d’honneur impériale. Les camarades officiers du régiment de O’Kennedy lui ont élevé une imposante plate-tombe «pour perpétuer sa mémoire et leurs regrets». On notera en haut et en bas de la dalle la décoration en lacets.
La base Leonore n’a pas de dossier concernant Jean Louis Félix O’Kennedy, par contre celui de son père Félix, révèle une famille de militaires depuis plusieurs générations. L’acte de décès de Jean Louis Félix indique «chevalier des ordres de la Légion d’honneur et de Saint-Louis». Les archives notariales détiennent quelques actes concernant sa succession, comme l’inventaire et la vente détaillée de ses effets et objets personnels, mais surtout sa bibliothèque d’environ 500 volumes. Elle montre son intérêt pour la littérature (Voltaire, Beaumarchais et son contemporain Walter Scott), les sciences, les langues, les religions, etc. et son appartenance à la franc-maçonnerie. Les ouvrages sur l’Algérie et la langue arabe, ainsi que quelques objets ou vêtements «d’Alger», laissent penser qu’il participa à l’expédition d’Alger de 1830 où se trouvait son régiment dont le nom est gravé sur la plate-tombe.
N° 13, Barbier
Cette croix anonyme présente un texte en euskara «KURUTZE HUNEN / ITZALEAN DAUDE / GORPUTZ / EGINAK». Traduit en français : «Sous la protection de cette croix reposent les défunts». La dalle actuellement recouverte de terre, est celle de la famille Barbier, dont voici les noms: Jean Barbier (1831-1885), artisan tourneur chaisier, et Jeanne Barbier (1829-1908), couturière, née Officialdeguy. Ce sont les parents de Jean Barbier, prêtre et écrivain basque, né à Saint-Jean-Pied-de-Port en 1875 et décédé à Saint-Pée-sur-Nivelle en 1931, auteur de nombreux articles et ouvrages en euskara, dont un célèbre recueil de légendes.
N° 14, Inchauspe
À remarquer le nom de Jeanne Inchauspe écrit «Jnchaspe», le I s’écrit sous la forme J, curiosité que l’on retrouve sur plusieurs monuments. Jeanne Inchauspe épouse en 1794 le Souletin Pierre Etcheverry, douanier, puis métayer à Lasse où il décède en 1825.
N° 14 bis, Duvignau, tombe d’enfant
«Jean-Marie Emile Duvignau, 12 mars-14 mars 1895, cher ange priez pour nous», nous dit l’épitaphe de cette petite sépulture. Une dizaine de tombes d’enfants de ce cimetière sont de petite taille, d’autres ne le sont pas. Au long du XIXe siècle, la mortalité infantile est importante du fait des épidémies non éradiquées, choléra, typhoïde, rage, etc. Au total, 49 personnes de moins de 20 ans sont inhumées dans le vieux cimetière de Saint-Jean-Pied-de-Port.
N° 15, Travaux en fer
Aux côtés de la pierre, le travail du fer fait partie de l’art funéraire. Le vieux cimetière de Saint-Jean offre un panel assez complet de ce type de monuments, tant pour les croix que pour les enclos de tombes. Le fer utilisé est visiblement d’origine industrielle, très répandu à la fin du XIXe siècle, la production locale ayant alors disparu. Les forgerons qui étaient plusieurs à Saint-Jean-Pied-de-Port, avec parfois une spécialité telle que la serrurerie ou la maréchalerie, étaient sollicités pour fabriquer ces croix. Le motif du cœur parfois surmonté d’une petite croix est semble-t-il inspiré de celui qui figure couramment sur les croix navarraises en pierre de la même époque. Les extrémités des croix de fer portent souvent une boule de cuivre. Ce type de travail est contemporain de celui des balcons que l’on voit sur les façades de plusieurs maisons de Garazi : au 9 rue d’Espagne, au 11 place du Trinquet, au café Chez Luis place de Gaulle, à la maison Elgue, avenue du colonel Beltrame à Ispoure, ainsi que dans son prolongement au numéro 267-269, etc.
N° 16, Eléments particuliers
Nombreux dans ce cimetière sont les Arbres de vie sculptés sur les croix. Il s’agit d’un des symboles parmi les plus répandus dans l’expression esthétique humaine, depuis des millénaires et pour de multiples religions et civilisations. La Genèse le reprend comme Arbre de la connaissance du bien et du mal dans le jardin d’Eden, source de la vie éternelle. Le Nouveau Testament assimile la croix du Christ à l’Arbre de vie. En Pays Basque, l’arbre de Gernika, un chêne, demeure un symbole puissant dans l’imaginaire et l’histoire des habitants, l’hymne Gernikako arbola du barde Iparragirre (1820-1881) est sur toutes les lèvres.
Des formes circulaires présentant diverses figures organisant l’espace qu’elles définissent, sont assez couramment sculptées dans la partie basse et au verso de plusieurs croix navarraises. Les jeux de pleins et de vides sont comme une somme d’équilibre dans un espace abstrait qui ne fait pas explicitement référence au monde visible. Cet espace met en scène un monde circulaire centré, tel un cercle cosmique dressé comme une sorte d’autel. Le souci du sculpteur désireux de donner vie et rythme en un endroit aussi peu exposé aux regards pose question. Comment ne pas faire le lien avec les stèles discoïdales qui furent durant les deux siècles précédents l’expression majeure de l’art funéraire basque ? Comme si le créateur du XIXe siècle résistait, ne parvenait pas à se défaire ou à renier le schéma esthétique de ses ancêtres.
*
Le vieux cimetière de Donibane Garazi a fait l’objet d’un inventaire complet par les Associations Lauburu et Terres de Navarre. Une procédure d’inscription à l’inventaire des monuments historiques est en cours d’instruction, mais peine à aboutir. La DRAC fait la sourde oreille. Si vous souhaitez participer aux activités culturelles de ces deux associations patrimoniales qui, entre autres, tentent de sauvegarder ce site, vous pouvez les contacter aux adresses suivantes :
Lauburu Terres de Navarre
24 avenue de Chantaco, Larrun bi 39 rue de la Citadelle
64500 Saint-Jean-de-Luz 64220 Saint-Jean-Pied-de-Port
09 54 98 97 64 https://www.terresdenavarre.fr/
[email protected] [email protected]
*
En contrepoint, voici deux textes. Le premier a pour auteur le poète Iratzeder (1920-2008) et fait de la stèle basque debout un hymne à la vie.
Le second présente l’origine du mot cimetière en Occident.
Hil-harria…
Iratzeder
Hil-harria, zergatik ?
Hil-harria zergatik hago lurretik
goiz-argira xutik ?
Hire pean hortxet zagok aspaldian gizona,
Lan, min, amets eta guduz kraskaturik etzana.
Lur barnean urtu zaiok itxurekin izena…
Hire pean hortxet zagok aspaldian gizona.
Hi bainan hi, denen gatik,
hortxet hago xut xutik.
Urtez urte negu-haizek jotzen haute, zafratzen ;
Zenbat lore zaikan udan sortzen eta eihartzen ;
Iratzeen hego-dantzan zoin xut eta jaun haizen !
Urtez urte negu-haizek jotzen haute, zafratzen.
Hi bainan hi, denen gatik,
hortxet hago xut xutik.
Haitzak ditik inarrosi gau-ekaitzak bortizki :
Guti zaikuk ondotik xut larrainean egoiki.
(Gizaldiek iraulirik norat goazin nork daki?)
Haitzak ditik inarrosi gau-ekaitzak bortizki.
Hi bainan hi, denen gatik,
hortxet hago xut xutik.
Hil-harria, zergatik ?
Hil-harria zergatik hago lurretik
goiz-argira zutik ?
Oihuz deika nagon beti, jarri naitek horrela :
Lurpetua den gizona beti gizon dagola ;
Ez dik galdu balioa, galdu badik ahala.
Oihuz deika nagon beti, jarri naitek horrela.
Ezarri naik berak xutik,
amor eman ez baitik.
Ez dik nehoiz amor eman, hilik ere gorputza.
Harri xutaz, gora ziok sekulako ezetza :
Haren poza, hauts-errautsak geroa pitz baletza !
Ez dik nehoiz amor eman, hilik ere gorputza.
Ezarri naik berak xutik,
amor eman ez baitik.
Edergailu zirrimarrrak ditiat, keinu-dirdiran,
Begi zabal iduriko nere harri-buruan :
Mendez mende lurrekoak argi alde dabiltzan.
Edergailu zirrimarrrak ditiat, keinu-dirdiran.
Ezarri naik berak xutik,
amor eman ez baitik.
Hil-gizonen larraineko ixilaren ixila !…
Goiz-argian harriz harri Jaun Goikoa dabila :
Hilik ere, holakoek bizi behar dutela.
Hil-gizonen larraineko ixilaren ixila !…
Euskaldunak, xutik hortik !
Jeiki denak lurpetik !
Ezar gazten hezurretan zuen euskal-gogo :
Bihotza su, burua xut, begiztatuz geroa,
Pitz dezaten gure lurra, hustuz-histuz baitoa.
Ezar gazten hezurretan zuen euskal-gogoa.
Euskaldunak, xutik hortik !
Jeiki denak lurpetik !
Euskaldunen irrintzina Jainkoraino hel dadin,
Su-harria gogor bezein tema gogor batekin
Gure gaztek deiadarka dezatela bat egin :
Euskaldunen irrintzina Jainkoraino hel dadin.
Euskaldunak, xutik hortik !
Jeiki denak lurpetik !
La terre sacrée des cimetières
Extrait de l’introduction au livre de Michel Lauwers Naissance du cimetière, lieux sacrés et terres des morts dans l’Occident médiéval, Aubier, Collection historique, 2005, 395 p.
La cohabitation des vivants et des morts constitue l’un des traits majeurs des formes d’organisation sociale qui se sont imposées en Europe occidentale au cours du Moyen Age. Cette cohabitation s’est inscrite dans le paysage : entre le VIIe et le XIIe siècle, dans les campagnes et dans les villes, les populations s’établirent à proximité immédiate des dépouilles de leurs défunts. Une telle présence des restes humains des générations précédentes au cœur de l’espace habité, ainsi que leur rassemblement en des lieux publics, lieux d’inhumation désormais obligatoires pour tous, représentaient une grande nouveauté par rapport aux traditions funéraires qui avaient caractérisé les sociétés anciennes.
(…) Pour rendre compte de cette réalité, au milieu du XIe siècle, un clerc grammairien et lexicographe d’Italie du Nord, connu sous le nom de Papias, trouva une nouvelle étymologie pour cimiterium, le mot latin qui avait servi, dans les siècles précédents, à désigner différents types de lieux funéraires (des sépulcres, des mausolées familiaux, des tombes saintes), mais qui tendait alors à renvoyer exclusivement aux aires d’inhumation collective : à l’idée du repos dans la mort (en grec, koimètèrion est le dortoir), Papias substitua l’image des « cendres » des morts, le vocable cimiterium dérivant, selon lui, de cinis-terium — cinis signifiant la cendre. La représentation d’un cimetière dans lequel les cadavres se consumaient pour rejoindre l’état de cendres se diffusa rapidement et donna naissance, au XIIe siècle, à la notion de « terre cimitériale » (terra cimiteriata)…
Au seuil de l’aube parmi les tombes
Extrait du livre de Juliette Kempf et d’Abd el Hafîd Benchouk, Au seuil de l’aube, un cheminement soufi, Editions du Relié, 2023. France culture, Questions d’Islam 11 mai 2023.
Ce moment où le jour rencontre la nuit. Au seuil de l’aube, ce moment avant l’aube, à la fin de la nuit, ce moment où les animaux de la nuit se sont tus et ceux du jour ne sont pas encore levés, où règne une forme de silence, de plénitude. Il est une heure entre deux, le moment qui m’appelle à l’aube est avant l’éveil des vivants. Le monde est encore vierge, son chant est éteint, cette heure n’est déjà plus hier, pas encore aujourd’hui. Ce seuil de l’aube, qui d’autre que l’homme peut se faire veilleur, à cette heure où la louange laisse un espace ? Tout est résolu. Les opposés fondent, se dissolvent et rejoignent le centre de la croix. Maintenant la terre semble lever le voile sur elle-même. Lire en sa transparence, n’est-ce pas aller à la rencontre de son ciel ?