Maniant avec brio ellipses, silences et réserve, Josu Martinez signe une oeuvre magistrale sur le drame de notre peuple à la langue coupée, remplacée de force.
La boucherie de 1914-18, les hussards noirs de la République et les anciens combattants aux gueules cassées, la répression de l’Occupation allemande et ses ambiguïtés, la solidarité entre Basques qui résistent, la colonisation des esprits, l’exil, la souffrance, les conditions du mauvais choix comme refuser de transmettre sa langue maternelle à sa fille, l’aliénation, le drame d’une jeune basque francophone monolingue, le notabilisme pervers, la chape de plomb, l’idéologie dominante qui vous étouffe dans un syndrome de Stockholm généralisé, comment nos adversaires font pénétrer le vers dans le fruit, instillent la haine de soi pour que les Basques deviennent les artisans de leur propre disparition… Enfin la lucidité, la prise de conscience, le réveil, la rébellion et la lutte y compris armée, avec pour corollaire inévitable le poison des querelles intestines. En cinq chapitres, le Biscayen Josu Martinez a tout compris d’Iparralde, il brosse un panorama inouï de l’histoire du XXe siècle dans un village bas-navarrais.
Le spectateur peine à croire que ce cinéaste évoque tant de sujets en quelques dizaines de minutes. Il y parvient en évitant le prêchi-prêcha didactique, les lourdes explications socio-linguistiques ou la démonstration de notre colonisation mentale, culturelle, économique. Avec un art consommé de la mise en scène, il manie l’art de l’allusion et de l’ellipse. Pour reprendre un fragment d’Héraclite, Josu Martinez « ne dit ni ne cache, il signifie », son film est limpide et garde une part de mystère. Nous avons là un artiste qui manie le langage cinématographique avec talent. Il filme paysages et décors avec la discrétion et le sens du secret qui conviennent. Ses photos n’ont rien à voir avec les images d’Epinal aux quadrichromies survitaminées par Photoshop qui inondent revues et livres sur un Pays Basque à l’intention des touristes.
Bon tempo
Son sens du rythme et du silence sonne juste. Son usage sensible de la lenteur, comme celui de l’inexprimable, nous pénètrent au plus profond. Le bon tempo du film fait suinter le cyanure qui peu à peu nous tue. Ni esbroufe inutile, ni redondance, peu de mots suffisent pour dire les grandes douleurs. Un brin de jansénisme, un simple battement de cil, de la pudeur avant toute chose, quelques échanges de regards en disent assez. Il sait filmer la peur, celle de l’enfant puni, du soldat dévasté, du résistant aux abois, la peur farouche qui fait briller les jeux de l’andereño en lutte, la peur de ceux qui subissent, « la peur comme un corbeau penché sur le devoir, la peur qui perce les poumons d’une lame de fer, depuis le début, le chantage du pouvoir ».
Et pourtant, nous sommes aux antipodes du brûlot militant. Avec un sens très fin de la nuance, Bizkarsoro fait signe, dans un pays dont l’Etat veut faire disparaître et abandonne une langue, au nom du progrès, de la réussite individuelle, de l’intégration. L’acculturation mortifère et la créolisation qui va avec, s’avancent toujours masquées. Le phénomène d’une langue remplacée par une autre —celle du plus fort— laisse des traces et enclenche la rébellion, y compris chez les dépossédés, les muets. La tasse de chocolat jetée par l’enfant sur la une de Sud Ouest est un des sommets du film. L’allégorie transparente des mots enfouis dans la terre et qui, découverts par des jeunes gens, revoient la lumière, ne laissera personne indifférent. Bizkarsoro n’est pas le procès d’un crime collectif et d’une dépossession ; simplement des faits, l’approche sensible d’une épreuve terrible que traverse une communauté humaine dominée, dont la langue affaiblie, coupée est refoulé dans le silence.
Courez applaudir le tableau que brosse Josu Martinez, celui de notre histoire. C’est une claque, une bombe qui, espérons-le, sera plus bruyante que celles d’hier.
L’histoire bégaie
Récemment, l’ex-député européen Alain Lamassoure (co-auteur de l’article 2 de la Constitution français) fustige dans un rapport en anglais de l’Observatoire européen sur l’enseignement de l’histoire, « le retour à des lectures nationalistes allant jusqu’au mensonge, en Catalogne, en Euskadi, en Ecosse ». Encore l’histoire de l’oeil et de la poutre. Le nationaliste, comme le populiste ou le terroriste, c’est toujours l’autre, l’adversaire qu’il faut déconsidérer, éliminer au nom de la paix, du vivre ensemble, de la construction européenne et de l’universalisme. Pour cela, le petit, le faible, le minoritaire doivent se sacrifier, se taire, oublier ce qu’ils sont. Y a bon bwana, y a bon les harkis. Aux yeux d’Alain Lamassoure, n’aurions-nous qu’un seul droit, celui de porter un bâillon ? A croire que le combat du soi-disant Béarnais et ex-ministre contre les minorités nationales européennes, prend sur le tard des allures de croisade. En révélant une histoire occultée par l’État français et son Education nationale, le film Bizkarsoro lui répond.
L’histoire bégaie, à l’heure où l’ikastola de Briscous, expulsée de ses locaux, se bat le dos au mur. Comme dans Bizkarsoro, enseignants, élèves et parents de Beskoitze seront-ils obligés d’organiser la classe dans la rue ? Et d’être dispersés à coup de matraque par les gendarmes de la République ?
Euskal konfederazioa vient de tirer la sonnette d’alarme « Les dernières enquêtes sociolinguistiques montrent que la chute du nombre de bascophones a été stoppée. Mais d’ici 2050, la population du Pays Basque Nord aura augmenté d’environ cent mille personnes ». L’INSEE compte en Iparralde 3264 habitants supplémentaires en 2021. « Avec un apport de population exogène toujours plus important, la proportion des bascophones ne cesse de diminuer : 22,5% de bascophones en 2006, 19% en 2022. Et selon les prospections de l’OPLB, en 2050 ce chiffre serait en-deçà de 16%. Nous sommes loin des 30% permettant d’assurer la survie d’une langue », selon l’UNESCO. Le film Bizkarsoro, ses signes d’espoir et l’urgence des combats à venir résonnent en écho à cet effrayant constat.
Et que dire des effets dévastateurs d’une langue imposée brutalement, des souffrances psychiques des individus, tels que les décrit la psychologue Ainize Madariaga dans une récente étude?
Josu Martinez présente un miroir au long combat qui est le nôtre, celui de la récupération de nos droits, de nos identités linguistiques et culturelles. Nous disions dans quelques articles antérieurs, sur la guerre de 14-18 et sur l’émigration (1), combien nous attendions que des créateurs s’emparent de nos drames à la fois publics, intimes et occultés. Nous voilà exaucés. Souhaitons que Josu Martinez, avec le talent qui est le sien, poursuive dans l’expression de nos vies.
(1) https://eu.enbata.info/artikuluak/guerre-de-14-18-en-basse-navarre-13/
Pour en savoir plus :
Bizkarsoro ikusteko
Urtarrilak 14
Baiona, 16:30
Kanbo, 17:00
Donibane Lohizune, 18:30
Azpeitia: Soreasu antzokia, 19:30
Urruña, 19:30
Urtarrilak 15
Donibane Lohizune, 14:15
Baiona, 18:45
Donibane Garazi, 20:30
Hendaian, 20:30
Urtarrilak 16
Baiona, 14:15
Urruña, 17:05
Kanbo, 18:00
Donibane Lohizune, 19:00
Utarrilak 18
Urruña, 15:00
Donapaleu, 20:30
Kanbo, 20:30
Urtarrilak 21
Lapurdi, Getarian 17:00
Otsailak 16
Usurbilen
Otsailak 21
Bordalen, ALCA Auditorium, Bordeleko Euskal Etxeak antolaturik
Otsailak 25
Araba, Urkabustaizko kultur etxean, 18:00etan
Otsailak 29
Oiartzungo Landetxen, 19:30ean
Martxoak 3
Getarian
Astigarragan
Martxoak 5
Oreretan
Martxoak 13
Astigarragan, DBHko ikasleentzat
Martxoak 17
Bilbon Loraldia