Charte Européenne, une question de volonté politique

Manifestation des occitans, Carcassonne 2009
Manifestation des occitans, Carcassonne 2009

David Grosclaude, Conselhèr regionau d’Aquitània delegat a las lengas, President de la comission lengas regionaus de l’ARF.

La création d’un Comité Consultatif pour les langues minoritaires, ne change rien au fait que la décision sera du ressort du gouvernement. Charte européenne ou pas, la décision restera du domaine politique. David Grosclaude, nouvellement élu président du parti Occitan, membre du Comité consultatif, fait pour Enbata un point d’étape de cette démarche. 

Je ne peux pas présager de la suite qui sera donnée au travail du « Comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne ». La ministre de la Culture et de la communication a installé ce comité en lui demandant de rendre des propositions qui permettraient la mise en oeuvre des dispositions qui sont contenues dans la Charte européenne des Langues régionales ou minoritaires et que la France a signée, mais pas ratifiée.

En clair, il est entendu que les dispositions que la France avait dès 1999 souhaité mettre en oeuvre étaient conformes à la Constitution mais ce qui ne l’était pas (et qui ne l’est toujours pas) c’est l’esprit de la Charte qui donnerait des droits particuliers à des groupes particuliers ce qui irait contre le principe de l’unicité du peuple français et contre le principe d’égalité.

Je ne reviendrai pas sur cette vision de l’égalité et de l’unité qui est exprimée par le Conseil Constitutionnel. Je ne partage pas cette vision de la République mais nous travaillons dans le cadre d’une réalité et le Comité, quelle que soit la position personnelle de ses membres, travaille sur cette base.

Jusqu’à la fin du mois de juin, date à laquelle nous devrons avoir terminé le travail et à laquelle le président remettra le rapport je ne peux rien dire sur le contenu des propositions qui seront soumises à la ministre ; cependant il est clair que l’espoir qui est le mien — et partagé par d’autres membres du Comité— est de produire un rapport ambitieux, clair, qui permettra au gouvernement de prendre des mesures concrètes sous une forme législative ou réglementaire.

Notre lutte d’émancipation des peuples niés dans l’Etat français
peut s’appuyer sur celle des autres déjà en voie de libération :
Basques et Catalans au sud, Ecossais au nord…
La longue marche est loin d’être finie.

Contexte plus que défavorable

Il faut remarquer le Comité en question était annoncé alors même que l’idée de ratifier la charte n’était pas écartée par le gouvernement. En revanche son installation s’est faite  au moment où le projet de loi sur l’école était voté en première lecture et où le président de la République écartait l’idée d’une réforme constitutionnelle qui aurait pu permettre la ratification de la Charte européenne. Le contexte était donc catastrophique.

C’est la raison pour laquelle, lors de la première réunion de travail du Comité j’ai proposé une lettre adressée à la ministre, signée par Frédérique Espagnac, Paul Molac  et moi-même. Nous disions dans cette lettre notre inquiétude et nous demandions : «Après une telle semaine la déception des défenseurs et promoteurs de nos langues est immense. Ils nous interrogent sur l’intérêt de ce que nous allons pouvoir proposer dans un tel contexte. Et nous nous interrogeons aussi. Faut-il voir dans ces derniers événements un changement radical? Dans quel cadre devons nous faire des propositions? Celui que vous indiquiez lors de l’installation de ce comité ou dans un cadre différent? Les engagements du président de la République sont-ils toujours la base sur laquelle nous devons travailler ou faut-il revoir nos ambitions à la baisse?».

Dans un communiqué de presse la ministre nous a répondu qu’effectivement le président de la République et le premier ministre avaient estimé qu’il n’était pas possible: “quelle que soit la rédaction envisagée, d’introduire dans notre Constitution une disposition permettant de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, sans introduire de contradiction majeure avec l’article 1er et l’article 2 de la Constitution”. Cependant la ministre précisait que la France avait signé la Charte et que cela constituait un engagement. Pour cette raison elle demandait au Comité de continuer son travail de façon à lui faire des propositions dans la mesure où les dispositions de la Charte signées par la France sont tout à fait conformes à la Constitution; donc il est possible de les mettre en oeuvre.

Cela signifie qu’il n’y a donc qu’une question de volonté politique, ce que la ministre confirme dans sa conclusion en disant: “A la lumière des recommandations du comité, la ministre décidera en juin prochain – après consultation des parlementaires et des différentes parties concernées – s’il paraît opportun de traduire ces engagements dans des textes réglementaires et législatifs”.

David Grosclaude
David Grosclaude

Retour à la case départ

Nous voici donc revenus en quelque sorte à la case départ. Il y aura une loi si la volonté politique est au rendez-vous. Et c’est bien cela le problème. Car je ne doute pas que le Comité fera son travail et qu’il formulera des propositions concrètes. C’est en tous cas à cela qu’il s’attache dans la mesure où il aura auditionné de très nombreuses personnes. Ce travail est en cours et il est très instructif dans la mesure où l’on voit apparaître que les propositions ne manquent pas. Mais cela nous le savions déjà pour certains d’entre nous.

Le Comité est composé de personnalités diverses. Quatre élus (deux sénateurs, un député et moi-même comme conseiller régional) des linguistes, des constitutionnalistes, un fonctionnaire territorial et un président qui est un ancien préfet et ancien conseiller d’État.

Les réunions visent à passer en revue chacun des engagements de la Charte signés par la France et à voir ce qu’il est possible de proposer en ces domaines après avoir entendu des responsables associatifs, des fonctionnaires, des élus, des artistes, des créateurs et autres porteurs de projets dans le domaine des langues.

Des questions et pas de doctrine

Mais sur quelles langues faut-il porter l’effort et surtout faut-il traiter toutes les langues de la même façon? C’est une des questions à laquelle il faudra apporter une réponse. En effet, parmi les soixante quinze langues qui sont dans la liste des langues de France, toutes ne sont pas dans la même situation. Toutes n’ont pas le même niveau de revendication; toutes n’ont pas les mêmes besoins immédiats, même si elles sont toutes égales en droit.

La question des créoles parlées en Martinique, Guadeloupe, Réunion ou Guyane se pose de façon particulière; ce sont des langues très parlées (mais pour combien de temps si rien n’est fait?) et leur présence dans la vie publique est à aborder d’une façon peut-être un peu différente, de même que leur présence dans l’enseignement.

Les langues de Guyane ou de Nouvelle-Calédonie, qui sont parlées par des populations très réduites en nombre parfois, ne seront sans doute pas aidées en priorité par des mesures identiques à celles que l’on peut préconiser pour le basque, l’occitan, le breton ou le catalan par exemple.

Que faire avec des langues sans territoire mais qui sont parlées chez nous (yidish, romani…)? Quelle politique avoir vis-à-vis des langues de l’immigration. Pour ces dernières il n’y a pas de risque de les voir disparaître de la surface de la planète si la France ne prend pas des mesures claires. Le portugais, l’arabe se parleront encore même si la France ne fait rien. Mais est-ce une raison pour ne rien faire?

Au travers de toutes ces questions on voit bien l’immense retard que peut avoir la France en matière de politique linguistique. La France n’a pas de doctrine, hors de celle qu’elle pratique depuis des années et qui mène à l’éradication de nos langues.

Qui fait quoi ?

L’histoire nous montre que les progrès ont été rares en France en matière de politique linguistique. Le petit pas de la loi Deixonne de 1951 fut possible grâce à ce député du Tarn qui n’était en rien un militant des droits des langues. Il m’avait confié, il y a quelques années, que, s’il avait permis le vote de la loi, c’était parce qu’il était un «parlementaire consciencieux» à qui on avait confié une mission et surtout parce que, successeur de Jaurès dans sa circonscription et socialiste convaincu, il avait lu des articles de son prédécesseur qui encourageait à la présence de l’occitan à l’école. Et c’est sans compter avec les conditions très particulières dans lesquelles la loi fut votée.

Autant dire que tout reste à faire ou à refaire. La loi sur l’école, la loi sur les collectivités, sont des opportunités pour mettre en place une politique linguistique digne de ce nom. C’est un choix politique. Le Comité Consultatif ne fera que remettre un rapport et, aussi complet qu’il puisse être, la décision appartiendra au politique.

J’ai accepté d’être dans ce comité parce que j’estimais qu’il y avait des choses à faire passer notamment sur la question de savoir qui doit porter la politique linguistique. Car, ce que l’on doit faire, les mesures à prendre nous les connaissons depuis longtemps, que ce soit à l’école, dans les médias ou la vie publique.

Savoir qui fait est une autre question qu’il faudra trancher. Je suis convaincu que la politique la plus efficace sera de donner les moyens aux collectivités appropriées de mettre en place des mesures. L’État doit aussi prendre ses responsabilités et faire en sorte que les moyens soient disponibles mais la conduite de ces politiques doit, de mon point de vue, être du ressort d’un pouvoir de proximité. C’est la parole que je porte aussi au sein du Comité consultatif et je ne suis pas le seul; les témoignages, les auditions diverses apporteront, sans aucun doute, des arguments supplémentaires à ceux qui pensent ainsi et le rapport pourra en faire état.           

D.G.

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