Le courage d’un juge

IMG_20190917_220621Coup de tonnerre en France ce lundi 16 septembre, un juge de Lyon(1) a ordonné “la relaxe au bénéfice de l’état de nécessité et pour motif légitime” de deux activistes d’Action Non-Violente COP21, poursuivis pour avoir décroché un portrait officiel du président Macron dans le but de dénoncer l’inaction climatique du gouvernement. Ce jugement fait la une des journaux, radios et télévisions françaises, est abondamment commenté(2) et amène même des ministres à critiquer publiquement une décision de justice, sortant ainsi de leur devoir de réserve lié au principe de séparation des pouvoirs.

L’arroseur arrosé

Le troisième procès d’une longue série (une vingtaine qui doivent s’étaler jusqu’en septembre 2020) de procès intentés aux décrocheuses et décrocheurs de portraits Macron vient d’exploser à la figure du gouvernement. Des consignes nationales avaient en effet été passées demandant aux gendarmes d’inciter les maires des communes où étaient décrochés les portraits présidentiels à porter plainte. Le Bureau de lutte antiterroriste (BLAT) avait même été saisi. Les chefs d’inculpation, “vol en réunion et par ruse”, faisaient risquer aux personnes poursuivies jusqu’à cinq ans de prison et 75.000 euros d’amende.

Les militants climat viennent de gagner la première manche du bras de fer auquel les a invité le gouvernement. Tout d’abord, ce bras de fer n’a intimidé personne. La multiplication des gardes-à-vue, des perquisitions et des procès n’a pas empêché plus de mille activistes de participer aux 130 opérations de décrochage réalisées depuis février dernier. Pourtant, les consignes de départ étaient claires, il fallait assumer le risque d’être arrêté voir d’être incarcéré. Directement inspirés de la campagne des “libérations de Marianne” menée en 2002 par le mouvement des Démo(3), Bizi et ANV-COP21 savaient en initiant la dynamique des décrochages de portraits Macron que ce type d’action avait coûté à l’époque la condamnation à deux mois de prison ferme du militant basque Nikolas Padrones.

Ensuite, cette décision vient de transformer cette campagne militante en interpellation de l’ensemble de l’opinion publique sur le vrai bilan climat du gouvernement et les tragiques conséquences de son inaction.

L’État a immédiatement fait appel de cette relaxe et on peut évidemment penser qu’elle sera cassée en seconde instance.

Mais l’impact de cette décision, et de ses motivations (4), va marquer durablement la bataille du climat, qui justement a décidé d’investir le terrain juridique (Procédure “l’affaire du siècle” contre l’État pour “inaction climatique”, menaces de plaintes de maires contre la multinationale Total etc.).

Les prochains procès de décrocheurs vont être suivis de près. Le mouvement ANV-COP21 avait déjà réussi à transformer les premiers en procès de l’inaction climatique du gouvernement, avec notamment des climatologues rédacteurs des rapports du GIEC acceptant de venir y témoigner. Cette dimension, qui fait des 20 procès autant de mobilisations supplémentaires de cette campagne #DécrochonsMacron, en sort bien évidemment renforcée.

Et maintenant ?

Cette décision du juge de Lyon inspire deux réflexions.

Elle vient valider le potentiel indéniable des stratégies 100% non-violentes à partir du moment où elles sont déployées avec constance, cohérence et détermination. Une série d’actions à priori purement symboliques vient d’interroger la société dans son ensemble et d’interpeller l’État de droit dans ses fondements mêmes. Le péril climatique est tellement imminent et décisif que l’inaction gouvernementale dans ce domaine peut justifier d’absoudre une action illégale visant à la dénoncer. Un tribunal vient d’ouvrir un débat politique de taille, a lancé une interpellation publique du gouvernement qui ne sera pas sans coût pour ce dernier. Le témoignage à ce procès d’un contributeur du GIEC ou cette décision inédite de relaxe n’auraient pas été envisageables si l’action d’ANV-COP21 était sans ambiguïté possible totalement non-violente. Cette relaxe et sa motivation constituent un acte courageux, à la hauteur du défi historique auquel nous avons à faire face, posé par un homme en situation de responsabilités, qui prend ainsi des risques évidents quant à sa carrière ou à sa réputation.

La décision du juge de Lyon, et sa motivation,
viennent valider le potentiel indéniable
des stratégies 100 % non-violentes
à partir du moment où elles sont déployées
avec constance, cohérence et détermination

Mais il le fait, malgré cela, comprenant sans doute que chacun d’entre nous doit aujourd’hui répondre à une question lourde de sens. Et moi que dois-je faire, que puis-je poser comme acte décisif, pour pouvoir me regarder dans un miroir dans 20 ou 30 ans, quand ce que nous aurons fait —ou pas— aura contribué -ou non- à limiter les dégâts du dérèglement climatique en cours d’accélération et d’aggravation ?

Cette question, et la réponse que vient d’y apporter ce juge, interpelle toutes les personnes en situation de responsabilité.

Ici, au Pays Basque, quel acte d’ampleur, quelle décision individuelle, forte et courageuse, prendront, maintenant, sans plus attendre, chaque élu.e ; chaque personne en situation de responsabilité dans une entreprise, une administration, une institution ; chaque dirigeant. e d’association, de parti ou de syndicat, chaque journaliste, enseignant.e, leader d’opinion?

Les réponses individuelles à cette question peuvent, mises bout à bout, peser beaucoup dans la bataille actuelle, dont dépend rien moins que le sort de l’Humanité.

(1) Et pas n’importe lequel. M. Marc-Emmanuel Gounot est secrétaire général de l’Association française des magistrats instructeurs (AFMI). Cette association professionnelle, apolitique, totalement indépendante et refusant toute donation ou subvention, est fréquemment consultée par les Pouvoirs Publics sur les projets de réformes pouvant intéresser l’Instruction et les magistrats instructeurs. Magistrat reconnu et respecté par ses pairs, il est partout décrit comme “un juriste respectueux des textes”, “extrêmement rationnel”, “accessible mais discret” selon le quotidien Le Parisien.

(2) Dalloz Actualité, qui fait référence en matière de Droit, lui consacre un long article Décrochons Macron : “l’état de nécessité climatique ?. On peut notamment y lire “L’état de nécessité (…) constitue -d’une certaine manière- la possibilité donnée aux juridictions de prolonger le pouvoir d’opportunité de poursuite reconnu au seul ministère public, en relaxant l’auteur d’une infraction qu’il aurait peut-être été plus sage de ne jamais déférer devant les tribunaux répressifs. Dit en d’autres termes peut-être plus généraux, la Justice se doit, avant toute chose d’être juste : l’illégalité d’un acte doit, parfois, savoir s’effacer au profit de sa légitimité”.

(3)Démocratie pour le Pays Basque”, mouvement non-violent ayant réalisé de nombreuses actions de désobéissance civile dans les années 2000.

(4) “Attendu que le dérèglement climatique est un fait constant qui affecte gravement l’avenir de l’humanité en provoquant des cataclysmes naturels dont les pays les plus pauvres n’auront pas les moyens de se prémunir et en attisant les conflits violents entre les peuples, mais aussi l’avenir de la flore et de la faune en modifiant leurs conditions de vie sans accorder aux espèces le temps d’adaptation requis pour évoluer ; que si la France s’est engagée sur le plan international et sur le plan interne, selon essentiellement trois indicateurs, à respecter des objectifs qui sont apparus au gouvernement sans doute insuffisants mais du moins nécessaires à une limitation, dans une mesure supportable pour la vie sur terre, d’un changement climatique inéluctable, mais que les pièces produites par la défense témoignent que ces objectifs ne seront pas atteints” ou encore “Attendu que la conservation de ce portrait, qui achève de caractériser sa soustraction volontaire, n’était certes pas une suite nécessaire au marquage d’une forme d’appel adressé au président de la République, face au danger grave, actuel et imminent, à prendre des mesures financières et réglementaires adaptées ou à défaut rendre compte de son impuissance ; que cette conservation obéit néanmoins à un motif légitime dès lors que l’usage du portrait semble s’être limité à son exhibition au service de la même cause à l’occasion de manifestations publiques […]”.

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