Vers une métamorphose féministe

2022-04-01-BizkaikoErresidentizakGaraipena

Le 18 mars dernier, deux membres de la direction du syndicat ELA ont animé à Bayonne une formation spéciale devant un groupe de responsables de la Fondation Manu Robles- Arangiz, de Bizi, d’Alda etc. Ane Zelaia, responsable du Plan stratégique pour l’équité des genres au sein d’ELA, et Leire Txakartegi, responsable de l’organisation dans le syndicat, ont présenté le processus enclenché dans la plus grande organisation abertzale du Pays Basque pour tenter d’y mener à bien une véritable métamorphose féministe. Le même jour, les travailleuses assurant le ménage au Musée Guggenheim, syndiquées à ELA, remportaient une grève de neuf mois, améliorant ainsi leurs conditions de travail et mettant un terme à l’écart de rémunération qui existait entre les hommes et les femmes.

Historiquement, le syndicalisme a été pensé par les hommes, majoritaires dans le monde du travail, pour défendre les intérêts des hommes. ELA n’a pas fait exception à cette règle. Cependant, on peut souligner trois événements précurseurs du processus pour l’équité des genres enclenché au sein du syndicat en 2014.

Dès les années 90, le syndicat crée le département de l’égalité des genres. Les femmes étaient un secteur de plus (tout comme les jeunes, les migrants, etc.) que suivait le syndicat. Cependant, les réunions des déléguées et militantes au sein de ce département n’avaient pas beaucoup d’influence sur le reste du syndicat. En 1999, le syndicat fait un pari de rénovation générationnelle et de genre. Pour la première fois cinq femmes entrent à la direction du syndicat, au sein du Comité National d’ELA, dont les 36 membres avaient toujours été des hommes jusque là.

Enfin, le syndicat ELA est très présent dans les secteurs précarisés qui sont de plus en plus féminins. Ainsi, le syndicat s’est fortement engagé dans de longues grèves menées par les salariées des Ehpad sans pour autant les voir au début comme des luttes féministes.

En 2017, victoire de la lutte menée par 5000 salarié-es des maisons de retraite de Biscaye, essentiellement des femmes près 2 ans de mobilisation et 378 jours de grève.
En 2017, victoire de la lutte menée par 5000 salarié-es des maisons de retraite de Biscaye, essentiellement des femmes près 2 ans de mobilisation et 378 jours de grève.

Contexte d’une décision politique

La moitié de la classe des travailleur.ses est composée de femmes. Tout syndicat voulant pouvoir se dire féministe doit repenser toute son organisation et sa stratégie à l’aune de cet- te réalité de base. Pour ELA, il s’agit d’abord de le faire dans un souci de cohérence, en tant que syndicat de transformation. Mais aussi de justice sociale : pour agir efficacement contre la précarité, il faut prendre en compte le fait que ce sont les femmes qui sont majoritairement dans cette situation. En 2014, la décision politique a été prise de mettre en place un processus de changement organisationnel au sein d’ELA pour atteindre l’équité de genre.

Diagnostic via l’analyse de genre

Le département de l’égalité des genres a lancé la dynamique avec le soutien total de la direction du syndicat, et en sollicitant l’aide de consultants extérieurs. C’est le réseau Oreka, composé de militantes féministes, qui a été sélectionné. Pour l’accompagnement du syndicat ELA, Oreka a proposé une collaboration avec la spécialiste Natalia Navarro, de Barcelone, qui a créé le concept de “Changement organisationnel pour l’équité de genre”.

Les 340 permanents de la structure syndicale, de la direction aux autres instances, plus un certain nombre de délégué.es syndicaux y ont été participé via des questionnaires, des ateliers et des entretiens. De plus, le fonctionne- ment, la pratique, les documents internes comme les discours politiques, ont fait l’objet d’un audit. L’intervention extérieure pour ce diagnostic a été un élément clé pour que le syndicat se regarde dans le miroir sans com- plaisance et en assumant l’image renvoyée. La direction du syndicat s’est tout de suite appropriée le résultat du diagnostic et l’a présenté au reste de l’organisation.

Le diagnostic de genre a identifié trois niveaux où il convient d’intervenir. D’abord le niveau technique (les outils existants et moyens mis en place), le niveau politique (concernant le fonctionnement, les processus de prises de décisions et la participation) et enfin, le niveau culturel (où on agit après avoir travaillé sur la partie technique et politique) concernant les valeurs, les croyances et règles non-écrites de toute structure.

Ane Zelaia,  membre du Comité Exécutif d’ELA, en charge du Plan stratégique pour l’équité des genres.
Ane Zelaia, membre du Comité Exécutif d’ELA, en charge du Plan stratégique pour l’équité des genres.

Inégalités et discriminations au sein des organisations

Le concept d’égalité de genre qu’ELA utilisait consistait à traiter tout le monde de la même façon. A la question “Créez-vous une discrimination ?” la réponse apportée “Non, tout le monde est traité de la même façon…”a montré ses limites. L’égalité ne s’obtient pas en traitant tout le monde de la même façon, mais en misant le résultat de notre action sur la réduction des inégalités. Si deux personnes qui ont un point de départ différent sont traitées de la même façon, on maintient la discrimination et on n’atteint pas l’égalité.

Ainsi, le diagnostic a permis de définir le genre de l’organisation ELA, en montrant quelles personnes se trouvaient en situation de désavantage au sein du syndicat.

De la même façon ont été analysées les conséquences de revendications à priori considérées comme d’intérêt général : l’augmentation salariale ne prenant pas en compte les écarts de salaire femmes-homme, la réduction du temps de travail ne pouvant bénéficier aux femmes majoritaires dans les temps partiels non choisis, la mise en avant dans les discours des accidents de travail (où les hommes sont plus exposés) au détriment de maladies professionnelles touchant plus les femmes…

Le diagnostic a permis de se poser des questions sur le modèle de mobilisation proposés (favorisant ou pas la participation des femmes…) ; de prendre en compte l’importance de la sous-représentation des femmes dans les lieux de pouvoir informel qui sont influencés par le biais de genre ; de se rendre compte que le département juridique où les femmes sont sur-représentées était vécu comme ayant juste un rôle technique, alors que sa contribution à l’amélioration des conditions de travail des salarié.es est majeure et que son intégration aux instances de décision du syndicat devait donc être renforcée ; de voir dans quelle mesure les assemblées des salarié.es favorisaient ou pas la participation des femmes et com- ment des espaces spécifiques pouvaient favoriser l’expression et la diffusion de la voix des femmes, etc. Le syndicat ELA a pris conscience que même s’il pensait défendre l’intérêt général via ses revendications historiques, c’était plus majoritairement la défense de celui des hommes qui était assurée. En prenant le pari de l’équité des genres, le syndicat montre qu’il a pris conscience des causes structurelles de l’inégalité de genre dans la société. Même le modèle militant et l’imaginaire syndical (le type de leadership ou le “syndicaliste idéal”) reposant sur la “disponibilité”, sont remis en question. Les horaires des formations, qui limitaient souvent la participation des femmes, ont été adaptés pour assurer leur présence.

Plan stratégique pour l’équité des genres

Entamé en 2014, le diagnostic de genre a duré deux ans. Les deux années suivantes ont permis d’assimiler ce diagnostic et de le partager avec l’ensemble de la structure. La direction u syndicat a animé ce travail de présentation pour que toute la structure s’approprie le diagnostic. En 2018, et pendant deux ans, un processus participatif a été enclenché pour dessiner le futur plan stratégique. La pandémie a retardé la progression du chantier, mais le congrès de novembre 2021 a validé le plan stratégique (avec ses objectifs stratégiques et opérationnels) qu’il faudra mettre en œuvre durant les quatre prochaines années. Chaque secteur du syndicat aura pour cela un plan opérationnel annuel dans lequel les objectifs et indicateurs de résultat seront précisés.

La planification dans un syndicat n’est pas la chose la plus facile car la structure est souvent contrainte à agir en fonction de la réalité mou- vante du monde du travail, le tourbillon des urgences quotidiennes. Pour corriger toutes les situations de discrimination identifiées par le diagnostic, une vraie planification est apparue comme indispensable, car le besoin de réagir à l’actualité fait que tout ce qui n’est pas planifié sort de l’agenda des priorités.

Leire Txakartegi,  membre du Comité Exécutif d’ELA, en charge de l’Organisation.
Leire Txakartegi, membre du Comité Exécutif d’ELA, en charge de l’Organisation.

Changer la chaîne du vélo, tout en roulant

Le plan stratégique a permis de lister les actions pour l’égalité de genre qui concerneront tous les domaines de la structure : négociation collective, élections syndicales, services juridiques, mobilisations, etc. Pour être efficace au niveau de l’équité, c’est une action intégrale qu’il faut et pas limitée à certains secteurs, comme ce qui a pu être effectué jusqu’à maintenant. Le processus représente un grand défi car il demande “de changer la chaîne du vélo tout en continuant à rouler dessus”.

Les différents niveaux de formation formelle sur l’analyse de genre, informelle (relevant plus du domaine de l’inconscient, des stéréotypes…) et les espaces de socialisation et conscientisation pour créer une socialisation au sein du syndicat (des expériences et savoirs des différents collectifs des femmes existant au sein d’ELA), seront renforcés. Le plan stratégique prévoit la mise en place d’une architecture de genre pour revoir l’organisation syndicale, travailler autrement, assurer la coordination de tous les secteurs du syndicat et le partage de connaissance et d’expérience de tout ce qui concerne l’équité de genre.

C’est le réseau Oreka qui a suggéré la mise en place de cette architecture pour ne pas limiter la question de genre au “département du genre” et pour bien montrer que la responsabilité est partagée grâce à la désignation de personnes relais. Celles-ci, dénommées“Irule” sont présentes dans chacun des secteurs du syndicat pour veiller à la bonne mise en pratique du plan de genre dans son domaine. Un lieu de coordination de ces “Irule” a été aussi prévu pour répondre aux questions, tirer des leçons, apprendre du terrain… Et enfin, des “groupes de genre” où les membres de l’exécutif et des “Irule” sont représentés assurent le rôle moteur de la dynamique, le partage d’expériences pour savoir comment avancer dans la mise en pratique le plan de genre.

Cette architecture formalisant les espaces de conscientisation et socialisation est une innovation : ELA veut organiser les femmes dans ces espaces, pour y favoriser un processus émancipateur et pour que les propositions issues et les savoirs créés dans ces espaces soient pris en compte, au moment de définir la stratégie ou les axes de travail du syndicat, dans les négociations collectives, les mobilisations, etc. Enfin il est clair que le but est d’être à moyen et long terme plus efficace pour mettre en pratique les objectifs politiques du syndicat et améliorer les résultats du travail de la structure syndicale et de ses militant.es… tout en assurant la qualité de vie de l’ensemble des militant.es.

ELA, un syndicat féministe

Le processus pour l’équité des genres entamé en 2014 par ELA a beaucoup appris au syndicat qui a aussi beaucoup évolué. Lorsqu’on effectue des entretiens avec les personnes voulant travailler dans le syndicat, on leur demande ce qu’ils ou elles connaissent d’ELA. De plus en plus de réponses mentionnent qu’ELA est le syndicat des secteurs féminisés, le syndicat féministe, etc. Durant tout ce processus et grâce à lui, des femmes et hommes féministes d’une nouvelle génération sont rentrés dans le syndicat et se sont sentis à l’aise. Il y a quinze ans, la grève des femmes de ménage de la maison de retraite d’Ariznabarra en Araba avait été longue (trois ans) et victorieuse, mais l’angle féministe n’avait pas été perçu et encore moins mis en avant. Dix ans plus tard, les grèves dans les Ehpad de Bizkaia ont aussi débuté comme des grèves classiques sur des revendications salariales, mais la mobilisation, émancipatrice, pour améliorer les conditions de travail s’est métamorphosée en lutte féministe (lire à ce sujet le livre Berdea da more berria de la journaliste d’Argia Onintza Irureta). De même pour les services de nettoyage des commissariats de Gipuzkoa. Dans les premières réunions de préparation de leur future grève victorieuse, qui elle aussi a duré neuf mois, les militantes impliquées ne voulaient pas entendre parler de la dimension féministe. “Ne mélangeons pas tout, nous on est juste là pour nos salaires et nos conditions de travail”, disaient-elles. Mais la dynamique même de la mobilisation a, peu à peu, intégré et mis en avant toute la dimension féministe de ces revendications-là.

Enfin, le syndicat ELA a participé activement aux dernières grèves du 8 mars à l’appel du mouvement féministe. Ce format de grève, qui ne se limitait pas aux entreprises mais a intégré la notion de grève des obligations domestiques, illustre également la transformation en cours au sein du d’ELA

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