Personne n’attend le préfet au Pays Basque. Que ce soit pour son rejet du statut de résident ou pour son estimation du problème des résidences secondaires. Cette autorité semble se substituer à une démocratie locale et à la souveraineté du territoire.
Le 15 février dernier, le préfet des Pyrénées-Atlantiques Éric Spitz répondait aux questions du quotidien Sud-Ouest au sujet de la crise du logement au Pays Basque. Annonce majeure : le lancement d’un comité de pilotage sur le logement au Pays Basque et sa volonté de faire usage de son “droit de dérogation”.
Cette si inamovible Constitution…
À première vue, l’interview du préfet paraît très flatteuse. Elle donne l’impression d’un homme, et derrière lui de l’État, prêts à faire des efforts pour aller dans le sens de la résolution des besoins du Pays Basque en matière de logement. La plupart des annonces sont, n’en doutons pas, de très bonnes nouvelles.
Mais pour ma part, de la même manière qu’une confiserie de mon enfance avait le don de générer un “deuxième effet” à la suite du premier, cette interview a tout de même eu le don de m’agacer, en particulier dans le ton utilisé et les fins de non-recevoir formulées.
L’impression est en l’occurrence d’autant plus mitigée qu’elle survient en fin d’entretien, dans la dernière question. Reprenant la proposition portée ici par Euskal Herria Bai, le journaliste interroge : “Le statut de résident a-t-il du sens ?” Le préfet répond ainsi : “Il n’est pas conforme aux principes constitutionnels d’égalité des citoyens et de propriété. Je rappelle que le taux de résidences secondaires est stable au Pays basque, à 21 % depuis plus de dix ans.” Un rejet classique, le même qui fut opposé à nos amis corses lorsqu’ils avancèrent cette même proposition il y a quelques années dans leur île, de surcroît ceints de la légitimité d’un vote de l’Assemblée de Corse.
S’il est salutaire que l’État accompagne les collectivités,
je ne peux m’empêcher de voir
derrière cette si jupitérienne communication préfectorale
— et ce même dans ses velléités dérogatoires—
la volonté d’un corsetage centralisateur.
Il est d’abord à noter que le préfet ne se soucie pas de répondre à la question, qui était bel et bien de savoir si à son avis la mesure avait “du sens”, c’est-à-dire si elle pourrait avoir une justification de principe, une légitimité au regard de la situation. Il se contente de répondre que c’est anticonstitutionnel, une réponse aussi lapidaire que définitive. Peu importe son avis personnel à vrai dire, ce qui me choque est ailleurs : si le rôle d’un préfet consiste effectivement à rappeler la loi, un minimum aurait été de nuancer que cette mesure est effectivement anticonstitutionnelle à droit constant, mais que le droit étant par nature inconstant —il évolue même régulièrement et c’est heureux— rien n’assure que le statut ne devienne pas conforme à plus ou moins brève échéance.
Cette réponse me fait penser à celle que me fit Michèle Alliot-Marie lors d’une séance de conseil municipal luzien, vers 2006-2007, alors qu’Abertzaleen Batasuna faisait campagne active pour une surimposition des résidences secondaires : “vous serez retoqué au Conseil constitutionnel !” Sentence tout aussi définitive mais qui s’est depuis heurtée à la réalité des faits : on surtaxe aujourd’hui les résidences secondaires, même à Saint-Jean-de-Luz !
Quant au statut de résident, rappelons à M. Spitz que des dispositifs équivalents existent dans des territoires français à statut particulier, ainsi en Nouvelle- Calédonie. La constitution est bien plus souple qu’elle n’y paraît et les mesures d’expérimentation de plus en plus courantes…
Taux et valeurs absolues
Juste ensuite, M. Spitz paraît tout de même donner une idée de son sentiment personnel sur la question, en précisant que le taux de résidences secondaires reste stable, rendant en filigrane toute mesure supplémentaire inutile. Je ne connais pas M. Spitz, mais j’imagine volontiers qu’il sait faire la différence entre un taux et une valeur absolue. Les tenants du statut de résident fondent leur idée sur la nécessité de freiner l’augmentation des résidences secondaires en valeur absolue plus encore qu’en taux. Le taux reste en effet stable parce que l’on construit aujourd’hui davantage de résidences principales. Mais on continue par ailleurs de construire toujours plus de résidences secondaires, les prévisions du PLH les estimant même à 50.000 dans 6 ans, soit 5-6000 de plus qu’aujourd’hui ! Rien de “stable” là-dedans…
On ne peut s’empêcher de voir enfin derrière ces propos un tri bien malheureux parmi les dispositifs législatifs dont M. Spitz se pose en garant, oubliant ainsi par exemple la loi Climat et Résilience, qui réclame notamment de freiner les extensions à l’urbanisation et donc de mieux valoriser les logements existants avant d’en construire de nouveaux…
Laisser s’exprimer les territoires
Mais plus encore que tout cela, je suis perplexe sur le ton qu’emploie notre préfet, jusque dans les points les plus positifs de son discours. “Je suis prêt à faire ma part de chemin”, dit-il au sujet de l’encadrement des locations, comme s’il s’agissait d’une faveur réclamée et non d’un territoire ayant analysé ses besoins et adopté ses solutions. L’article cite même en chapeau : “[le préfet] dévoile ses solutions, et espère que les acteurs locaux suivront son engagement et sa détermination”. Franchement M. Spitz, et avec tout le respect que je vous dois, personne ne vous a attendu au Pays Basque ! La plupart des points évoqués se trouvent avoir été élaborés et votés par des élus locaux. S’il est salutaire que l’État accompagne les collectivités, je ne peux m’empêcher de voir derrière cette si jupitérienne communication préfectorale —et ce même dans ses velléités dérogatoires— la volonté d’un corsetage centralisateur.
Et si demain la CAPB décidait de considérer que le taux de résidences secondaires devait baisser plutôt que d’être stable, voire de voter un statut de résident comme en Corse, serait-il tolérable que le préfet vienne ainsi lui faire la leçon ? En est-on donc encore au Premier Empire, quand la démocratie locale s’effaçait derrière cet “empereur au petit pied” qu’était le préfet ? Où est donc le siège de la légitimité démocratique, celui de la souveraineté du peuple ? Dans les exécutifs locaux ou à la préfecture de Pau ?
On peut toujours voir dans les propos préfectoraux le verre à moitié plein ou au contraire à moitié vide. Mais je garde en bouche cet arrière-goût : accompagner les territoires est une chose, mais laissons-les donc s’exprimer et agir avec davantage d’autonomie d’action, ils sont en effet les mieux placés pour savoir ce dont ils ont besoin.