Suite de l’article Résister à la langue unique publié en septembre.
Longtemps l’école française a imposé la langue unique en excluant les autres à coups de règle sur les doigts et sur la tête, ou par d’autres châtiments plus subtils.
C’est ainsi qu’au Pays Basque, par exemple, il a fallu trois générations pour avoir enfin une génération vraiment bilingue à laquelle j’appartiens.
Avec une pédagogie correcte, une seule génération aurait suffi dans un peuple qui s’adapte si aisément aux langues étrangères, tout en leur donnant ses propres tournures.
C’est ainsi qu’au haut Moyen-Age nos ancêtres ont fait jaillir du latin le gascon au nord et le castillan au sud, et qu’au XXe siècle les bergers basques se sont bien défendus dans le Far West américain en ajoutant l’anglo-américain à leur langue maternelle, tout en transmettant celle-ci à leurs enfants.
En fait l’école française nous a traités comme des petits chiens sachant tout juste japper, auxquels il fallait apprendre à parler. Le simple bon sens aurait voulu que l’on parte de la parole que nous possédions déjà. Mais le dogme de la langue unique ne le permettait sans doute pas.
Que de temps perdu et de peines d’enfants !
Enfin une lente libéralisation se fit jour dans la seconde moitié du XXe siècle à partir de la très timide loi Deixonne votée le 11 janvier 1951.
Dans son article 3 elle ouvre enfin une petite fenêtre : “Tout instituteur qui en fera la demande pourra être autorisé à consacrer, chaque semaine, une heure d’activités dirigées à l’enseignement des notions élémentaires de lecture et d’écriture du parler local et à l’étude de morceaux choisis de la littérature correspondante. Cet enseignement est facultatif pour les élèves.” Article 6 : “Dans les lycées et collèges, l’enseignement facultatif de toutes les langues et dialectes locaux, pourra prendre place dans le cadre des activités dirigées.” L’article 7 prévoit la création de chaires pour l’enseignement des langues et littératures locales, ainsi que de l’ethnographie folklorique. Article 8 : “De nouveaux certificats de licence et diplômes d’études supérieures, des thèses de doctorat sanctionneront le travail des étudiants qui auront suivi ces cours.” Ce qui permettra de former des enseignants.
En 1969 un tournant se produit dans l’enseignement du basque : d’une part c’est la création de la première ikastola du Pays Basque nord, de l’autre Le député Michel Inchauspé, secrétaire d’Etat aux DOM-TOM dans le gouvernement Couve de Murville, sous la présidence de Georges Pompidou, obtient la création de trois postes d’instituteurs itinérants qui desserviront plusieurs écoles publiques, à raison de trois heures par semaine pour chacune : ce sont en quelque sorte deux pottok de Troie qui vont brouter dans la ligne Maginot de la langue unique.
Les ikastola se développeront dans le réseau Seaska et obtiendront en 1994, avec le ministre de l’Education nationale François Bayrou, le statut d’écoles privées sous contrat avec l’Etat. Elles feront des émules dans les autres “langues régionales”.
Leur enseignement par immersion concerne aujourd’hui plusieurs milliers d’élèves en Bretagne, autant dans les pays occitans, comme au Pays Basque. Il débute en Alsace, en Catalogne du nord et en Corse. Le gouvernement le remet-il en question ? La question est grave. Les langues régionales sont certes admises dans l’enseignement par la loi Toubon qui, depuis 1994, remplace la loi Deixonne, mais ce droit reste à étendre et d’abord à consolider dans les faits.
D’autre part aucune loi générale ne protège les “langues régionales” exclues de l’espace public, considérées comme des langues privées. L’article 2 de la Constitution, “Le français est la langue de la République”, est toujours interprété dans un sens restrictif, défavorable aux “langues régionales”. La France refuse de ratifier la Charte européenne par suite de la même interprétation néo-jacobine de sa Constitution. Plusieurs Présidents successifs ont promis à sa place une loi-cadre, mais on l’attend toujours. De plus la réforme du lycée semble réduire considérablement la part des “langues régionales” dans le second cycle du secondaire. L’Office Public de la Langue Basque créé en 2004 à Bayonne fait ce qu’il peut pour mener une politique linguistique dans le cadre étroit qui lui est imparti. Malgré une ouverture récente initiée vers la fin du XXe siècle, beaucoup reste donc à faire dans la République Française en matière de droits linguistiques, mais au lieu de progresser l’on risque de régresser par excès d’orgueil cocardier, d’après certains propos ministériels.