En moins de deux semaines, le tribunal constitutionnel et les Cortes se sont brutalement opposés aux décisions souverainistes prises par les institutions catalanes. La Catalogne n’en a cure, le processus suit son cours pour le référendum du 9 novembre. Ellande Duny-Pétré analyse l’intransigeance espagnole et la persévérance catalane.
“En Catalogne, toutes les démarches politiques importantes relèvent de la masturbation”, a écrit dans un livre récent le président du tribunal constitutionnel espagnol, Francisco Perez de los Cobos (*).
Un autre magistrat de ce tribunal, Antonio Garcia-Trevijano a signé en 2006 un article sur la Catalogne, intitulé : “L’élixir nazionaliste, avec un z, celui des nazis”. Avec de telles convictions, il ne fallait pas s’attendre à une autre sentence de la haute cour que celle qui est tombée le 26 mars. A l’unanimité de ses onze membres, le tribunal a annulé la déclaration de souveraineté votée par 63 % des députés du parlement catalan le 23 janvier 2013. Tout simplement parce que l’article 2 de la Constitution espagnole déclare “l’indissolubilité de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols”, mais cette norme fondamentale n’est pas inamovible, ajoutent sans rire les magistrats…. Les élus catalans peuvent donc demander une modification de la Constitution.
Qu’à cela ne tienne, les députés demandent aux Cortes espagnoles le droit d’organiser un référendum. Débat et vote ont eu lieu le 8 avril. 86 % des députés ont répondu non (299 contre 47). Le premier ministre Mariano Rajoy explique ainsi sa position : ce qui compte d’abord dans une démocratie avancée est “l’inviolabilité des droits fondamentaux des Espagnols (…). Chaque Catalan, comme chaque Galicien ou chaque Andalou, est copropriétaire de toute l’Espagne qui est un bien indivis. Personne ne conteste à quiconque le pouvoir de décider, tous les Espagnols nous l’exerçons de manière habituelle. Les Catalans ont voté 41 fois depuis le retour de la démocratie. Vous voulez priver le reste des Espagnols de leur droit à décider ce qu’ils veulent que soit leur pays. Une partie ne peut décider pour le tout”. Et de conclure sur une grande déclaration d’amour : “J’aime la Catalogne, comme les autres communautés, comme quelque chose qui m’est propre. J’apprécie sa langue, son esprit d’innovation, son amour du travail bien fait, la fena ben feta”
ajoute-t-il en catalan, grande première dans l’enceinte des Cortes. Pour gommer le “choc des peuples” après celui des civilisations, Rajoy est prêt à toutes les simagrées.
Le même sang
Quelques jours auparavant, le même Mariano Rajoy avait affirmé : “Le peuple catalan et le reste des Espagnols se sont mélangés, ils ont le même sang”. Après les appréciations sexuelles du président du tribunal constitutionnel, nous avons droit à la conception raciale de la nation par le premier ministre… La qualité, la hauteur de vue de débat politique en Espagne atteignent des sommets. Le président catalan Artur Mas lui a répliqué qu’il préférait le droit du sol au droit du sang.
Les institutions catalanes s’attendaient à ces deux rejets brutaux de la part de l’Espagne. Artur Mas s’est souvenu du débat précédent lorsque Juan José Ibarretxe est venu présenter son plan de souveraineté-association
aux Cortes. A juste titre, le leader catalan a refusé de participer au débat, de s’offrir en pâture face à une assemblée hystérique qui l’accuse “d’hispanophobie et d’europhobie”, comme l’a fait à la tribune la député Rosa Diez ou de vouloir organiser un pseudo-référendum dans “des urnes en carton”.
Ce phénomène de rejet n’est pas nouveau. Depuis Mateo Sagasta, premier ministre libéral de 1870 à 1902, jusqu’à Mariano Rajoy aujourd’hui, le catalanisme et ses revendications sont toujours disqualifiés par l’establisment espagnol comme “fictifs, illusoires, artificiels, séparatistes”. En 1907, la “Mancomunitat” créée par 41 députés autonomistes sur 44, fut liquidée parce qu’elle avait des “intentions sécessionistes”. Le projet de statut d’autonomie de 1919 fut accusée de “mettre en lambeaux la souveraineté de la patrie”, comme celui de 1932. Le souverainisme catalan serait fondé sur le refus de la solidarité, c’est un projet “petit bourgeois”. En 2006, le nouveau statut favoriserait la polygamie et va transformer la Catalogne en Corée du Nord. Il est le fruit du nanisme, cette pathologie qui freine la croissance.
Soutien des mouvements sociaux
En plus d’un siècle, les Catalans ont tout entendu, tout subi de la part des Espagnols. Artur Mas le sait. Après la décision et le débat du 26 mars et du 8 avril, il s’est borné à une déclaration où il maintient intacte la feuille de route qu’il a fixée pour organiser le référendum du 9 novembre. Mais sa porte demeure grande ouverte à toute négociation avec Madrid.
En Catalogne, le grand débat porte sur les conditions d’intégration du nouvel Etat souverain à l’Union européenne, avec à la clef une phase de transition pour la négociation des traités avec l’Union. L’Espagne fait tout pour agiter la peur, évoque la sortie inévitable de l’euro, les risques inhérents à l’instabilité politique. Londres use du même type d’arguments avec l’Ecosse. Nous sommes loin, très loin d’une séparation à l’amiable, comme ce fut le cas entre la Tchéquie et la Slovaquie le 1er janvier 1993.
Une question non résolue demeure. Le gouvernement catalan organisera-t-il un référendum d’autodétermination, malgré l’interdiction de Madrid ? Franchira-t-il le pas de l’illégalité telle qu’elle a été définie par l’Etat espagnol? On se souvient que Juan José Ibarretxe, stoppé net dans son élan après le vote négatif des Cortes, avait dû se contenter d’une photo : celle d’une chaîne humaine de protestation. Il est vrai qu’il n’était guère soutenu. Effrayé par sa démarche, son parti, le PNV, le freinait tout en le critiquant dans la coulisse, Batasuna le soutenait du bout des lèvres dans un contexte où la violence politique avait encore sa place. Il en va tout autrement en Catalogne.
En plus d’un siècle, les Catalans ont tout entendu,
tout subi de la part des Espagnols. Artur Mas le sait.
Après la décision et le débat du 26 mars et du 8 avril,
il s’est borné à une déclaration où il maintient intacte
la feuille de route qu’il a fixée
pour organiser le référendum du 9 novembre.
Artur Mas bénéficie du soutien pour l’instant indéfectible de sa propre formation CiU, de son allié l’ERC et enfin d’un mouvement social important : l’ANC, Assemblée nationale catalane. Son origine remonte aux référendums municipaux en faveur de l’autodétermination qui, de 2009 à 2011, ont enflammé la Catalogne. Créée en avril 2012, l’ANC maille tout le territoire à travers 520 assemblées territoriales. La presse de droite espagnole la qualifie de “bras civil” de la Generalitat (gouvernement catalan) et demande son interdiction pour “appel à la sédition” et “manoeuvres contre la démocratie représentative”. L’Assemblée nationale est secondée dans son action par l’AMI (Assemblée des municipalités pour l’indépendance) qui regroupe 687 de 945 communes de Catalogne.
En cas d’interdiction du référendum, l’ANC pourrait réclamer des élections anticipées et proclamer l’indépendance depuis le balcon de chaque mairie, le 23 avril 2015, jour de la Sant Jordi patron de la Catalogne, comme ce fut le cas en 1931, à l’époque de la Seconde république.
En attendant, Shakira, star mondiale de la chanson, vient d’enregistrer en mars un tube en catalan : “Boig per tu”, folle de toi. Son compte Twitter a été inondé d’insultes et de critiques pour l’usage de cette langue. Si même Shakira apporte sa pierre, tous les espoirs sont permis…
(*) Lors d’une conférence prononcée le 6 décembre 2005, De los Cobos, membre du PP jusqu’en 2012, affirme : “Le vrai problème est que, suite aux erreurs du passé, plusieurs générations de Catalans ont reçu une éducation qui déprécie de façon explicite ou tacite la culture espagnole ; le statut d’autonomie est la première manifestation politique de cette dépréciation”.
La Catalogne démontre qu’un peuple, qui le veut, peut s’émanciper, cela prend parfois quelques siècles, en faisant que le droit s’impose à la force. Si la démocratie est enfin respectée, un nouvel Etat verra le jour en 2015. Même l’ensemble de la famille de Manuel Valls soutient l’Indépendance de la Catalogne, mère, sœur, cousins, oncle….lui ne peut pas le dire, il est parti jouer dans la cour des grands pays.
Ce qui fait la force et la volonté de ce pays , c’est la nombre de personnes qui agissent sans rien attendre en retour, en donnant du temps et de l’attention, elles n’attendent qu’un peu plus de libertés collectives, des droits pour tous et cela d’une manière pacifique et continue. Cette indépendance est une chance pour l’Europe, cette indépendance est une leçon de démocratie.
Je sors de cette lecture à l’instant et je ne peux dire autre chose tant l’émotion est forte que ‘Força companys’
Merci Ellande