Hier, stèles et croix des cimetières ou les linteaux de nos maisons étaient peints de couleurs variées. Comme autant d’hymnes à la vie et à son renouvellement. Cette pratique s’est étiolée, voire a disparu. Il ne tient qu’à nous de reprendre le fil d’une tradition et de la faire évoluer. Voici les premiers pas d’une expérience et ses propositions.
Nus, livrés sans défense aux affres du temps, peu lisibles, ainsi apparaissent aujourd’hui les fleurons d’un «art populaire» basque situé en des lieux qui témoignent de nos ancêtres: les maisons et les cimetières. Le relief de quelques pierres sculptées est parfois peint en noir, d’autres sont recouvertes de blanc. Autrefois, elles portaient des couleurs vives dont il reste des traces. Dans les maisons de quelques vallées, la tradition de colorer les linteaux s’est maintenue. Les recherches de l’anthropologue Michel Duvert (1) révèlent que jusqu’au XIXe siècle, stèles et croix des cimetières d’Iparralde étaient peintes de couleurs chatoyantes. Des pigments ont été retrouvés sur les monuments : bleu-cobalt, vert-émeraude, ocre-jaune, brun-rouge, blanc et noir.
Il en est de même pour les linteaux. Actuellement, la vallée d’Hergaray ou la région d’Irissarry présentent de beaux exemples de cette pratique, avec l’usage de couleurs telles que le jaune, le vert, le gris, le blanc, le bistre, le rouge et le noir. Le Musée de Basse-Navarre à Saint-Palais est riche d’une collection de linteaux dont certains sont des moulages. Son fondateur Clément Urrutibehety ne s’y est pas trompé, plusieurs d’entre eux sont colorés.
Pratique millénaire
Peindre les sculptures de monuments est un phénomène aussi ancien que répandu. De l’Egypte ancienne au Parthénon d’Athènes, en passant par les portails d’églises romanes, la peinture et ses variations infinies étaient d’un usage courant. En Pays Basque, l’entrée des églises d’Olite (Navarre) et de Laguardia (Araba) en sont la preuve. Les retables des églises d’Alciette et de Bascassan montrent qu’aux XVIIe-XVIIIe siècles, des peintres locaux et amateurs usaient d’une riche palette de couleurs. Au Centre d’interprétation de la stèle de Larzabale, se trouve une discoïdale originaire d’Iholdy, peinte en rouge au début des années 1980, par l’historienne d’art Isabelle Thévenon, à l’initiative du Père Marcel Etchehandy. Enfin, les clichés du début du XXe siècle montrent combien étaient nombreux dans nos cimetières les monuments funéraires blanchis au lait de chaux, leurs lettres étant en noir. Ces deux couleurs se sont imposées, semble-t-il dans le sillage de la « pastorale de la peur » décrite par l’historien des religions Jean Delumeau.
N’oublions pas que cette pratique a des raisons fonctionnelles, elle protège la pierre contre les intempéries, la pluie, le gel qui délite, l’envahissement des lichens qui parfois colore admirablement les surfaces, mais malheureusement use les reliefs.
Les monuments funéraires comme les linteaux ne sont visibles et lisibles qu’à des moments précis, lorsqu’ils bénéficient d’un éclairage solaire adéquat, en fonction de la rotation terrestre. La faible épaisseur des sculptures ou le développement du lichen gênent une lecture aisée. La présence d’une peinture peut alors tout changer, elle valorise ce patrimoine qui passe souvent inaperçu.
Les voyageurs de la fin du XIXe siècle constatent que les cimetières basques sont des jardins emplis d’arbustes et de fleurs aux couleurs variées, chargés de senteurs et parcourus de chants d’oiseaux. Les tombes regardent en principe vers l’est, le soleil levant, symbole de vie et de résurrection, en un cycle cosmique toujours recommencé. A l’image de l’espérance qui habite le croyant. Donc rien de sinistre ou de morbide en ces lieux de recueillement et de mémoire (2). Les vivants ont fermé les yeux des morts, les morts ouvrent les yeux des vivants.
Hymne à la vie et foi
Le linteau fait signe sur la façade de l’etxe-auzoa (3), elle-même indissolublement liée à la tombe par le hil-bide ou chemin des morts. L’ensemble forme un tout chargé de pratiques rituelles et de symboles qui structurent la société basque ancienne. Dans ce concert, le linteau annonce une bonne nouvelle : une génération, une femme et un homme (4), ont construit ou restauré la maison à telle date. Cela constitue comme un acte notarié qui traduit la reprise d’une famille, elle prend le relai et maintient la lignée. Parfois, c’est la maison elle-même qui sur le linteau prend la parole et donne l’information : elle s’érige alors en instance autonome et pérenne, ses occupants étant des usagers, comme des locataires qui la transmettent au fil des générations.
Tel une borne-frontière, le linteau présente l’etxe, nomme ses habitants et parfois le maçon, il engage le dialogue avec le visiteur accueilli, l’étranger. Oiseaux, animaux divers, pampres ou astres accompagnent l’ensemble. Un hymne à la vie et à l’échange, situé sur un seuil, au dessus d’un lieu de passage qui sépare et unit, qui régule. Il marque le franchissement de l’espace public vers le privé, de l’extérieur vers l’intérieur, avec leurs règles spécifiques. Sur la porte, sont accrochés Jondoni Joani kurutzea, croix de la Saint-Jean en aubépine blanche dûment bénie (5) et souvent une plaque métallique chrétienne ou encore asto belharra, la fleur de chardon. La complètent une serrure qui verrouille et ouvre, ainsi qu’un heurtoir. Ce dernier permet au visiteur d’annoncer sa venue.
C’est dire qu’autour du linteau combien ces quelques mètres carrés sont riches de signes, de sens, d’outils, sur fond de codes sociaux et sous l’égide de croyances. Ce sont autant d’éléments de notre paysage culturel, une mémoire en acte habillée en basque. Dans le dernier numéro d’Enbata, le paysan syndicaliste Francis Poineau mettait l’accent sur la dimension « agri-culturelle et civilisationnelle » de notre agriculture, articulée autour de l’etxe. On ne saurait mieux dire.
Revivalisme, créativité
Vous trouverez ci-contre le résultat d’une démarche expérimentale qui vise à renouer avec la pratique ancienne d’un art lapidaire peint. Le choix des couleurs et leurs alliances demeurent assez subjectifs et peut parfois surprendre, tant notre regard est peu habitué à cet usage et habité par la pierre nue ou les reliefs peints en noir qui sont devenus un standard. Dans ces expériences, la peinture est évidemment récente, il sera intéressant de voir comment, avec le temps, elle va se culotter, s’intégrer sur la pierre qui sécrète parfois ses propres teintes et où les lichens apportent leur touche. Les couleurs pastel et la délavure demain se révéleront. Notre regard lui aussi va évoluer.
Il ne s’agit pas ici d’instaurer un modèle ou une mode en décrétant que peindre stèles, croix et linteaux serait plus « authentique » ou correspondrait à « la vraie tradition », notions insignifiantes. Encore moins de décerner un brevet d’originalité ou de généraliser un usage.
Cette proposition s’inscrit dans un mouvement qui ne cesse d’irriguer Iparralde depuis plusieurs décennies, le revivalisme culturel dans des domaines tels que la danse, le carnaval, Olentzero, toberak, etc. Il vise à montrer à quoi pouvait ressembler l’art domestique et lapidaire en Pays Basque, à libérer aujourd’hui la créativité en retissant les fils avec une source d’inspiration. Ce ne doit pas être une copie, pas plus que la tradition n’est traditionalisme. La première est vie, la seconde est sclérose. La tradition de l’art lapidaire basque est suffisamment riche et féconde pour susciter un nouvel essor. En reprenant les mots d’Aita Martzel Etxehandi, « non un regard nostalgique en arrière, mais un élan novateur, en même temps enraciné et libre », tel est le mouvement que nous appelons de nos vœux.
(1) Michel Duvert, Les monuments funéraires peints en Euskadi Nord, étude ethnographique, paru dans Signalisation de sépultures et stèles discoïdales V-XIXe siècle, Actes des journées de Carcassonne, 1990, CAMI.
(2) « Un objet est mort quand le regard vivant qui se posait sur lui a disparu. Et quand nous aurons disparu, nos objets iront là où nous envoyons ceux des nègres, au musée ». Alain Resnais, Les statues meurent aussi, 1953.
(3) Etxe-auzoa, la maison et les droits et devoirs avec les voisins du quartier ou du village.
(4) Le droit successoral basque et son principe d’aînesse intégrale mettent à égalité la femme et l’homme. D’où l’inscription courante des deux noms et prénoms du couple sur les linteaux.
(5) En pays de Cize, cette croix devient couronne de noisetier entourée de feuilles de sedum. Rituel pratiqué encore aujourd’hui par Marie-Michèle Esponde (Sarasketa) ou par « Mamaji » Queheillet (Uharte Garazi).
+ Kepa Etchandy et Michel Duvert : Euskal atalburuak, les linteaux basques, éditions Elkar, 2017, 96 p.
+ Père Marcel Etchehandy, Les stèles discoïdales basques 2, revue Zodiaque n° 161, juillet 1989, 48 p.
Heriotza naturalari diogun beldurra kentzen digute testu eta argazki eder horiek.
Superbes les couleurs et les formes …. merci
Merci Monsieur Duny-Pétré pour votre article.
Sachant qu’actuellement la culture basque se limite essentiellement à la langue, la danse, le chant, les pastorales et mascarades et peut-être la pelote pour la grande majorité des Bascophones, il est pertinent de rappeler que, dans nos campagnes, le patrimoine religieux, les décors de maison, les noms de chemins, des montagnes, des plantes… existent mais sont ignorés par la plupart. C’est ce qui apparaît, notamment, dans l’attribution des noms de chemins pour l’adressage. Résultat : ils disparaissent, sans bruit, sans que nul ne s’en soucie.
Encore merci Monsieur
Marie-José Mujica
Au-delà de la mort individuelle, c’est de l’etxe dont il s’agit, c’est-à-dire de notre histoire commune. L’etxe c’est celle des vivants et celle de ceux qui ne sont plus, unis par le hilbide. Que devient ce complexe ? L’avons-nous abandonné aux marchands, aux modes et autres formes de “sablage” ??? Merci de nous rappeler que furent des temps où nous étions joyeux, même lorsque la mort nous concernait ! Biba zu Allende.