Tribune Libre de Jean-Marie DARMIAN Maire PS de Créon (33), vice-président du Conseil général de Gironde, député-suppléant de Gironde et Président du Club des Villes et Territoires cyclables.
La vitesse ne fera bientôt plus recette car elle coûte cher et en plus elle n’est utile que dans peu de circonstances. J’ai personnellement été convaincu de l’intérêt de la lenteur assumée, celle qui constitue le meilleur rapport entre la qualité de vie et les nécessités du progrès.
Se jeter à corps perdu dans une course effrénée contre le temps en dépensant des milliards pour y parvenir risque de constituer l’erreur la plus grave de ce début du XXI° siècle.
On commence d’ailleurs sérieusement à s’inquiéter du coté de la SNCF avec des engagements terriblement lourds sur les LGV qui auront comme conséquence de couler l’entreprise… En quelque sorte la SNCF investi dans des équipements qui vont creuser sa tombe au nom de la vitesse.
Une erreur quand on sait qu’il existe un juste équilibre entre les trois critères d’un déplacement : fiabilité, confort et sécurité. Un changement d’appréciation que la société n’a pas pris en compte depuis deux décennies en se lançant frénétiquement sur la… vitesse, rien que la vitesse.
L’activité TGV connaît depuis plusieurs années une érosion constante. Sa fréquentation a reculé en 2012 de 0,5% et de 1% au premier semestre 2013. Et cela ne devrait pas s’améliorer d’ici à la fin de l’année sous le double effet de raisons conjoncturelles et structurelles. Il faut bien convenir qu’au prix du voyage, une grande partie des utilisateurs est constituée de personnes se faisant rembourser leur déplacement.
Or, phénomène très préoccupant pour la SNCF, la clientèle “affaires” se reporte de la première classe, qui assure 50% du résultat de la branche, à la seconde. Le secteur loisirs subit le même sort malgré les promotions et autres réductions. Avec le passage de la TVA de 7% à 10% sur le transport collectif, décidé par le gouvernement et effectif au 1er janvier 2014, la clientèle loisirs pourrait encore se détourner des TGV. La vitesse ne séduit pas un touriste… ni un retraité qui effectue un calcul simple : arriver dans des délais raisonnables, sans encombre et à un prix attractif ! “Nous allons facturer la hausse de la TVA dans les tarifs, indique Guillaume Pepy, le PDG de la SNCF, mais nous n’en bénéficierons pas. Pour que les prix restent acceptables par nos clients, nous faisons un geste en plus. Nous nous engageons à ne pas répercuter l’inflation 2014. Nous allons donc devoir réduire d’autant nos marges.”
La marge opérationnelle de l’activité TGV se réduit régulièrement ces dernières années. Au début des années 2000, le TGV tutoyait les 20% de marge. Il est tombé à à peine 12% en 2012 et ne sera guère meilleur en 2013 ! L’avenir n’est en effet guère rassurant : charges qui augmentent (comme l’énergie, les salaires, etc.), taxes spécifiques décidées par l’Etat (comme celle pour financer les trains intercités), ou des péages, ces droits de passage à acquitter pour emprunter le réseau ferroviaire. Et plus on construira de lignes nouvelles, plus ces rétributions à verser aux constructeurs seront pesantes sur le budget des LGV ! Autrefois chichement (car protégés) mis à contribution pour payer l’infrastructure, les TGV doivent désormais y participer plus largement et ce n’est pas le désengagement constant des collectivités territoriales qui va arranger la situation. Sur la LGV Paris Bordeaux on compte déjà le nombre dé défections avec les doigts de la main. Rien de grave encore mais la communauté d’agglomération paloise vient de sonner la révolte et cherche un biais juridique pour se retirer. D’après un article récent de Le Monde “après une hausse de 11,7% en 2011, ces droits à passage ont augmenté de 1,5% en 2012, de 7,4% en 2013 et de 3% en 2014”. Or 3% de péages en plus, c’est un point de marge opérationnelle en moins.
Lentement (c’est la seule satisfaction) on se dirige vers un système de la “grande vitesse” non rentable ! La rentabilité du TGV est en effet largement impactée par le… développement du réseau dont les investissements ne correspondent plus aux besoins de la clientèle préférant désormais trains peu chers et à l’heure. Plus on ajoute de nouvelles lignes, moins elles sont… rentables. “Un tiers des parcours TGV offerts sont aujourd’hui non rentables pour la société publique”, assure le PDG de la SNCF !
C’est un constat consternant mais réel. On va donc comme partout ailleurs engager des plans drastiques d’économies pour tenter de juguler la baisse des recettes. La recette est toujours la même. Des nouvelles formules “discount” pour faire revenir des voyageurs sont en cours d’installation dans la tarification TGV mais rien ne sera plus comme à l’âge d’or de la vitesse triomphante. N’empêche que sous la pression de puissants lobbies, on continue à penser que faire Bordeaux-Paris en moins de trois heures est indispensable alors que certains matins il faut… une heure pour effectuer les 25 kilomètres entre le centre de Créon et le centre de Bordeaux !
La diversité des points de vue ne coïncide plus avec la diversité des étiquettes…
Bravo Mr Darmian pour ce point de vue très pertinent et très sage. Même si ce n’est peut-être pas pas le point de vue des gens de la capitale qui veulent pouvoir faire l’aller-retour dans la journée, ni celui de ceux qui prônent la compétitivité entre les territoires. En tous cas, votre éclairage sur les tendances de l’économie du système TGV/LGV laisse peu de place à l’optimisme …