Le troisième référendum d’autodétermination doit se tenir à la fin de l’année en Nouvelle-Calédonie, sur fond de divergences profondes entre les différentes parties mais aussi au sein du camp indépendantiste. Cela brouille les pronostics, malgré la progression du vote en faveur d’une indépendance totale.
C’est le 12 décembre 2021 que se tiendra en Nouvelle-Calédonie, le troisième et dernier référendum d’autodétermination prévu par les accords de Nouméa, signés en 1988. Le “oui” à l’indépendance avait considérablement progressé entre la première consultation en 2018 (43,3%) et la deuxième en 2020 (46,7%). Les indépendantistes continueront-ils sur cette lancée pour l’emporter ou bien paieront-ils les frais de leurs divisions internes de plus en plus apparentes ? Quoi qu’il en soit, nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère pour la Nouvelle-Calédonie. C’est évident en cas de victoire du “oui”, mais même si l’archipel choisit de demeurer dans le giron français, il faudra définir un nouveau cadre institutionnel pour remplacer les accords de Nouméa qui prendront fin le 12 décembre.
C’est dans cette perspective que l’État français a souhaité positionner le groupe de travail qu’il a convoqué fin mai pour discuter des modalités et de la date du troisième référendum. Les dix membres du “groupe Leprédour”, du nom de l’îlot sur lequel le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, avait pris langue avec les responsables locaux, y étaient invités. Ce groupe inclut les principales tendances politiques calédoniennes : la droite locale qui campe sur une position loyaliste dure (le président du gouvernement Thierry Santa, le sénateur Pierre Frogier et la présidente de la province Sud Sonya Backès), des députés centristes plus ouverts au dialogue avec les indépendantistes et des représentants des principales composantes du FLNKS dont l’Union Calédonienne (UC, avec notamment Roch Wamytan, Président du Congrès) et l’Union nationale pour l’indépendance (UNI, représenté par Paul Néaoutyine, Président de la province Nord) et ses alliés.
Opposition violente
Cette réunion du “groupe Leprédour” aurait été impensable il y a quelques mois. En décembre et janvier dernier en effet, loyalistes et indépendantistes s’étaient opposés avec une violence que l’on n’avait plus observée sur l’archipel depuis les années 1980, autour du projet de revente par la multinationale brésilienne Vale de la principale usine de nickel de la province Sud.
Un accord a finalement été obtenu le 4 mars dernier : “au-delà d’une simple sortie de crise, cet accord politique donne naissance à un nouveau modèle minier du Sud calédonien qui crée les conditions d’une vision durable acceptée de tous”, s’est réjoui l’indépendantiste Roch Wamytan, facilitateur des négociations. Selon cet accord, les titres détenus par Vale “seront cédés volontairement” à la province Sud, puis amodiés —et pas cédés— au repreneur Prony Resources dont le capital sera détenu à 51% par les collectivités calédoniennes, les salariés et les acteurs coutumiers. Un partenariat industriel avec l’industriel américain Tesla est également prévu par le projet pour la valorisation de la ressource. Chaque camp tente bien sûr de tourner le récit de cet épisode à son avantage. Les loyalistes retiennent que l’État français a joué un rôle crucial en alignant 500 millions d’euros en mesures fiscales, prêts et garanties de prêts. Les indépendantistes affirment quant à eux avoir fait capoter un projet catastrophique grâce à leur mobilisation et fait preuve par la suite d’un véritable esprit de consensus, en jouant un rôle moteur pour faire converger le projet final.
Divisions internes
Par contraste avec la signature de cet accord politique sur le dossier du nickel, les divisions internes du camp indépendantiste entre l’UC et l’UNI semblent de plus en plus incompréhensibles : le gouvernement à majorité indépendantiste élu le 17 février a échoué à quatre reprises à élire son président. C’est donc le loyaliste de droite Thierry Santa qui continue d’assumer cette fonction… De même, les indépendantistes n’ont pas de position commune au sein du “groupe Leprédour” puisque, contrairement à l’UC, les deux membres proches de l’UNI ont refusé de se rendre au groupe de travail convoqué à Paris. Un des objectifs de cette réunion était d’aborder les nombreux points techniques qui devront être traités à l’issue du troisième référendum. Un document de 44 pages rédigé par les services de l’État et intitulé Discussions sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie : les conséquences du “oui” et du “non”, avait été distribué en amont aux participants. La perspective du “oui” soulève évidemment de nombreuses interrogations mais “ce qui est sûr, selon l’un des représentants de l’UC, c’est que le fameux trou noir dont il était question si le oui l’emportait, n’est finalement pas une réalité”.
Enjeu principal du scrutin
En évoquant les conséquences d’une victoire du “non”, les loyalistes les plus caricaturaux, à l’instar de Sonya Backès, se focalisent sur les mesures les plus symboliques et vexatoires comme le retrait de la “liste des territoires non autonomes” de l’ONU, en espérant peut-être que cela permettra d’en finir avec les revendications indépendantistes… D’autres se réjouissent de la fin des accords de Nouméa qui seraient devenus un carcan. Mais comme l’explique Ferdinand Mélin-Soucramanien, auteur en 2013 d’un rapport de référence sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle- Calédonie, les accords de Nouméa survivront tant qu’un nouveau statut n’aura pas été adopté. Et c’est bien là que réside l’enjeu principal en cas de victoire du “non”. On comprend donc que les différentes parties aient déjà les yeux rivés sur la “période de transition” annoncée par Sébastien Lecornu et qui s’étendra du 13 décembre 2021 au 30 juin 2023. Il s’agira de gérer au mieux la séparation en cas de victoire du “oui” et, sinon, de mettre en place “le développement de la Nouvelle-Calédonie et ses futures institutions dans la République française”. Quoiqu’il en soit, le fait de rentrer dans les détails techniques permet d’affiner les projets. Comme le constate Mélin-Soucramanien, “on s’aperçoit que les hypothèses se resserrent autour de deux hypothèses principales : d’une part, la pleine souveraineté avec partenariat. D’autre part, un nouveau statut d’autonomie étendue”. Et si c’est cette dernière option qui est privilégiée le 12 décembre, les nouvelles institutions calédoniennes devront être approuvées par… un autre référendum !