Les élections municipales de mars se rapprochent, les stratégies se mettent en place. Peio Etcheverry-Ainchart, conseiller municipal sortant à Donibane Lohizune et à nouveau candidat sur la liste abertzale, se penche sur les stratégies d’éventuelles alliances des abertzale avec les listes de gauche ou de droite à Donibane et ailleurs.
Voici quelques jours, écoutant avec quelque intérêt l’interview radiophonique de la future tête de liste socialiste de Saint-Jean-de-Luz, mes oreilles se tendirent à la question suivante : “s’il y a un second tour, y aura-t-il alliance entre le PS et les abertzale contre le maire sortant ?” . Réponse du socialiste : “au second tour, nécessité fera raison” .
Blanc béret, béret blanc ?
Que le lecteur ou la lectrice d’Enbata se rassure, loin de moi l’idée de lui imposer une pesante analyse des enjeux électoraux luziens, ni de déflorer les choix tactiques du groupe municipal Herri Berri, toute glorieuse figure de proue de la libération nationale et sociale des peuples luzien et basque travailleurs (la partie valant en l’occurrence pour le tout…) qu’il puisse être.
Mon seul but ici est de poser une question, à la fois au monde abertzale et au PS, les deux semblant irrémédiablement associés par l’assertion reproduite en introduction : qu’est-ce qui, à l’heure actuelle, rend si automatique une alliance abertzale-PS au second tour d’une municipale ?
Je ne m’appesantirai pas sur le curieux principe qui voudrait qu’il appartient à un responsable politique – quel qu’il soit et de quelque couleur politique qu’il soit – de définir de manière aussi univoque la nature de la “nécessité” et celle de la “raison” , pour prédire ainsi un report de voix ou carrément une alliance ; à Saint-Jean-de-Luz comme ailleurs, ce sont les groupes municipaux concernés qui jugeront et décideront, cela va sans dire mais va encore mieux en le disant. Mais sur le fond, est-ce aussi évident que cela ?
Une chose est sûre, le mouvement abertzale étant majoritairement de gauche au Pays Basque nord, la tendance a longtemps été de considérer que dans un second tour d’élection, face à un candidat ou une liste de droite, l’union des gauches devait prévaloir. Les faits montrent qu’effectivement, consigne formelle ou pas, ces reports ont le plus souvent eu lieu et les exceptions s’expliquent davantage par des questions de personnalités que pour des raisons politiques.
Pour ma part, je crois bien avoir la plupart du temps suivi également cette logique, il est vrai dans une ville où la droite a longtemps présenté un visage particulier. Je ne le regrette d’ailleurs pas avec le recul, car les trois critères auxquels cela devait répondre à mes yeux me paraissaient remplis, et ce dans la plupart des coins d’Iparralde : en tant qu’abertzale, qui de l’UMP ou du PS était pire que l’autre ? Bof, kif-kif ; en tant que militant de gauche ? J’ai toujours été convaincu qu’une droite dure ferait toujours plus de dégâts qu’une gauche molle ; en tant qu’acteur du second tour ? Vu le résultat du premier tour y compris pour nos listes, la question était souvent anecdotique. Alors, me direz-vous, qu’est-ce qui a changé pour que ce ne soit plus aussi évident aujourd’hui ? Je dirai que c’est le mouvement abertzale qui a changé, et que cela modifie la perception des choses.
Un rôle d’arbitre
Il y a quelques années encore, le mouvement abertzale donnait de lui une image de minorité non silencieuse, cantonnée au quotidien comme aux élections à un triptyque programmatique fait d’institution, de langue basque et de prisonniers politiques. Bien sûr, le message était en réalité moins pauvre que cela mais le fait est que cette face émergée de l’iceberg confinait les abertzale à des scores modestes et à quelques sièges d’opposition, au mieux à des délégations à la culture ou à l’euskara. Aujourd’hui, à force de sérieux et de travail nous pouvons nous flatter d’avoir atteint un niveau, tant dans le poids social que dans les résultats électoraux, qui fait que nous sommes la troisième force électorale du Pays Basque nord. Le panorama électoral s’en est trouvé changé, à tel point qu’aujourd’hui des personnalités de tous bords, anciennement hostiles à une institution, à la reconnaissance de l’euskara ou indifférentes face au conflit basque, deviennent fort opportunément compagnons de route.
Entre une droite toujours à droite
et une gauche de moins en moins à gauche,
toutes deux pareillement hostiles à notre projet abertzale,
la raison n’est plus induite par une nécessité
mais par l’intérêt de faire bouger les lignes
en faisant fructifier notre rôle d’arbitre.
Oh, bien sûr, si je me repenche sur mes trois critères de vote de second tour, les deux premiers facteurs n’en changent pas pour autant. En tant qu’abertzale, ma confiance ne sera acquise que lorsque ces revirements soudains et “en leur nom personnel” se seront avérés à la fois durables et relayés par leur direction parisienne plutôt qu’ostensiblement contredits. En tant que militant de gauche, c’est plutôt pire qu’avant, à constater le pathétique bilan d’étape de cette législature.
Ce qui change surtout, c’est bel bien le troisième critère : celui de notre poids au second tour. Certes, le monde abertzale ne pèse pas partout pareil. Mais à partir du moment où il a courageusement choisi d’assumer ses responsabilités (présenter une liste au premier tour, établir un programme municipal sérieux allant plus loin que de simples slogans, travaillé à la conquête de l’électorat), même à 5-6% il peut être l’arbitre du second tour et “faire” les majorités. Cette année, il le peut – ou l’aurait pu – dans nombre de villes soumises au scrutin de liste. Et cela change tout, car pour reprendre la phrase de notre candidat socialiste luzien, entre une droite toujours à droite et une gauche de moins en moins à gauche, toutes deux pareillement hostiles à notre projet abertzale, la raison n’est plus induite par une nécessité mais par l’intérêt de faire bouger les lignes en faisant fructifier son rôle d’arbitre.
L’importance du socle
D’où l’intérêt d’avoir établi un socle programmatique précis, sur lequel s’appuyer pour définir les points autour desquels des engagements concrets devront être pris si une alliance est envisagée. Certes, dans le volet purement municipal, ces points rendront probablement toute entente impossible avec la droite. Je ne sais pas ce qu’il faut en penser au sujet du PS, j’ose croire que ce sera plus facile. Mais dans le volet plus spécifiquement abertzale, il ne tient qu’à nous qu’aucun maire ne manque à la prochaine manifestation pour la collectivité territoriale ou ne refuse l’usage municipal de l’euskara, liés qu’ils auront été par contrat.
Aujourd’hui, la plupart des socialistes locaux considèrent encore les abertzale comme une force d’appoint, qui fait sa petite apparition au premier tour pour se faire plaisir mais est tenue à redevenir sérieuse au second, en leur donnant ses voix pour la bataille entre “adultes” . Pire, pour certains d’entre eux ce ne sont pas les enjeux locaux qui entrent en ligne de compte : le scrutin municipal n’est qu’une déclinaison du débat hexagonal, surtout si le maire ou un-e adjoint-e est parlementaire ou ministre. Alors, désolé de les contredire : j’espère sincèrement qu’entente il y aura au second tour contre la droite ; mais pour ma part, cela ne va plus de soi et nécessité ne suffira pas à faire raison.