L’Irlande du Nord face à son passé

 Pour Gerry Adams, qui nie toute responsabilité sur cette affaire et même toute appartenance passée à l’IRA, les accusations dont il fait l’objet font “partie d’une sinistre campagne incessante, malveillante et mensongère” menée par des adversaires  du processus de paix
Pour Gerry Adams, qui nie toute responsabilité sur cette affaire et même toute appartenance passée à l’IRA, les accusations dont il fait l’objet font “partie d’une sinistre campagne incessante, malveillante et mensongère” menée par des adversaires du processus de paix

Les luttes de libération nationale ne se déroulent jamais sans une cohorte de morts et de souffrance. Au terme des conflits, les “terroristes” d’hier sont souvent les dirigeants d’aujourd’hui, au prix de bien des compromis. David Lannes revient sur les incidences politiques de l’arrestation de Gerry Adams, gardé à vue puis libéré, dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat de Jean McConville en 1972.

En annonçant le 31 avril dernier l’arrestation d’un “homme de 65 ans” dans le cadre de l’enquête sur l’enlèvement et l’exécution de Jean McConville en 1972, la police nord-irlandaise (PSNI) a failli rompre le fragile équilibre qui prévaut en Irlande du Nord depuis la signature des accords de St-Andrews en 2006. Cet épisode vieux de plus de 40 ans est l’un des pires de l’histoire des “Troubles”.

Accusée d’être une informatrice, Jean McConville, fut arrachée à ses 10 enfants par une unité de l’IRA et ne réapparut jamais ; en 1999 l’IRA admit l’avoir exécutée. L’arrestation du 31 avril ne viendra donc pas bouleverser l’appréciation que chacun peut avoir des responsabilités des  différents acteurs du conflit nord irlandais. Si elle a eu un tel impact, c’est parce que l’ “homme de 65 ans” arrêté n’est autre que Gerry Adams, président du Sinn Fein et la “personne la plus importante” du processus de paix, pour reprendre les paroles de son camarade de parti et vice-premier ministre Martin McGuinness.

L’histoire de cette arrestation est assez rocambolesque. Son point de départ est le “Projet Belfast”, une étude d’une université de Boston menée par Anthony McIntyre, un ancien volontaire de l’IRA devenu écrivain, et Ed Moloney, un journaliste irlandais. Leur projet consistait à recueillir des témoignages oraux des différents acteurs des “Troubles” ; plusieurs douzaines d’anciens militants de l’IRA et des groupes paramilitaires unionistes ont ainsi été enregistrés à partir de 2001 avec l’assurance que leur témoignage ne serait pas dévoilé avant leur mort. En 2010, Ed Moloney publiait la transcription de l’interview de Brendan Hughes, ancien leader des grévistes de la faim en 1980, décédé en 2008, et qui accusait Adams d’avoir ordonné la “disparition” de McConville. A la suite de ce témoignage posthume, la PSNI s’est lancée avec succès dans une bataille juridique aux Etats-Unis pour obtenir la saisie d’autres cassettes susceptibles d’évoquer l’affaire McConville.

Campagne malveillante et mensongère

Cette victoire juridique de la PSNI est un véritable fiasco pour l’histoire des “Troubles”.  L’utilisation d’archives pour arrêter des militants républicains quarante ans après les faits a semé la panique jusque dans les rangs des Unionistes et des forces britanniques qui avaient aussi contribué à l’étude. L’université qui héberge le “Projet Belfast” a annoncé qu’elle restituerait  leur témoignage aux interviewés encore en vie, et de nombreux autres projets d’histoire du conflit nord-irlandais ont subitement capoté. Mais les Républicains du Sinn Fein ne regretteront pas le “Projet Boston” dont ils récusent l’honnêteté. Pour Gerry Adams, qui nie toute responsabilité sur cette affaire et même toute appartenance passée à l’IRA, les accusations dont il fait l’objet font “partie d’une sinistre campagne incessante, malveillante et mensongère” menée par des adversaires du processus de paix : “Moloney et McIntyre sont des opposants au leadership du Sinn Fein et à notre stratégie de paix, et ils ont interviewé des anciens  républicains qui me sont hostiles ainsi qu’aux autres leaders du Sinn Fein. [Ils] nous ont accusé de traîtrise et de capitulation et ont dit que nous devrions être exécutés”.

Pour Gerry Adams, qui nie toute responsabilité sur cette affaire
et même toute appartenance passée à l’IRA,
les accusations dont il fait l’objet
font “partie d’une sinistre campagne incessante,
malveillante et mensongère
menée par des adversaires
du processus de paix

Gerry Adams a été libéré au terme de 4 jours de garde à vue et c’est désormais au Ministère Public d’Irlande du Nord (et pas à la police) de décider ou pas de l’accuser. Selon la loi, il est censé le faire s’il y a assez d’éléments à charge “pour offrir une perspective raisonnable de condamnation” et si la procédure est requise pour l’intérêt public. Il semble peu probable que des témoignages partisans et pour la plupart posthumes, sur des faits vieux de 42 ans puissent servir de base à une accusation solide. Et il est tout à fait évident que l’inculpation de Gerry Adams replongerait l’Irlande du Nord dans un état de tension bien contraire à l’intérêt public…

L’héritage des Troubles
Les quatre jours qu’a duré la garde à vue de Gerry Adams ont en effet montré qu’une “vraie crise est toujours à portée de la main”, selon les termes de Shaun Woodward, ancien secrétaire britannique à l’Irlande du Nord. McGuinness dénonça par exemple des “vestiges aigris du RUC travaillant toujours pour la (maintenant renommée) PSNI et voulant détruire le processus de paix”, et il menaça de remettre en question  le soutien du Sinn Fein à la PSNI. En réponse, le Premier ministre unioniste Peter Robinson fit savoir qu’il était prêt à demander l’exclusion du Sinn Fein de l’exécutif. Dès sa libération, Adams s’est empressé de calmer les esprits en réaffirmant sa confiance en la PSNI. C’est tout à son crédit mais, comme l’a souligné Shaun Woodward, “la confiance d’autres personnes a été ébranlée”.

A l’approche des élections européennes (1) où  le Sinn Fein escompte de très bons résultats dans les deux moitiés de l’île, le timing de l’arrestation de Gerry Adams est certainement politique. Elle montre aussi que le passé de l’Irlande du Nord offre au “côté obscur” de la PSNI un pouvoir démesuré. Près de 90% des exactions des “Troubles” sont des cas non résolus, même si l’on sait quel camp en est responsable. La PSNI peut donc faire dérailler le processus de paix à sa convenance en exhumant quand bon lui semble l’une d’entre elles. Si l’Irlande du Nord entend aspirer à la sérénité avant la disparition physique des acteurs des années noires, “il est clair qu’il faut quelque chose qui permette un semblant de justice, sans paralyser le processus de paix ni ignorer simplement le problème”, pour reprendre la formule de Shaun Woodward qui vient de proposer un referendum sur l’héritage des “Troubles”. Une des conséquences de l’affaire McConville/Adams est la multiplication d’initiatives similaires visant à neutraliser le potentiel destructeur du passé et sur lesquelles je reviendrai dans ma prochaine chronique.

(1) Dans la République d’Irlande (Dublin) le Sinn Fein obtient 17% et 3 eurodéputés.

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