Escadrons de la mort en Pays Basque 

Précédant le GAL, de 1975 à 1983, diverses structures para-militaires ont semé la mort en Iparralde, mais aussi en Hegoalde, à Paris, Madrid et même en Amérique latine. Le Batallón vasco-español est de loin le plus actif de ces groupes. Un livre d’Iñaki Egaña rappelle cet épisode assez oublié de notre histoire récente.

Batallón vasco-español (BVE), Guerrilleros del Christo Rey, Alianza Apostólica Anticomunista (Triple A), Antiterrorismo ETA (ATE), Acción nacional española, ou encore GAE (Grupos armados españoles), tous ont, dès le décès de Franco et pendant huit ans, commis près de 600 attentats et 40 morts. Davantage que le GAL qui sévit ensuite de 1983 à 1987, avec ses 40 attentats et ses 27 morts.

Iñaki Egaña dresse un tableau exhaustif de cette époque particulièrement troublée qui fut celle de la «transition démocratique» espagnole, souvent mythifiée par une historiographie intéressée qui veut en faire une grande réussite politique. Elle préfère jeter un voile le plus épais possible sur les années de «guerre sale». L’auteur sort ainsi cette période d’une sorte d’amnésie qui,  curieusement, affecte aussi parfois les rangs abertzale. Le panorama qu’il en dresse donne la mesure du phénomène, ses ramifications avec l’appareil d’Etat et les partis fascistes très puissants, alors que certains sont au pouvoir en Espagne. Les services secrets espagnols et portugais, ainsi que les différents corps de police, travaillent la main dans la main, selon le vieil adage : « De jour, en uniforme, de nuit, incontrôlés ».

Les liens avec l’extrême droite italienne, l’OAS et ses soldats perdus des guerres coloniales spécialisés dans la contre-insurrection ne sont pas oubliés. On sait que l’armée française sortant de la guerre d’Algérie a exporté son modèle d’action au profit d’Etats d’Amérique du Nord, en le mettant au service des dictatures d’Amérique latine. Les Français y furent accueillis à bras ouvert, ils y firent école pour mater les dissidences. Quelques années plus tard, des professionnels expérimentés traversent l’Atlantique pour intervenir en Pays Basque pendant que des haut gradés espagnols vont se former dans les académies militaires nord-américaines. Pour mettre en œuvre différents plans d’action très complets tels que le plan ZEN (Zona especial norte) ou le plan Udaberri moins connu. Avec des volets militaires, politiques, économiques, diplomatiques, médiatiques, etc. Le but est de faire pression sur l’opinion : fausses informations, mensonges éhontés, manipulations et « propagande noire » sont monnaie courante.

Venger Carrero Blanco

Au départ, l’obsession de ceux qui créent le BVE est de venger l’exécution de l’amiral Carrero Blanco. Selon le Guardian, depuis que Mussolini a envoyé ses sbires abattre à Marseille les frères Rosselli, aucun autre dictateur n’a montré un tel esprit de vengeance. Ensuite tout va s’enchaîner, d’Argala, et Pertur à Montejurra, en passant par la famille Etxabe, Peixoto et Pantu et même un nombre impressionnant d’agressions sexuelles, voire de viols et de plasticages de bars, en particulier en Biscaye.
Le nombre et la variété des intervenants cités par Iñaki Egaña est tout à fait impressionnant comme l’est l’impunité judiciaire dont bénéficient ces hommes et parfois ces femmes chargés des basses besognes. Toutes les exécutions d’opposants et de leurs familles se déroulent dans un climat de terreur et de pratique généralisée de la torture. Le but étant d’apeurer les populations, en particulier dans les régions où l’abertzalisme est le plus actif: ainsi en Gipuzkoa dans le «triangle de la mort» où se trouvent les cités d’Urnieta, Andoain, Hernani et Astigarraga. Le BVE y fut particulièrement présent.

Loi du talion assumée

Sont rappelées au fil des pages les déclarations de leaders politiques espagnols de droite comme de gauche, qui réclament et justifient d’avance des interventions directes en Iparralde, pour venir à bout d’ETA qui à cette époque est très actif. C’est donc la politique du « oeil pour oeil, dent pour dent », la loi primitive du talion qui est annoncée publiquement. Faute de preuves, rien n’est dit sur les moyens financiers mis en œuvre, en particulier l’usage des fonds secrets du gouvernement, comme plus tard à l’époque du GAL, mais on devine qu’ils sont énormes.

Le nombre des organisations chargées de mater la rébellion basque est important. Sans doute est-ce dû à la confusion de l’époque où le pouvoir central tangue avant et après la mort de Franco, mais aussi à la propension à sous-traiter des actions peu reluisantes à des hommes issus de la pègre et grassement payés, à des barbouzes ou des militants fascistes plus ou moins manipulés. L’usage des faux-nez en matière de revendication est classique : « Harria bota eta eskua gorde…». Là encore une constante à travers le monde dans l’action des États, soucieux de brouiller les pistes et de conserver une virginité démocratique. La collusion avec la police et la justice est aussi une constante, la plupart des enquêtes n’aboutissent pas ou cessent sur ordre de la hiérarchie. La fuite des auteurs de crimes, avec franchissement de la frontière, est parfois organisée par les autorités.

Déficit de notre historiographie

L’objectif du BVE et ses succédanés est aussi d’effrayer l’électorat et de l’orienter vers des partis modérés susceptibles de ramener le calme, celui d’une monarchie parlementaire. Car ce terrorisme d’État s’attaque aussi à des partis d’extrême gauche, communistes et trotskystes. Le GAL aura davantage pour objectif d’unifier l’action et de convaincre le gouvernement français pour qu’il réprime plus fermement la communauté des réfugiés, il s’agit de « vider le sanctuaire », et de « terroriser les terroristes », selon l’expression consacrée. Le second volet de sa démarche étant de faire évoluer le droit européen dans un sens très répressif, comme l’a magistralement démontré Emmanuel-Pierre Guittet.

Par la synthèse qu’il en donne, Iñaki Egaña comble un vide considérable. A ce jour, il n’y avait guère que le rapport du CEDRI (Comité européen de défense des réfugiés et immigrés) aujourd’hui bien oublié, « Le terrorisme d’État dans l’Europe des démocraties » (1989) qui offrait une photographie partielle de ces années, surtout en Iparralde. Sans oublier le journal Enbata qui a largement rendu compte de ces drames. Le lecteur d’aujourd’hui qui a connu nombre de militants d’Hegoalde réfugiés alors dans nos trois provinces, lira sans doute quelques pages de ce livre avec émotion.

Aujourd’hui, les institutions espagnoles et basques, via des lobbies, des centres d’études, des expositions, des films, des bourses de recherche, sont extraordinairement organisées pour imposer le récit des victimes d’ETA. Ce qu’a subi le camp d’en face, celui des plus faibles, est largement ignoré. Le travail d’Iñaki Egaña mériterait d’être prolongé et approfondi par des historiens. L’air du temps ne s’y prête guère. Cela montre aussi un déficit majeur de notre historiographie, au profit des dominants. Impunes, Batallón vasco-español sera-t-il traduit en plusieurs langues ? Ce serait nécessaire.

+ Iñaki Egaña: Impunes, Batallón vasco-español (1975-1983), Txalaparta, 194 p., 2025, 14 e.

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