ETA avance à petits pas

L’organisation armée basque confirme sa décision de cessez-le-feu et accepte la «vérification de la Communauté internationale» préconisée par les signataires
de la Déclaration de Bruxelles. La trêve demeure
toutefois sous la condition d’une évolution politique
dont ETA demeure le seul juge.
Le gouvernement espagnol rejette ce scénario et exige l’abandon définitif des armes. La légalisation
de l’ex-Batasuna n’est pas pour demain.

CE communiqué du 10 janvier était at-tendu. Tellement attendu et désiré que beaucoup d’abertzale se réjouissent très vite de son contenu. Déjà le communiqué du 5 septembre devait annoncer l’acceptation par ETA de la Déclaration de Bruxelles (1) sur un «cessez-le-feu permanent et complètement vérifiable». Il n’en fut rien, puisqu’ETA se contenta d’une «décision de ne plus mener d’action offensive armée». Aujourd’hui, ETA accepte enfin cette clause définie par Brian Currin et les personnalités qu’il a réunies, en parlant d’une «vérification possible par la communauté internationale» et précise qu’il s’agit d’un cessez-le-feu «permanent et de caractère général». Selon les exégètes, cela signifierait que la collecte de l’impôt révolutionnaire cesserait.
Il s’agit bien d’une avancée, mais qui demeure relative. Le texte de l’Accord de Gernika (2) demandait à ETA un élément important: qu’un cessez-le-feu «unilatéral», soit «l’expression de sa volonté d’abandon définitif de son activité armée». ETA dans son communiqué du 10 janvier 2011, se situe en retrait: il dit «s’engager dans un processus de solution définitive et la fin de la confrontation armée». L’un parle d’abandon définitif des armes, l’autre de solution définitive sur le plan politique, avec pour conséquences la fin de la guerre… ETA ne fait pas non plus référence aux principes énoncés par le sénateur américain Mitchell (voir ci-contre) que l’ex-Batasuna avait repris à son compte dès le 24 avril 2010 —manifeste d’Irunea— puis repris le 26 juin au Palais Euskalduna de Bilbo lors de la grand’messe qui réunit EA et Batasuna.
Nous sommes donc bien dans le scénario classique des trêves antérieures que rejette le gouvernement de Zapatero qui hier s’y est brûlé les ailes: ETA demeure le garant de la réunification et du droit à l’autodétermination —qu’il rappelle dans son texte— et seul juge d’une poursuite de la trêve ou d’une reprise de son activité militaire. Il sait que le dépôt définitif des armes le placera hors du jeu politique, qu’il n’aura plus rien à négocier et il veut garder la main-mise sur le calendrier. Les partis politiques basques, les fameux «agent politiques et sociaux» demeurent donc sous sa tutelle, voire sa menace de réouverture des hostilités. L’ex-Batasuna peut crier à tous vents que cette trêve-là, c’est la bonne, c’est «la der des der», ce n’est pas ce que dit ETA. Mais faut-il se murer dans un scepticisme toujours très facile et «cracher dans la soupe» pour autant? Non, bien sûr. L’éternel débat sur la bouteille à moitié pleine ou à moitié vide ne fait que commencer.

Tel un chat jouant avec la souris
Le gouvernement espagnol maintient son exigence «d’abandon définitif du terrorisme» et de «dissolution définitive d’ETA» pour toute légalisation de Batasuna. Il exige d’ETA bien plus que le cessez-le-feu actuel qui correspond au silence provisoire des armes avec le maintien intact de l’appareil militaire permettant de reprendre les attentats à tout mo-ment. C’est là tout ce qui sépare les positions des deux adversaires.
Interdiction de Batasuna et répression policière tous azimuts sont toujours d’actualité. Les nombreuses arrestations du 17 janvier sont là pour le prouver. Nous verrons dans
les prochaines semaines si le gouvernement consent à mettre un bémol: au mieux, il rapprochera quelques preso de plus et tolérera quelques candidatures de l’ex-Batasuna aux élections municipales et forales de mai 2011. Au pire, il fera voter le projet de loi de durcissement de la loi électorale sur laquelle PP et PSOE se sont mis d’accord en novembre (voir Enbata du 1er avril 2010), avec le risque de faire capoter la trêve, en renforçant la tendance des va-t-en-guerre au sein d’ETA et de Batasuna chez les indépendantistes.
Le ministre de l’Intérieur espagnol, Alberto Pe-rez Rubalcaba contemple, avec un petit sourire en coin, le scénario en place, tel un chat jouant avec la souris qu’il tient en son pou-
voir. Il attend. Le statu quo doit durer le plus longtemps possible: plus d’attentat, aucune contrepartie politique, marginalisation des formations abertzale, partis espagnolistes au pouvoir dans la Communauté autonome et en Navarre, soutien sans faille des instances internationales et européennes dans le domaine de la répression (textes de lois et applications judiciaires). Que demander de mieux?

Un groupe international de contact
Le «facilitateur» Sud-africain, Brian Currin annonce sa venue en Pays Basque avec un
«groupe international de contact» composé de cinq personnes. Il va jouer les messieurs
bons office entre les belligérants. Pour l’instant, seuls les partis abertzale lui accordent une légitimité.
La vérification du cessez-le-feu par la communauté internationale dont parle ETA, ne précise pas de quelle instance officielle il s’agit et si elle est reconnue par toutes les parties, comme ce fut le cas en Irlande avec le général canadien John de Chastelain ou le sénateur américain Mitchell, dûment mandatés par leurs gouvernements respectifs. Aujourd’hui, dés qu’on évoque une instance internationale pour régler le conflit, les Espagnols voient rouge: le dossier basque est une affaire intérieure purement hispano-espagnole. Brian Currin et ses amis auront donc fort à faire pour se faire reconnaître.
Le PSOE comme le gouvernement espagnol ne lui reconnaissent aucune autorité officielle et même la lui dénient. Madrid a mis 25 ans à verrouiller les choses sur le plan international pour harmoniser la répression et compter sur le soutien sans faille de l’opinion publique et de toutes les instances. Ce n’est pas le mo-ment de baisser la garde, lorsque les Basques consentent à passer sous les fourches caudines.

Les «erreurs gravissimes» du passé
La gauche abertzale de l’ex-Batasuna sait bien que sa légalisation n’est pas pour de-main, du fait de la position d’ETA. Mais elle tente le coup. Elle n’a guère le choix et s’engouffre dans la brèche. Elle est prête à déposer de nouveaux statuts dont on examinera les textes à la loupe. Ira-t-elle jusqu’à condamner la lutte armée comme l’en adjure le procureur général de l’Etat au lendemain du communiqué du 10? Elle l’avait déjà fait discrètement lors de la présentation de sa liste aux élections européennes. Ses dirigeants annoncent qu’ils comptent bien être présents au scrutin de mai 2011 et du fond de sa prison de Logroño, Arnaldo Otegi demande à ses amis dans le quotidien indépendantiste Gara, de ne pas reproduire les «erreurs gravissimes» du passé. Pour lui, le choix est fait et dans ses propos délibérément optimistes et enthousiastes, il donne l’impression d’avoir un train d’avance. Mais de là à rassembler 20% des voix et à diriger le Gipuzkoa, comme l’ont déjà annoncé des dirigeants de Batasuna —qui n’a pour l’instant aucune existence légale—, c’est encore bien trop tôt pour le dire et prendre les vessies pour des lanternes.
EA fait contre mauvaise fortune bon cœur. Certes, il trouve le contenu du communiqué d’ETA insuffisant. Mais il ne remet pas en cause son choix d’alliance avec l’ex-Batasuna. On le voit mal claquer la porte, puisque ce choix lui a tout de même coûté une scission
et demeure sa seule planche de salut s’il veut encore exister demain. Mais le risque pris est grand, avec l’hypothèse d’une annulation judiciaire de ses candidatures, sous prétexte
que figurent parmi elles de «dangereux terroristes». Gageons toutefois qu’EA a déjà préparé un plan B qui présente des candidats émanant de son seul courant.

Prudence et attentisme
Aralar est également assez critique à l’égard du dernier communiqué d’ETA dont il rejette la tutelle politique. Il sait que son seul tort aux yeux de Batasuna est d’avoir eu raison trop tôt et qu’il occupe un espace politique, dans la mesure où la gauche abertzale traditionnelle en est évincée. Aralar se montre donc circonspect: pas question de se laisser embarquer, voire couler par le fond dans la machine à perdre de Batasuna.
En Navarre, où il dirige la coalition Nafarroa bai, il répond toujours non à une ouverture à l’ex-Batasuna. Comme il refuse d’être présent à la signature le 16 janvier à Gasteiz d’un accord entre Batasuna, EA et Alternatiba (scission d’Ezker batua) «pour le changement politique et social». Prudence donc d’Aralar qui n’a pas envie de se faire avaler trop facilement et entend conserver sa marge de manœuvre dans un processus qui s’annonce de longue durée.
Le PNV regarde passer le train. Sa position est plutôt celle de l’attentisme, face à une évolution politique qui fondamentalement lui échappe, mais dont il attend le retour au pouvoir. Il se consacre à la préparation des prochaines élections forales et municipales de mai dont l’enjeu est énorme. Selon les sondages, si l’ex-Batasuna est présent, il est en passe de conserver le pouvoir local. Sinon, c’est le risque de la descente aux enfers. Le PP écarte pour l’instant un accord général avec le PSOE qui permettrait d’évincer le PNV dans les villes et les députations, mais qui peut dire ce qui se passera au lendemain du 29 mai?
Comme le dit Arnaldo Otegi dans son interview du 12 janvier, «accepter les conditions de la loi des partis est insignifiant comparé au prix que paierait notre peuple si nous ne ré-unissons pas les meilleures conditions pour avancer dans le processus de libération nationale». Le vieux slogan «avec Mayor Oreja Lehendakari, ce sera plus clair qu’avec Ibarretxe» est bel et bien jeté aux orties. Puisse-t-il convaincre durablement tous ses amis. Ce scrutin mettra chacun au pied du mur et révélera les chances réelles de ce nouveau processus de paix.

(1) La déclaration de Buxelles fut présentée le 29 mars 2010 par l’avocat sud-africain Brian Currin. Elle était signée par une vingtaine de personnalités dont quatre Prix Nobel de la paix et deux anciens chefs de gouvernements (Enbata du 15 avril 2010)
(2) L’Accord de Gernika fut signé le 25 septembre 2010 entre l’ex-Batasuna, EA, Aralar, Alternatiba, AB, plusieurs syndicats (mais pas LAB), et plusieurs organismes de type ONG ou représentant la société civile.

Les six principes de Mitchell

DURANT la résolution du conflit irlandais, l’ancien sénateur américain George Mitchell publia le 24 janvier 1996 le rapport de la Commission internationale qu’il présidait. Il y énonça les six principes de démocratie et de non-violence destinés à instaurer un climat de confiance entre les parties permettant. Les «Principes de Mitchell» recommandent aux participants aux négociations de s’engager:
1) à se plier aux règles de la démocratie et aux méthodes exclusivement pacifiques de règlement des différends politiques;
2) à consentir au désarmement total de toutes les organisations paramilitaires;
3) à accepter que la vérification de ce désarmement soit laissée à l’appréciation d’une commission indépendante;
4) à renoncer à influer sur le cours ou l’issue des négociations multipartites par l’usage ou la menace de l’usage de la force, et à s’opposer à toute tentative de la part d’autres personnes qui agiraient ainsi;
5) à respecter les clauses de tout accord conclu dans le cadre des négociations multipartites et à utiliser des méthodes démocratiques et exclusivement pacifiques pour tenter de modifier tout aspect de l’issue des négociations sur lequel ils seraient en désaccord;
6) à s’engager pour que cessent les brutalités et les meurtres à caractère «punitif» et à prendre des mesures efficaces pour empêcher de telles actions.

Soutien à Aurore Martin

Le mercredi 12 janvier à 10 heures du matin, près d’une trentaine d’élus du Pays Basque tenait une conférence de presse à l’hôtel Mercure à Bayonne. Il s’agissait d’aller encore plus loin dans la démarche de soutien à Aurore Martin qui vit cachée au Pays Basque depuis maintenant un mois. Devant de nombreux journalistes, Peio Etchevery-Ainchart conseiller municipal AB de Saint-Jean-de-Luz indiquait les raisons de cette nouvelle conférence de presse. Tout d’abord en basque par Battitta Amestoy puis en français par Peio Etchevery-Ainchart était lue une motion qui, sans en employer le terme, ressemblait à «un appel à la désobéissance civile» signée déjà par soixante élus. Les signataires revendiquaient et assumaient l’hébergement d’Aurore tout en ayant conscience que c’était un délit avec toutes les conséquences qui pouvaient en découler. Alice Leiciagueçahar, élue d’ Europe Ecologie au Conseil régional d’Aquitaine, prenait ensuite la parole pour dire son opposition au MAE et renouveler son soutien à Aurore Martin. Puis, c’était au tour d’Alain Iriart, maire et conseiller général abertzale de Saint-Pierre-d’Irube, de s’insurger au niveau juridique et politique de
l’utilisation du MAE envers Aurore Martin. Il dénonçait tout d’abord dans un premier temps l’utilisation abusive du MAE, créé à l’origine pour des actes délictueux graves, envers Aurore Martin, citoyenne française, à qui il n’est reproché que ses idées politiques. Dans un deuxième temps Alain Iriart relevait la grosse erreur politique du gouvernement français de vouloir livrer Aurore Martin à l’Espagne alors que ETA annonçait un cessez-le-feu permanent, général et vérifiable.

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