Des hauts et des bas, de l’assassin au héros

HautsBas

Fin du XXe siècle, les nationalistes corses touchent le fond. Une guerre fratricide déchire depuis 10 ans le courant souverainiste des FNLC dont les dirigeants s’entre-tuent. Le courant autonomiste peine à progresser vraiment, toutes les perspectives d’avancées semblent aléatoires. Là dessus, un commando dissident du FNLC veut clairement désigner l’adversaire principal. Le 6 février 1998, il exécute le plus haut représentant de l’État français sur l’île, le préfet de région Claude Erignac. C’est un tremblement de terre politique. Quarante mille Corses descendent dans la rue pour condamner le meurtre. Nouveau coup dur pour les abertzale corses ? Rien n’est moins sûr.

Les mouvements nationalistes tiennent le choc. Aidés en cela par le successeur d’Erignac, le préfet Bernard Bonnet. En 1999, il donne l’ordre à un colonel de gendarmerie de mettre clandestinement le feu à des paillotes illégales construites sur la plage du golfe d’Ajaccio. Aux yeux du plus grand nombre, la légitimité de l’État français sur l’île s’évapore. Au même moment, les frères ennemis du FNLC parviennent à faire la paix. En 2002, l’État accorde un nouveau statut à la Corse, le troisième en 20 ans, mais le Conseil constitutionnel rejette le pouvoir d’adaptation des lois aux réalités locales. Un homme en cavale depuis quatre ans, est arrêté en 2003. Il s’appelle Yvan Colonna, l’homme le plus recherché de France. Gilles Simeoni, le fils du leader autonomiste Edmond Simeoni «père de la patrie», sera un des avocats du militant indépendantiste accusé sans preuve d’être l’assassin du préfet français.

Peu à peu, la lutte armée baisse en intensité, elle s’éteindra en 2014. Place aux politiques. Les abertzale corses toutes tendances confondues, se disputent, s’allient, se restructurent, se divisent et se réinventent. Dans l’ensemble, ils progressent au fil des scrutins. Gilles Simeoni est élu maire de Bastia en 2014, puis dirige le conseil exécutif de Corse en 2015. A ses côtés, le leader indépendantiste Jean-Guy Talamoni préside l’assemblée de Corse.

Coup du mépris et de la provoc

Mais la France refuse tout dialogue avec le nouveau pouvoir. Pire, ses préfets mettent des bâtons dans les roues. Accompagné de J.-P. Chevénement, adversaire le plus résolu de tout statut particulier, Emmanuel Macron vient sur l’île pour le vingtième anniversaire du meurtre du préfet. Il joue le coup du mépris et de la provoc. Devant Gilles Simeoni et les élus corses préalablement fouillés au corps par la police, le président de la République affirme que le meurtre du préfet Erignac «ne se justifie pas, ne se plaide pas, ne s’explique pas».

Yvan Colonna est toujours derrière les barreaux, sur le continent. Les demandes de rapprochement en Corse se fracassent toutes contre un mur, celui de la raison d’État et du nationalisme français, dans une « démocratie » qui bafoue sa propre loi. Elle se venge en refusant d’appliquer le droit commun. Elle se venge. Une façon d’avouer qu’il s’agit bien pour elle de prisonniers politiques. Vingt ans après les faits, alors que la lutte armée n’est plus qu’un souvenir, pour Paris la guerre n’est pas finie. Sur ce chapitre, France et Espagne sont synchrone.

Drapeaux en berne

Yvan Colonna mourra le 21 mars 2022, loin des sa patrie et des siens, seul, tel un chien. Comme le leader haïtien Toussaint Louverture, en 1803 dans un cachot du fort de Joux, à la frontière franco-suisse. L’indépendantiste corse est assassiné dans l’univers le plus sécurisé du monde, une prison de haute sécurité où il avait le statut spécial DPS, « Détenu particulièrement signalé ».

La jeunesse corse s’émeut, l’île s’embrase. Tel un pompier pyromane, le ministre français de l’Intérieur débarque, il vient dire oui à l’autonomie et lève miraculeusement le statut de DPS. Est annoncé le retour en Corse de deux presos incarcérés à Poissy. Mais en signe de deuil, les institutions de l’île mettent officiellement leurs drapeaux en berne. Darmanin, Valls, Macron réagissent : c’est « une faute », pas question que les Corses fassent d’un terroriste un héros. A l’heure des obsèques, à quelques kilomètres de Cargèse, nouvelle provocation : les CRS chantent la Marseillaise dans leur cantonnement.

Le « terroriste » qui a osé défié la France, ses symboles et ses serviteurs zélés, était « parti menotté, comme un paria, il revient sur sa terre dans un cercueil ». Le 23 mars depuis l’aéroport d’Ajaccio, une haie d’honneur de plusieurs milliers de personnes accueille sa dépouille. Assassin à Paris, héros et martyr de la résistance en Corse, le retournement et la fracture entre deux peuples sont sans précédent. Yvan Colonna immolé ne pouvait faire plus beau cadeau à sa patrie. Comme pour toutes les nations, dans le tohu-bohu et les errements de leur histoire, leurs horreurs et leurs exploits, les élans et les déchirements, les hauts et les bas, les fractures et les victoires, le peuple corse sait reconnaître un de ses fils. Par la grande porte et aux côtés de Pasquale Paoli, il le fait entrer dans le Panthéon de sa mémoire.

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