Délia Delanne, accord terre-mer

Le thème de la prochaine édition de Lurrama : Paysan·nes de demain.

 

Izena duenak izana du, ce qui se nomme existe. Elles assurent la logistique en base arrière ou sont en tête de proue, s’occupent des enfants ou d’une entreprise, suivent le collectif ou s’en émancipent, et parfois tout à la fois. Enbata a voulu, par une série de portraits, contribuer à rendre visible le rôle des femmes dans le mouvement abertzale. Chacune aborde son parcours personnel, entremêlé avec le combat collectif, sa vision de l’abertzalisme, la place des femmes dans le militantisme : chaque portrait est un point de vue, aussi subjectif qu’universel. 

Cette série de portraits est illustrée par Sabina Hourcade. 

Elle se doutait qu’on allait lui faire le coup du cliché de “la biarrote qui vit à Garazi”. En même temps, le parcours de Délia Delanne, née en 1996 dans une famille de surfeurs francophones de Biarritz et partie s’installer à Garazi, où elle vit en euskara et coordonne Lurrama, est un véritable trait d’union, qui relie les éléments, les milieux, les langues, et raconte probablement quelque chose du futur d’Euskal Herri. Une bonne façon de conclure cette série de portraits.

Laisser passer la vague 

Chaque famille a ses marottes : dans celle de Délia, il semblerait que ce soit le sport. Sa grand-mère paternelle (une Hiriart de Sare) l’enseigne. Ses parents, surfeurs, ont choisi de vivre quartier Milady à Biarritz, face à la plage, pour mettre la fratrie des 3 enfants à l’eau. Entre la filière sport-étude surf où elle est inscrite dès le collège, les surfs trips à travers le monde en famille et les compétitions, il aurait été facile de croire la ligne de la benjamine toute tracée. “Pourtant j’ai su rapidement que je ne voulais pas en faire mon projet professionnel. C’est compliqué pour une femme de vivre du surf. Souvent on attend d’elles qu’elles travaillent leur image tout autant que leur technique parce qu’on a le cliché de la surfeuse en maillot de bain.” Pas de cliché, donc. Délia est résolue :  “Je n’avais pas envie de faire ma vie en fonction des vagues.” Elle s’essaye aux études d’architecture, comme son père, se réoriente vers la géographie, à Bordeaux, et lorsque le covid gèle le monde, elle achève son M2 par un stage à la CCI de Bayonne. Une certitude : elle veut rester en Euskal Herri, près de la famille et de la mer. La période d’entre-deux du covid coïncide avec l’entre-deux de la fin des études : qui sait si, sans cet alignement, elle aurait réussi à partir en barnetegi ? Alors qu’elle n’entend pas l’euskara à la maison, elle décide d’entamer une formation immersive à Lazkao. “Mon amatxi était euskaldun, elle m’avait transmis certaines valeurs liées à cette terre. Mais vivre ici au Pays Basque, sans parler l’euskara, me donnait l’impression de passer à côté de quelque chose.” 

Appartenance

Maîtriser l’euskara lui ouvre de nouvelles portes. Maintenant, elle comprend les chants, les spectacles. “En août, j’ai été à la pastorale de Barcus, qui raconte l’histoire militante des dernières décennies. C’est passionnant de voir que plein de gens se sont mouillés pour faire avancer les choses.

Délia non plus ne restera pas longtemps au sec : sortie de l’océan, elle se retrouve plongée dans le grand bain du militantisme. Si l’euskara est un sésame vers la culture, elle découvre que ça l’est également pour le travail. Elle à qui aucun employeur n’avait répondu se retrouve retenue pour trois entretiens dès sa sortie de barnetegi. Elle découvre alors EHLG et le monde paysan. Elle s’installe à Garazi, nage entre les sigles, se forme aux enjeux.

À tout juste 25 ans, elle se retrouve coordinatrice de Lurrama : 1000 bénévoles, une soixantaine de responsables, 25 000 visiteurs par an. “Je ne me rends pas toujours compte de la responsabilité qui vient avec ce poste, parce qu’on n’est jamais seuls pour l’organisation et la prise de décision. J’ai découvert le monde militant, où les gens se donnent à fond, mais avec l’esprit gai. Ils apportent au collectif, et le collectif leur apporte de la joie. Militer, c’est faire partie de quelque chose.”

C’est amusant comme l’abertzalisme se définit souvent par l’altérité : on lui dit “bien sûr que tu es abertzale”. Délia, elle, se méfie des étiquettes, et préfère juger sur pièce. La “patrie” ? Des idées, surtout : l’importance de décider à l’échelle locale, par les gens du territoires; un modèle agricole, l’agriculture paysanne; la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes; la langue.

Renouveau 

Une fois qu’on est tombés dans le militantisme, on n’en ressort pas, de toute façon, non ?” Délia est de la nouvelle génération, celle où on milite autrement. Les postures sacrificielles, très peu pour elle. Celle qui fait des infidélités au surf en allant courir dans la montagne sait que, pour que la course soit longue, il faut gérer son rythme. Elle apprécie la gestion d’EHLG, où les heures sont comptées et celles qui dépassent, récupérées. “C’est peut-être lié à la mobilité ou à l’information. Aujourd’hui, les gens revalorisent le temps libre, la vie personnelle. C’est un sujet qui monte, même dans le monde paysan : à ELB gazte par exemple, ils abordent les questions des services de remplacement pour essayer de dégager du temps libre dans un travail qui demande beaucoup d’astreinte.”

La 20e édition de Lurrama se tiendra les 7, 8 et 9 novembre à la halle Iraty à Biarritz.

Elle garde de son stage en Corée le souvenir oppressant de ce logement au 16e étage d’un énorme immeuble, dans des chambres étriquées où la salle de bains partagée ne fermait pas à clé pour éviter les suicides. Que ce soit l’océan ou la montagne, Délia veut de l’espace. Quand elle retourne sur la côte, elle est saisie par le contraste : le rythme, les prix, la saturation. “Aller à la plage n’est plus du tout l’activité populaire qu’elle était autrefois. Si tu n’es pas blindé, tu restes chez toi. Et encore faut-il que tu aies un chez-toi…

Terre mère

Délia est de la nouvelle génération donc, celle qui se demande quels défis il faudra affronter en Euskal Herri. Elle se questionne sur la mobilité (“En moins de cent ans, on s’est tous mis à avoir une voiture individuelle. L’enjeu maintenant, c’est de faire évoluer la mobilité, et ça n’est pas simple puisqu’on s’est habitués à faire de grandes distances, tout le temps.”), le surtourisme, le féminisme, le climat. Mais son sujet principal, c’est l’agriculture.

Elle fait sienne cette remarque selon laquelle le monde paysan ne peut pas fonctionner juste avec les paysans. “À Garazi, c’est plus simple d’avoir accès aux circuits courts. On est moins tentés par la surconsommation : c’est plus rapide parfois d’aller à la ferme que d’aller au supermarché. Il y a une forme de sobriété imposée. Un des enjeux de demain, c’est l’accès à une alimentation saine. Ce qui est vital, c’est boire et manger, et pourtant les gens mangent mal, sont malades. On le voit avec les débats sur la loi Duplomb. Or si on permettait aux gens de manger sainement, il y aurait plus de paysans. L’agriculture paysanne est un sacré levier pour améliorer le monde de demain, parce qu’elle touche à tout le reste : la langue, l’économie, la place des femmes, etc.

Une langue, une terre, ses paysans. Lorsqu’elle a passé six mois dans la réserve de biosphère mapuche du nord de la Patagonie, pendant ses études, elle a été frappée par les résonances avec le Pays Basque. “Le mapudungun, la langue mapuche, est très liée à la terre. Comme au Pays Basque, où d’une certaine façon l’euskara est liée au monde paysan, est plus parlé dans l’intérieur. Défendre l’un, c’est défendre l’autre.”

Pour sa 20e édition, Lurrama met à l’honneur Euskal Herri et les paysannes et paysans de demain. Difficile de trouver un thème qui reflète mieux Délia, qui s’attache à tisser ce trait d’union entre différentes facettes d’un même territoire.  

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