Le parti de gauche souverainiste Core in Fronte (Coeur en avant) compte depuis 2021 six élus à l’Assemblée territoriale de Corse (12,26% des voix) et fait preuve d’un beau dynamisme militant sur le terrain avec des opérations « coups de poing », en particulier dans le domaine de la spéculation immobilière. Il compte en ses rangs un militant historique de la Lutte de libération nationale, Paul Quastana. Son leader Paul-Félix Benedetti répond en octobre dernier aux questions du quotidien Corse matin.
Core in fronte, la première représentation indépendantiste à l’Assemblée de Corse, n’a pas répondu à l’appel de Patriotti pour construire ce qui deviendra Nazione. Pourquoi ?
Nous n’avons pas jugé bon de répondre à l’appel de militants d’autres organisations pour ne pas rajouter de la confusion et pour laisser se faire une réorganisation politique qui ne peut être que bénéfique. Nous avons une ligne, un discours et nous serons attentifs à celui des autres en considérant que le socle historique des indépendantistes est fort et fondé. Au Pays Basque, en Irlande, les indépendantistes ont repris la prééminence du combat par rapport aux régionalistes et aux autonomistes. Il y a un paradoxe : les forces qui ont le moins mouillé la chemise ont tiré le plus de profits des avancées politiques. Il serait légitime que par des recompositions, il y ait cette perspective d’une force indépendantiste plurielle.
Les représentants de Corsica Libera [ancêtre de Nazione] sont en pointe dans cette nouvelle démarche politique. Cela ne manque-t-il pas de diversité ?
Le mouvement unique ne peut plus exister. Il y a des divergences d’appréciation très fortes, y compris au niveau des liens humains, qui font qu’il n’y a pas encore la matrice à quelque chose de fusionnel. Il ne faut pas non plus penser qu’il peut y avoir une balkanisation de l’espace politique. Justement, les regroupements sont de nature à renforcer des idées et à contribuer, demain, à un renversement de tendance au profit des indépendantistes. Les regroupements de forces politiques ne se décrètent pas. Ils se font par des logiques qui appartiennent au temps. L’histoire très proche nous le dira.
Autour d’a Chjama patriotta, on n’est pas tendre sur la façon “très tiède” de mener les discussions avec Paris. Vous participez à ces discussions. Que répondez-vous ?
Je pense justement que la proposition de l’Assemblée de Corse formulée en juillet dernier est la plus forte jamais portée démocratiquement en Corse. Lorsque les nationalistes étaient au pouvoir sans Core in Fronte durant six ans, ils ont adopté une posture politique a minima, en acceptant, avec “Madame Corse“, Jacqueline Gourault, un processus de discussion sur une évolution institutionnelle très basse, avec des transferts réglementaires et une entrée dans la Constitution par la petite porte, à travers l’article 72. Au même titre que d’autres collectivités territoriales. Demander un titre, un droit à l’autodétermination, le transfert de tous les pouvoirs législatifs, c’est fort. Je rappelle aussi que lorsque les nationalistes de la Cuncolta ont négocié dans les années 90 et 2000, il a été négocié des statuts très en deçà de ce dont on discute aujourd’hui.
Le positionnement de la majorité est-il à la hauteur des attentes de Core in fronte ?
Elle s’est au moins mise au niveau d’un projet d’autonomie, ce qui n’était pas le cas durant les six dernières années. C’est le minimum. Et le minimum ne se discute pas car sous le minimum, il n’y a plus de seuil.
Que dit la dernière nuit bleue de la situation politique actuelle ? Est-ce condamnable ou un moyen de remettre au centre du jeu le fameux “rapport de force” ?
Le problème est plus complexe. Les germes de la violence légitime, de la résistance, sont toujours là. On n’a jamais eu l’éclosion d’un processus de paix irrévocable et sincère. Le cycle de dialogue aujourd’hui est arrivé par la force des choses. C’est l’exécution tragique d’Yvan Colonna, les manifestations spontanées, la jeunesse corse, qui ont contraint le pouvoir jacobin à accepter les négociations. Nier le fait démocratique, c’est faire comprendre que la seule solution est celle de la révolte.
La violence politique a-t-elle encore sa place ?
Parler de violence politique, c’est justement une manière de légitimer ce type de combat. La place, c’est l’histoire qui la lui donne. Et l’histoire dit que la Corse a réussi à se préserver, qu’elle a eu des avancées politiques, même a minima, grâce aux sacrifices de ceux qui se sont engagés vers un combat de résistance. On ne peut pas le nier. A-t-elle encore sa place ? Oui, car personne ne pourrait dire que c’est indigne et injuste. Maintenant, mon souhait est d’imposer un cycle politique qui débouche sur une harmonie de vivre et une solution politique à long terme. Mais tant qu’elle n’y est pas, il y aura systématiquement la résurgence d’une logique de rupture liée à la négation du fait national corse.