Comme un parfum de transition

Arnaldo Otegi, coordinateur général d’EHBildu et Pello Otxandiano, porte-parole de la formation au parlement de Gasteiz.

EH Bildu élabore un projet souverainiste « graduel », dans le cadre d’un Etat confédéral basque. Le PNV renouvelle ses instances dirigeantes en faisant place à une nouvelle génération. Dans les assemblées des députations, les deux partis approuvent une motion en faveur du « droit de décider ». Les souverainistes multiplient leurs offres de « pacte budgétaire global » dans la Communauté autonome. Ce nouveau climat laisse augurer d’évolutions politiques inédites pour demain.

EH Bildu prépare son troisième congrès qui aura lieu le 8 février 2025 à Iruñea. Y sera en principe approuvé un texte dont Arnaldo Otegi a livré fin octobre une part du contenu, en un lieu hautement symbolique : la dorretxe Olaso de Telesforo de Monzon, à Bergara. La coalition parle aujourd’hui d’un « processus graduel » pour accéder à l’indépendance qui demeure l’objectif final. Elle a pendant longtemps rejeté les étapes intermédiaires, telles que le statut de Gernika ou celui de la Navarre qui ne faisaient que perpétuer la division du pays et le conflit historique. La gauche abertzale tire ainsi un trait sur ce qui a marqué plusieurs décennies de son combat : obtenir de Madrid la reconnaissance du droit à l’autodétermination et la réunification institutionnelle, par une pratique de la lutte armée débouchant sur une négociation. Elle tire aussi les leçons de plusieurs échecs : la souveraineté-association promue par l’ex-lehendakari Juan José Ibarretxe et les votes référendaires assortis d’une déclaration unilatérale d’indépendance, mis en oeuvre par les Catalans. Idem pour la situation en Ecosse qui demeure bloquée. Elle prend en compte la situation institutionnelle concrète d’Euskal Herria.

Comment une nation peut-elle accéder à la souveraineté dans un Etat occidental? Le sujet est épineux et la question dépourvue de réponse claire. Mais dans cette affaire, on prouve en marchant. EH Bildu entend laisser de côté toute idée du « grand soir ». Cela semble aujourd’hui une évidence et tomber sous le sens, encore faut-il le dire et travailler dans cette direction. Pas de jour J en vue, tout en maintenant la question nationale au centre du débat. Pas d’évolution politique sans un mouvement social puissant, c’est une des leçons du processus catalan. Il convient de convaincre nombre de partenaires sociaux et politiques et travailler l’opinion publique. «Etre capable de créer des conditions favorables, impliquer de larges secteurs, construire des majorités suffisantes», précise le leader d’EH Bildu Arnaldo Otegi. En clair, travailler davantage avec le PNV, le PSOE et leurs mouvances « tout en montrant constamment une volonté d’agir de façon bi-latérale et parvenir à des accords avec l’État », et en récupérant progressivement des parcelles de souveraineté et des niveaux de compétences maximum.

Principale locomotive

La démarche proposée aujourd’hui par la formation souverainiste correspond à une évolution qui se situe dans la suite logique de son aggiornamento entamé depuis plusieurs années par Arnaldo Otegi et son équipe. Le statut d’autonomie actuel est à bout de souffle et la relation avec l’État dirigé par la gauche offre des « opportunités » à saisir. Pour faire évoluer les institutions qui doivent s’adapter à la volonté exprimée par l’opinion publique, EH Bildu entend jouer un rôle grandissant de «principale locomotive». Les rythmes différents qui sont ceux des trois cadres institutionnels du Pays Basque (Communauté autonome, communauté forale de Navarre et CAPB) seront respectés, ainsi que la volonté de leurs citoyens respectifs, pour aboutir un jour à une formule d’Etat confédéral.
Un autre chapitre marquera le prochain congrès d’EH Bildu : hier encore la coalition rassemblait Sortu, EA et Alternatiba. La formation ira en s’unifiant.
Peu à peu, EH Bildu se « PNVéise » ricaneront certains. A moins que ce soit le PNV qui se « EH Bilduise», comme on le verra plus loin, avec les votes des députations et le futur projet politique du veux parti.

Peu à peu, EH Bildu se « PNVéise » ricaneront certains.
A moins que ce soit le PNV qui se « EH Bilduise»,
avec les votes des députations
et le futur projet politique du veux parti.


Changer le statut, mais jusqu’où ?

C’est le serpent de mer de la politique basque : rompre le statu quo institutionnel imposé par Madrid, faire évoluer le statut d’autonomie, comment, avec quels partenaires et jusqu’où ? Le débat vient de refaire surface avec les motions que votent depuis début octobre les assemblées des députations, ainsi que les débats internes au PNV en vue de son assemblée générale les 29 et 30 mars 2025 à Donostia. Dans leurs motions, les députations n’utilisent pas les mots qui fâchent, « droit à l’autodétermination », mais préfèrent la notion plus soft du « droit de décider » de la société basque, en tant qu’expression institutionnelle au travers duquel se concrétisent des relations bilatérales. Au-delà des belles périphrases, personne n’est dupe.

Le serpent de mer de la politique basque :
rompre le statu quo institutionnel imposé par Madrid,
faire évoluer le statut d’autonomie,
comment, avec quels partenaires et jusqu’où ?

La nouveauté est que ces motions sont votées par EH Bildu et le PNV qui détiennent ensemble la majorité absolue. Alors que les députations sont gérées par des alliances PNV-PSOE qui écartent EH Bildu. Du coup, les socialistes voient rouge. Leur leader local Eneko Andueza se répand en déclarations furibondes contre le dérives autodéderminationistes, le risque d’aventure à la catalane et les obsessions identitaires. Mais il est d’accord pour une réforme du statut d’autonomie actuel.

Eneko Andueza, secrétaire général du PSOE dans la Communauté autonome basque, s’oppose à un nouveau statut, ses dérives identitaires et ses aventures.

Tout dépend où l’on place le curseur, c’est l’objet même de ce débat politique. Modifier en profondeur le statut de 1979 suppose de retoquer la Constitution, donc l’accord des Espagnols. Ceux-ci sont parvenus à stériliser depuis des décennies les demandes des Catalans et des Basques, à maintenir le statu quo en-deça des lois, tant nous sommes structurellement minoritaires. Face à un adversaire qui maîtrise les règles du jeu, chacun mesure l’ampleur de nos difficultés.

PNV en quête de reconnection

La question du droit de décider est sur la table, y compris dans les débats internes du PNV qui prépare un congrès décisif avec un objectif majeur : rajeunir ses instances dirigeantes, revitaliser un parti assoupi. Ses mauvais résultats électoraux successifs font qu’il y a péril en la demeure, dès lors, exit beaucoup de vieux caciques et place aux quadras. Avec peut-être une exception, si Andoni Ortuzar se maintient à la tête du parti. Un secteur critique a fait entendre sa voix, mais sans lendemain. Et le droit de décider  est également soumis au débat dans les batzoki (sièges locaux du parti). Mais plus on grimpe dans la hiérarchie —lehendakari ou président de l’Euskadiko buru batzar— plus les formules édulcorées sont de mise, dès qu’il s’agit d’évoquer ce fameux droit. Cela va du «saut qualitatif dans l’autogouvernement », aux « relations bilatérales » avec l’État et à « un système de garanties », pour éviter retours en arrière et recours devant les tribunaux.
Le PNV consent à s’emparer du thème du droit de décider pour deux raisons. Il négocie avec Madrid pour le prochain budget de l’État et l’obtention des éternels transferts de compétences attendus depuis 45 ans. Agiter le droit de décider est une manière de faire monter les enchères, scénario éculé de ses démarches tactiques. D’autre part, la sociologie du pays change. Le vieux parti constate que les nouveaux électeurs qui se détournent de lui au fil des scrutins, sont plus souverainistes qu’hier. Il veut surmonter la désaffection d’une partie de ses soutiens traditionnels, se reconnecter avec la société, aller dans le sens du courant, même si c’est à reculons… Et c’est le grand classique du va et vient du « parti pendulaire », souvent évoqué dans ces colonnes.
PNV, PSOE et EH Bildu sont au moins d’accord sur deux points : le statut d’autonomie va évoluer et les socialistes doivent rester au pouvoir en Espagne. Un gouvernement central affaibli et dépendant des partis périphériques est le scénario idéal pour que les nations dominées fassent valoir leurs projets.

Simple toilettage ou réforme fiscale structurelle

L’autre grand sujet qui occupe les institutions basques est l’approbation des prochains budgets. Pour celui du gouvernement de Gasteiz —environ 15 milliards d’euros— l’affaire est dans le sac, puisque Imanol Pradales codirige la communauté autonome avec les socialistes. Mais en 2021, ils ont eu besoin de l’abstention d’EH Bildu pour faire approuver leur budget. Cela se complique dans deux députations provinciales sur trois. Araba et Gipuzkoa vivent sur des budgets administrativement prorogés, faute de majorité pour les voter. La coalition PNV-PSOE a besoin d’un troisième larron. D’où les propositions d’accord de la part du PP et d’EH Bildu en pleine rivalité. Ce dernier présente une offre globale portant sur toutes les institutions, elle est assortie de propositions sur le logement, la création d’un salaire minimum propre au Pays Basque et surtout la fiscalité. Les souverainistes prônent non pas un simple ajustement, mais une réforme fiscale « structurelle », pour faire face aux défis sociaux sans précédents qui sont ceux « d’un petit pays, banlieue de Londres, dans un monde en flammes », dixit Pello Otxandiano. D’où la proposition d’une réforme complète de l’impôt sur les sociétés et sur les grandes fortunes, ainsi que la chasse à l’évasion fiscale qui, dans la Communauté autonome basque, atteint le milliard d’euros par an.

EH Bildu prône non pas un simple ajustement,
mais une réforme fiscale « structurelle »
pour faire face aux défis sociaux
sans précédents qui sont
ceux « d’un petit pays, banlieue de Londres,
dans un monde en flammes », dixit Pello Otxandiano.

Des débats au sommet ont lieu, y compris publiquement le 9 novembre, entre le porte-parole d’EH Bildu au parlement, Pello Otxandiano, et le ministre PNV du budget Noël d’Anjou. Chacun se teste et se jauge, mais sans résultat pour l’instant. A la mi-novembre, le débat se poursuit au parlement. La main tendue par EH Bildu a aussi pour but d’aiguiser les contradictions au sein du binôme PNV et PSOE et les souverainistes entendent gagner en crédibilité quant à leur capacité à gouverner un jour. Elle s’appuie sur la situation en Navarre. Chaque année depuis six ans, en échange de son abstention, la formation souverainiste négocie le budget avec l’exécutif socialiste qui dirige la Communauté forale avec Geroa bai, proche du PNV. En somme, une forme de cogestion sans participation, tout en conservant le pouvoir critique du challenger. La dédiabolisation d’EH Bildu a fait des pas de géant.

Etre au centre de l’échiquier politique

Avec à sa tête l’historique Arnaldo Otegi et le brillant ingénieur en télécommunications Pello Otxandiano, EH Bildu entend pousser l’avantage et engranger peu à peu au fil de ses succès électoraux. Comme précédemment, il grignote au détriment d’un PNV vieillissant. Il rogne aussi du côté du PSOE, comme on l’a vu lors des dernières élections, avec le basculement de membres de ce parti. Ses nouveaux électeurs sont mouvants, leurs bulletins de vote changent de couleur selon qu’il s’agisse d’un scrutin étatique, régional ou local, d’autres se réfugient dans l’abstention, prélude à des choix ultérieurs. L’électorat souverainiste est plus jeune, plus euskaldun et mieux formé qu’hier. Que la progression électorale d’EH Bildu soit progressive est aussi un gage de solidité, il faut se défier des émergences ou flambées aussi brutales qu’inattendues, l’épisode de Podemos est là pour le prouver. Accéder au pouvoir dont la gestion est une épreuve —un grand exercice de frustration— ne peut être réussi que si l’on a pris le temps de former des cadres politiques et des techniciens susceptibles d’assumer, de les aguerrir dans la gestion des collectivités locales pour tenir le choc et éviter au final de décevoir son propre camp.
Au parlement espagnol, EH Bildu dispose de plus de députés que le PNV qui a perdu le monopole des négociations avec Madrid détenu pendant si longtemps. L’objectif d’EH Bildu n’est pas uniquement de s’allier avec les socialistes en renvoyant le PNV dans l’opposition. Il désire changer les règles du jeu, en occupant demain la place centrale sur l’échiquier politique basque qui est encore entre les mains des jeltzale (1).

EH Bildu désire occuper demain
la place centrale sur l’échiquier politique basque
qui est encore entre les mains du PNV,
pour choisir ses alliances avec des partenaires
à la fois rivaux et alliés, impulser le changement
en s’appuyant aussi sur la société civile.

Ce rôle pivot lui permettra de choisir ses alliances de gouvernement avec des partenaires à la fois rivaux et alliés, comme le pratique déjà la gauche abertzale à Iruñea et à Madrid. Selon Pello Otxandiano, cela signifie aussi un changement de culture politique, en associant la société civile qui doit participer au processus démocratique, en particulier lorsque les partis peinent à s’entendre. Et réussir ainsi un exercice complexe consistant à prendre appui sur des forces sociales, tout en précédant et impulsant le changement.

(1) Jeltzale : le terme désigne les membres du PNV. Il fait référence à l’acronyme JEL, Jaungoikoa eta lege zaharra, Dieu et la vieille loi (les fueros). On le retrouve dans le nom basque du PNV, EAJ, Eusko alderdi jeltzalea.

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