Carnavals en été

Mucem3Le MUCEM, Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, présente à Marseille une superbe exposition sur les carnavals et les mascarades du continent européen et du Maghreb, intitulée Le monde à l’envers. Phénomène culturel oublié, dénigré, voire réprimé, les carnavals suscitent aujourd’hui un intérêt grandissant, souvent sous l’impulsion de militants culturels qui, depuis des décennies, s’attachent à les faire revivre.

Présenter l’expression d’une culture et d’un art populaire dans un contexte autre que le sien est un tour de force. C’est ce que parvient à réaliser, avec des moyens considérables il est vrai, le MUCEM, le nouveau musée
qui, à sa manière, a pris le relai du Musée des Arts et traditions populaires de Paris (ATP), fermé en 2005 et dont il a récupéré les collections.

En présentant corps, sons, déguisements et passant parfois de l’autre côté du miroir ou par des aperçus historiques, Le monde à l’envers nous fait approcher des rites du carnaval, d’un bout à l’autre du continent européen et autour de la Méditerranée.

D’emblée, l’exposition nous plonge dans l’ambiance envahissante, entêtante des carnavals grâce à des films sur grands écrans et à un labyrinthe peuplé de tous les personnages de ce rituel hivernal. Cette farandole à la fois explosive et subversive, son tintamarre cathartique, ses sonneurs de cloches, ses ours, ses masques et ses costumes colorés semblaient bien éloignés de notre quotidien urbain, technique, voire virtuel ou dématérialisé. Ils deviennent tout à coup extraordinairement proches et vivants, loin de tout un folklore appauvri ou assourdi par les siècles. Ils prennent sens et nous recentrent sur notre humaine condition, quelques-unes des questions majeures de la vie et de la mort, ainsi que nos rapports sociaux.

Par le regard que l’exposition met en oeuvre, nous reprenons contact avec une part occultée de ce qui fait nos sociétés et de ses fondements.

Le lieu des sans-voix

“Carnaval est le nom d’un écart qui arrive dans le flot du temps —un ‘temps mort’ socialement— pour y placer une activité rituelle”, né bien avant la fixation calendaire par l’Eglise catholique (mardi- gras et mercredi des Cendres). Il s’agit d’un rite de passage entre une année et l’autre, marqué par une interrogation: le monde va-t-il renaître une fois encore? Les humains des temps reculés donnaient au temps tout son poids d’incertitude et inventèrent des rites pour favoriser le passage des cycles saisonniers. Alors prennent place une série de fêtes d’inversion, de transgression des hiérarchies, où chacun invente un autre: l’ours, le Turc, le Bohémien, des êtres grossiers, des géants, des êtres mi-hommes, mi-bêtes qui nous font peur et en même temps nous attirent, dans “une fête que le peuple se donne à lui-même”. C’est aussi le lieu où les sans voix, les zirtzil, les gens de peu prennent la parole.

La critique populaire et la polémique s’expriment à l’encontre des figures respectables de la religion ou du pouvoir qui sont ici et pour un temps donné, déchues et ridiculisées. Ce “dehors”, ce moment de liberté d’expression donnent tout son prix au carnaval, en un jeu complexe de miroirs et de masques.

L’exposition du MUCEM nous donne à voir et nous explique tout cela mais aussi pose les questions du carnaval d’aujourd’hui et de demain. Ce sont celles de la médiatisation excessive, de la fabrication parfois facile des symboles d’une identité, de la disparition des temps de préparation où chacun prépare son corps et son esprit, noue d’autres relations, se détache de son identité sociale. La codification fige parfois des pratiques apprises ou reconstruites, au nom du maintien de traditions réputées ancestrales. Ailleurs, la pression des pouvoirs locaux en fait des parades touristiques dont le poids économique pèse lourd. Gageons que la force libératrice des carnavals et des mascarades, le rire et la dérision, le pouvoir d’invention de ces moments d’intense sociabilité demeureront vivants. “Le souffle chaud amoureusement transmis de bouche en bouche de la tradition orale, des gestes rituels et de la mémoire envelopperont demain encore [les rues de nos villages] et de chaque pierre, comme un iceberg au printemps, jailliront les mots dégelés, les cris, les vérités rauques ou cristallines…”

MUCEM1Phénomène culturel dénigré

A Marseille, ce grand voyage dans l’imaginaire carnavalesque a été précédé de quatre années de collecte et de recherches à travers toute l’Europe, par une équipe d’ethnologues. Il se présente tel un habit d’Arlequin, comme “un concert de voix parfois contradictoires ou cacophoniques, qui loin d’épuiser le sujet, invite à se perdre dans le charivari du carnaval”.

L’ampleur du champ géographique concerné, la qualité de la présentation et du questionnement, valent le détour. Phénomène culturel oublié, dénigré, voire réprimé, les carnavals suscitent aujourd’hui un intérêt grandissant, souvent sous l’impulsion de militants culturels qui, depuis des décennies, s’attachent à les faire revivre. Cette exposition du MUCEM qui doit beaucoup au Musée international du carnaval et du masque à Binche (Wallonie), mériterait d’être présentée en Pays Basque, en particulier pour conforter la démarche de classement au Patrimoine culturel mondial immatériel de l’Unesco des carnavals du Labourd. Pour nourrir également la réflexion collective quant à leur avenir dans nos sept provinces. MUCEM, Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, Fort Saint Jean et J4 à Marseille, exposition Le Monde à l’envers, carnavals et mascarades de l’Europe et de Méditerranée, du 26 mars eu 25 août 2014 sur 1500 m2. Cette exposition sera présentée au MICM de Binche (Etat belge), sous une forme réduite (800 m²), de fin janvier à fin juin 2015. Superbe catalogue de 336 pages, publié par Flammarion MUCEM.

Invraisemblable patchwork

Cette présentation du carnaval nous réconcilie avec un musée dont certains aspects demeurent décevants. Sa galerie de la Méditerranée est un invraisemblable patchwork où, sous prétexte de “portrait mosaïque”, se mêlent sur 1500 m2, bouquet de Saint-Eloi (enseigne de maréchal-ferrant), masque africain du Nigéria, collier et cloche de boucs arlésien, statue de Cérès en marbre (1er siècle av. J.C.), araire et joug alpins, charrette sicilienne, portepain serbe, pioche à deux dents, gargoulette géorgienne, statue d’homme-lion (Allemagne, 30.000 ans av. J. C), etc. etc. etc pour couronner le tout, une sakieh égyptienne ou système traditionnel d’irrigation.

Le MUCEM nous offre alors en spectacle la démarche de récupération de cette sakieh en 2012, à 100 km du Caire et son voyage jusqu’à Marseille, avec en prime le regard d’un vieux fellah qui la regarde partir de son village. Une sauvegarde certes, mais aussi l’aveu des rapports de domination entre l’Europe riche et les peuples dominés du Sud. Une vidéo sinistre à en pleurer qui résonne comme l’appropriation des sculptures du Parthénon ou de la Vénus de Cyrène.

Mucem2Les âges de la vie

En 2014, le MUCEM a fermé à la visite la chapelle du fort Saint- Jean. C’est une bonne chose. L’an dernier, on y voyait à la place de l’autel, un étonnant capharnaüm, sous la forme d’un mur de 200 objets issus du musée parisien des ATP et mis en scène par Zette Cazalas, autour du thème des âges de la vie: quilles militaires, battoir de lavandière, tribulum bulgare, chapeau de Catherinette, croix de fer, quenouille, instruments pour la circoncision, chef d’oeuvre de compagnon du devoir, couronne de mariage norvégien, crémaillère, etc. et enfin, entre une tombe hongroise et celle
d’un personnage religieux d’Afrique du Nord… une stèle discoïdale du Pays Basque Nord! Le guide interrogé sur la nature de cette pierre ronde ne sait pas de quoi il s’agit. Il renvoie sur un écran tactile où chaque objet
numéroté fait l’objet d’une fiche. Celui de la stèle discoïdale indique: “Rituel de la mort. Stèle funéraire. Pays Basque France, avant 1886. Granit. Pour les musulmans, le défunt est enterré en direction de la Mecque,  sans cercueil, si la loi de son pays l’autorise. La crémation est interdite chez les juifs, le corps doit être enterré dans un cercueil sobre, symbole de l’égalité devant la mort. Les chrétiens privilégient l’inhumation, mais tolèrent la crémation depuis 1963”. Quant à la galerie du temps cyclique des fêtes calendaires qui devait présenter “les temps forts du calendrier rural et les rites agraires et religieux à l’époque où nos sociétés vivaient encore au rythme de la nature”, elle n’a jamais été ouverte. Sans doute est-ce préférable. Seuls figurent encore aujourd’hui le panneau qui l’annonce et ses portes closes.

Petits peuples périphériques

Sur un site historique grandiose, dans des bâtiments conçus par un grand architecte et pour un coût de plus de 200 millions d’euros, voilà comment sont traitées les cultures des petits peuples périphériques et leur  altérité. Au nom d’une universalité méditerranéenne et d’un discours vantant les mérites de l’intégration, du métissage, à la française bien sûr. Si l’on gratte le vernis de la présentation brillante, si l’on cherche derrière la qualité irréprochable du discours intellectuel, apparaît alors un projet subliminal qui risque de dater très vite. Ne restera plus que la figure d’un homme épuisé, défiguré, telle qu’elle apparaissait à la fin de l’exposition
de 2013 Le noir et le bleu, un rêve méditerranéen. Un homme seul, au regard vide. Il attend, il erre. Il attend Godot.

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