Entre Bildu et PNV, le temps du dégel (2/2)

EHBilduPNV

Suite et fin de la partie 1/2.

Les négociations et accord entre les deux partis aboutissent à un soutien relatif d’EH Bildu au budget 2022 de la Communauté autonome basque dirigée par le PNV. A Madrid et en Navarre, les souverainistes basques s’accordent avec le PSOE. Cette politique des pactes avec différents partenaires de droite comme de gauche donne du poids politique à EH Bildu. Choisir d’accueillir en privé et plus discrètement les presos libérés facilite le dialogue entre des partenaires. S’ouvrent ainsi des temps nouveaux où les indépendantistes sortis du ghetto pèseront tous azimuts.

Budget du gouvernement de Gasteiz

Dans le bouleversement des relations entre EH Bildu et ceux qui deviennent ses partenaires, l’abstention des députés indépendantistes lors du vote du budget 2022 du gouvernement autonome constitue un tournant politique. Nous n’avions pas vu cela depuis le Pacte de Lizarra Garazi.

Le 14 décembre, les 21 députés indépendantistes ont joint leurs voix à celles du PNV (31) et du PSOE (10) pour rejeter le texte du PP-Ciudadanos (6), Vox (1) et Podemos (6) qui s’oppose au budget gouvernemental. Celui-ci dépasse pour la première fois les 13 milliards, avec 100 millions d’euros de plus.

Pour son approbation proprement dite, le 23 décembre, la gauche abertzale s’abstiendra. Comme elle l’a fait en Navarre en faisant adopter le budget d’un gouvernement dirigé par une socialiste, en alliance avec Podemos et les abertzale de Geroa bai.

L’abstention d’EH Bildu à Gasteiz a été précédée de vingt jours de négociations aussi discrètes qu’intenses. Les indépendantistes ont obtenu gain de cause sur de nombreux chapitres à hauteur de 253 millions d’euros concernant surtout, aux dires du PNV, ceux qui étaient compatibles avec la Constitution.

Il s’agit tout d’abord de la gestion d’un SMIC différent de celui de l’État espagnol et indexé sur le revenu moyen par habitants en Euskadi.

Le second chapitre porte sur un système de contrôle des prix des loyers grâce à des mesures fiscales évitant leur augmentation. 77 millions d’euros supplémentaires —plus 12%— seront attribués aux démarches de recherche et développement si importantes en matière d’innovation économique. 30 millions de plus sont affectés aux soins de base en matière de santé et deux pour les urgences ; 120 millions à l’urgence climatique, 20 millions aux politiques sociales contre les risques d’exclusion, dont quatre en faveur des sans-abri, deux millions pour les politiques favorisant l’émancipation de la jeunesse.

Une commission de suivi de ce pacte est évidemment prévue. EH Bildu peut se targuer d’une belle moisson allant dans le sens de ses convictions de gauche. Le 23 décembre, la députée EH Bildu Nerea Kortajarena a toutefois fait part de ses critiques quant au contenu de ce budget. Il demeure très insatisfaisant “au regard de ce dont ont besoin les habitants des trois provinces. EH Bildu n’a pu améliorer que ce qu’il avait entre les mains”, beaucoup de progrès restant à accomplir en matière de fiscalité, de logement, de médias et dans l’univers de coopératives. La députée souverainiste ne s’est pas gênée pour rafraîchir la mémoire de Podemos, les donneurs de leçons d’aujourd’hui. En 2020, Podemos vota en faveur du budget PNV-PSOE, ses voix étaient alors indispensables pour obtenir une majorité. Il convient maintenant de comparer ce que Podemos obtint à l’époque avec le résultat d’EH Bildu en 2021. Le bilan est sans appel.

La peur bleue du PNV

Le PNV voit son budget soutenu ainsi par une confortable majorité, EH Bildu étant la deuxième force politique du pays. Sur un plan pure- ment mathématique, il n’avait besoin ni de cette négociation, ni de ce soutien. L’accord fait débat au sein du PNV, Itsaso Atutxa, présidente du parti en Bizkaia, émet des réserves et contredit l’euphorie du ministre basque du budget Pedro Azpiazu, artisan de ce rapprochement avec la gauche abertzale. En fait, le PNV pense à ménager ses arrières et pose des jalons. Une possible union des forces de gauche composée d’EH Bildu, du PSOE et de Podemos monte en puissance. Selon un dernier sondage, elle serait demain à une seule voix de la majorité absolue au parlement de Gasteiz. Le PNV n’a qu’une peur, celle de se faire évincer par cette coalition, comme hier CiU vit le gouvernement catalan lui échapper, après des décennies de pouvoir. Le vieux parti n’a pas en réserve d’autres alliés possibles, au centre ou à droite, du fait de leur faiblesse en Pays Basque et parce que le PP, Vox et Ciudadanos sont d’un nationalisme espagnol, d’un centralisme extrêmes. D’où le souci d’ouvrir d’autres perspectives d’alliances pour l’avenir… du côté de la gauche abertzale. Tous ont les yeux rivés sur les élections législatives en 2023 et les autonomiques de 2024. La situation instable du PNV, à la merci d’un renversement d’alliance, est dans tous les esprits. Le jeune secrétaire général du PSOE basque, Eneko Andueza, élu le 30 octobre 2021 en parle ouvertement. Décidément, les changements de générations dans le personnel politique des partis nous réservent bien des surprises. Hormis avec la droite espagnole et ses extrêmes, oubliées les invectives et les relations en chiens de faïence. Le temps où, avec la caution d’HB, ETA “nettoyait” élus et dirigeants socialistes ou PP, est bien révolu. Seule la droite espagnole en garde la nostalgie, la violence qui générait l’union sacrée dans un conflit de basse intensité était si utile. Elle tente aujourd’hui d’en ressusciter le climat, en agitant souvenirs et fantômes. Carlos Iturgaiz, leader du PP en Euskadi, est très inquiet et remâche sa colère, le PNV se “bildumise” , dit-il le 1er décembre. Son cauchemar pointe le bout du nez, le spectre d’un CiU devenu en grande partie indépendantiste, se rapprocherai-il du Pays Basque ? Puisse-t-il dire vrai.

Critiques de ELA et LAB

Podemos n’apprécie guère un rapprochement entre EH Bildu et un gouvernement dominé par un parti de droite : “Il s’agit de marketing politique”, les souverainistes “veulent occuper la place du PNV en lui ressemblant”, tacle Miren Gorrotxategi. Les abertzale de gauche, comme le PSOE, risquent effectivement de se trouver bientôt en capacité théorique de constituer deux types de coalition, une de gauche avec Podemos, l’autre de droite avec le PNV. L’enjeu des prochaines élections sera considérable, les sondages indiquent que le château de sable de Podemos continuera de s’effriter au profit d’EH Bildu… Les syndicats ELA et LAB émettent eux aussi des critiques. L’accord entre la gauche abertzale et le gouvernement de Gasteiz ne suppose aucun changement structurel, le secteur de l’éducation aura moins d’argent qu’en 2021, la réforme fiscale brille par son absence, ainsi que la nécessaire participation du secteur public dans l’économie. En ces temps de (r)évolution des rapports entre formations, nous sommes sur des sables mouvants. Prudence oblige, la priorité est d’abord à l’unité de son propre camp. Les indépendantistes basques avancent donc à pas comptés et ne laissent rien voir de leurs intentions. Aucun engagement n’est pris, mais la porte est ouverte. Aujourd’hui il n’est question que du budget 2022. Sortis de leur ghetto où ils étaient enfermés, leur nouvelle marge d’influence et de manoeuvre est leur bien le plus précieux. EH Bildu n’est pas seulement le principal parti d’opposition face au PNV, son influence institutionnelle grandit, il devient une force de proposition crédible, un partenaire utile.

Clefs de la réussite

La base des partis ainsi que leurs électeurs respectifs auront in fine le dernier mot. Il ne faudrait pas que ces jeux politiciens voire machiavéliques, affadissent ou détournent de notre combat historique les forces de la société civile ou de la jeunesse. Personne n’est à l’abri en quelques décennies, en une ou deux générations, d’un effondrement, tel que ceux des partis communistes ou de l’Église catholique. La toute puissance des mouvements sociaux catalans le démontre, elle est le meilleur gage du succès pour relancer la machine dans les périodes de basses eaux, remettre les pendules à l’heure lorsque les querelles d’egos, les rivalités entre partis prennent le dessus, lorsque certains dérivent et risquent les compromissions. Là se trouvent les clefs de la réussite à long terme. La gauche abertzale en Hegoalde est parvenue en quelques années à “se réveiller de son sommeil dogmatique”. Un vrai new deal et adieu le grand soir, elle brise le tabou des négociations avec le centre droit, mais EH Bildu n’en est pas à négocier d’emblée un accord de gouvernement avec la droite. Foin de tout a priori, au Nord comme au Sud, nous devons savoir distinguer entre compagnons de route possibles et adversaire principal.

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