L’incarcération puis la libération de Carles Puigdemont en Allemagne brise le face à face hispano-catalan. L’extradition semble hypothétique, c’est un tournant. La gifle est très mal vécue par l’Espagne. Le débat politique commence à s’européaniser. Revenant sur tous ses engagements de solidarité pro-catalane, le PNV vote le budget de Mariano Rajoy assuré ainsi d’achever sa législature jusqu’en 2020. Suite et fin de la première partie.
Et le prochain gouvernement catalan
La quatrième tentative en l’espace de trois mois pour faire élire le président de la Generalitat a échoué le 13 avril. Tout simplement parce que le juge Pablo Llarena a refusé de laisser sortir de prison le candidat pressenti, le député Jordi Sanchez. Quelques jours plus tôt, le 23 mars, le député Jordi Turull fut incarcéré la veille de son élection : “Dur de passer du statut de présidentiable à celui de bagnard”, commentera-t-il sobrement, avant de passer à la trappe du père Ubu. Le président du parlement catalan Roger Torrent va tenter à nouveau d’organiser un scrutin avant le 22 mai. Au-delà de cette échéance, de nouvelles élections régionales auront lieu à la mi-juillet. L’opération est complexe. CUP refuse de voter pour un candidat autre que Carles Puigdemont. Les deux partis indépendantistes ERC et JxC s’efforcent de conserver une majorité relative, alors que nombre de leurs députés sont en prison ou en exil. Ceux-ci doivent, soit voter par procuration, soit laisser leur mandat au profit du suivant sur la liste de leur parti. Encore faut-il que la “justice” espagnole donne son accord. Quant au futur président, il doit non seulement disposer de l’aval d’une majorité de députés, mais aussi obtenir une autorisation de la Cour suprême espagnole qui en dernier ressort, décide s’il est éligible ou non. C’est dire combien le scénario est arbitraire. D’autant que la situation juridique et judiciaire de chacun des députés est très diverse. Les Espagnols pratiquent avec délice un jeu du chat et de la souris dont ils contrôlent et interprètent toutes les règles pour bloquer le système ou l’entrouvrir au gré de leurs intérêts. Si jamais un président catalan “provisoire” est élu, sa marge de manoeuvre sera très réduite, un vrai carcan.
Craquements chez les syndicats espagnols
Il n’est pas sûr que cette absence de gouvernement catalan dans un pays directement administré par “la puissance coloniale” desserve les partis indépendantistes. La preuve de la mainmise espagnole et du vide institutionnel qu’elle suscite est démontrée par chaque scrutin avorté au parlement, avec toutes les frustrations qui l’accompagnent. Significative à cet égard est la mutation qui s’opère dans l’opinion publique catalane. Les deux syndicats ouvriers espagnols, UGT d’obédience socialiste, et CCOO de sensibilité communiste, ont participé le 15 avril à une grande manifestation à Barcelone en faveur de la libération ou le retour des 17 indépendantistes incarcérés ou en exil. Gros émoi à la direction madrilène des deux centrales. Pedro Sanchez, secrétaire général du PSOE, en a déchiré sa carte de l’UGT. Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent en faveur de la création de syndicats catalans, comme c’est le cas en Pays Basque avec ELA et LAB. Hier, le parti socialiste catalan s’est atomisé, aujourd’hui le temps de la recomposition des forces syndicales est venu.
Quant à l’efficacité de l’article 155 de la Constitution qui suspend l’autonomie, l’intox bat son plein : on entend tout et son contraire. Un jour, le gouvernement se félicite de voir enfin “la Catalogne gouvernée raisonnablement”. Huit jours plus tard, les analystes patentés expliquent doctement que la Catalogne est “paralysée, à la dérive”, avec pour conséquence une situation économique catastrophique. Le quotidien El Pais ose poser la question en titrant: “Qui gouverne en Catalogne?” On ne le sait que trop. Après six mois de mise en oeuvre, le PSOE souhaite limiter la portée de l’article 155 aux services publics essentiels; Ciudadanos veut la renforcer, en particulier sur le contrôle de la télévision TV3.
Le PNV sauve le gouvernement Rajoy
Au vide politique à Barcelone répond comme en écho l’impuissance à laquelle est confrontée Mariano Rajoy à Madrid. Faute de majorité, il ne peut faire adopter ni son budget 2018, ni la moindre loi importante : seulement 13 en 2017, dont 3 qui ne sont que des transpositions de directives européennes. Il lui faut l’appui d’une poussière de micro partis (UPN, aragonais, canarien), des 32 députés Ciudadanos et des cinq députés PNV, deux forces aux intérêts très opposés. Depuis la suspension de l’autonomie catalane, le PNV clame sa solidarité avec les Catalans et jure qu’il n’approuvera pas le budget de l’État espagnol, tant que l’article 155 de la Constitution sera mis en oeuvre chez nos voisins. Alors le premier ministre soumet le PNV au chantage: suspension du versement de 3.380 millions d’euros pour le TGV, pas de financement pour les 36 dossiers négociés en mai 2017 et qui font l’objet de financements pluriannuels. Petit rappel au passage, le PNV a besoin du vote d’un député PP pour obtenir la majorité absolue au parlement de Gasteiz. De quoi faire réfléchir les caciques biscayens. Quarante ans après le vote d’un statut d’autonomie dont toutes les compétences n’ont pas été transférées, comme toujours les Espagnols appliquent avec brio la formule de Louis XI : “En politique, il faut donner ce que l’on n’a pas et promettre ce que l’on ne peut donner”.
L’ultra centraliste Ciudadanos adjure Mariano Rajoy de ne rien céder au PNV. Il n’approuvera pas le budget gouvernemental si le PP accorde aux Basques le transfert de la Sécurité sociale et la compétence sur les prisons, rapprochement des presos à la clef. Nous en sommes loin.
Le 25 avril, coup de théâtre: le PNV accepte d’approuver aux Cortes le budget de l’État. Il a obtenu en échange l’augmentation générale des pensions de retraite et de veuvage au même rythme que l’inflation, soit un coût d’environ un milliard et demi d’euros pour le budget espagnol. Le PNV compte profiter du débat budgétaire pour obtenir le financement de plusieurs projets concernant la recherche, l’environnement, le patrimoine culturel, les infrastructures, le tout à hauteur de 45 millions d’euros. Avec le soutien du PNV, Mariano Rajoy est donc certain de rester au pouvoir jusqu’à la fin de la législature, en 2020.
En Catalogne, les indépendantistes font grise mine. Le président du PNV Andoni Ortuzar se défend. Son parti redoute que Ciudadanos arrive au pouvoir en Espagne dès cet automne en cas de dissolution des Cortes, la situation de Mariano Rajoy étant intenable. Ce dernier lui a promis “fermement” de lever l’article 155 dès qu’un nouveau “gouvernement respectueux de la loi” serait élu à Barcelone.
La trahison des engagements initiaux du parti de Sabino Arana Goiri n’étonnera que les naïfs et les ignorants, tant elle s’inscrit dans les gênes de l’action politique.
Au PNV, “Hitza- hitz, bertzenaz gizona hits”, connaît pas. Au nom du pragmatisme, il préfère: “Gaur hitza eman, bihar haizeak eraman”. Sur l’autel de la realpolitik, tout est possible. Le PNV tient-il vraiment la tête de Rajoy hors de l’eau pour retarder l’arrivée aux affaires de Ciudadanos? Entendrons-nous bientôt les Espagnols se plaindre que ce sont les Basques qui gouvernent à Madrid, comme les Navarrais au XVIIIe siècle, avec le Nouveau Baztan de Juan de Goyeneche?
Encore et toujours, la corruption au PP
Le PP frôle effectivement le précipice. Trois nouvelles affaires de corruption l’affectent. Cristina Cifuentes, présidente de la communauté autonome de Madrid et figure emblématique d’un PP régénéré, est accusée d’avoir fraudé pour l’obtention de son master universitaire et d’avoir volé des produits cosmétiques dans un supermarché. Elle démissionne le 25 avril. Pressenti comme son successeur, Pablo Casado, secrétaire à la communication du même parti, aurait lui aussi trafiqué ses diplômes universitaires. Le 23 avril, le Conseil de l’Europe accuse le sénateur PP Pedro Agramont de corruption. Ex-président de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Pedro Agramont a reçu pendant des années des pots de vin colossaux de la part de l’Azerbaïdjan. Dernier avatar d’une immense série d’affaires de corruption.
Après 23 ans de règne, le PP risque de perdre Madrid aux élections locales de 2019. Autant de grain à moudre pour le moulin de Ciudadanos, il attend que le PP tombe comme un fruit mûr et s’apprête à prendre sa place aux commandes. Ciudadanos vient de recevoir le soutien de l’ancien premier ministre Manuel Valls qui veut être candidat à la mairie de Barcelone.
Un rapprochement se dessine entre le parti d’Emmanuel Macron La République en marche et Ciudadanos pour les élections européennes de 2019. Mauvaise nouvelle pour les Basques et les Catalans, comme le fut l’élection du socialiste Felipe Gonzalez en 1982…
La crise politique en Catalogne et en Espagne est considérable, d’une complexité inouïe. Le conflit va durer des années, il se diffuse en Europe et prend des allures d’onde de choc. Elle n’a rien d’une crise d’urticaire ou d’un prurit d’adolescent très passager.
La détermination et la capacité de résistance des Catalans sur la longue durée ont été sous estimées. Les excès des magistrats aux décisions caricaturales, comme l’hystérie de l’opinion publique espagnole, la gestion très judiciaire d’une affaire éminemment politique, tout cela affaiblit l’État central.
Certes, le réveil du nationalisme espagnol inquiète, mais dans l’ensemble, il y a de quoi alimenter l’espoir en Pays Basque où tous suivent de très près ce qui se passe chez nos premiers voisins…
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