L’Allemagne s’en mêle (1/2)

 

La prison de Neumünster, dans le Schleswig-Holstein où Carles Puigdemont a été détenu 10 jours.
La prison de Neumünster, dans le Schleswig-Holstein où Carles Puigdemont a été détenu 10 jours.

L’incarcération puis la libération de Carles Puigdemont en Allemagne brise le face à face hispano-catalan. L’extradition semble hypothétique, c’est un tournant. La gifle est très mal vécue par l’Espagne. Le débat politique commence à s’européaniser. Revenant sur tous ses engagements de solidarité pro-catalane, le PNV vote le budget de Mariano Rajoy assuré ainsi d’achever sa législature jusqu’en 2020.

La jubilation des Espagnols s’affichait dans la péninsule lors de l’incarcération du président catalan Carles Puigdemont le 25 mars par la police allemande. Enfin débarrassés du trublion et de sa “farce obstinée”. Mais la fête fut de courte durée. Elle a été stoppée net par la décision du 5 avril prise par trois petits juges inconnus du tribunal de Schleswig-Holstein: Martin Probst, Matthias Hohmann et Matthias Schiemann. Après douze jours de prison à Neumünster, ils libérent sous caution (75.000 euros) le leader catalan. La perspective de son extradition puis son incarcération en Espagne s’éloigne.

Le même jour, les tribunaux belges laissent en liberté sous caution les trois ministres catalans exilés à Bruxelles depuis cinq mois, en attendant de statuer sur le mandat d’arrêt européen lancé par l’Espagne.

Quant à la ministre catalane Clara Ponsati, convoquée par la justice écossaise le 28 mars, elle a été elle aussi laissée en liberté sous caution, une décision sur le fond devrait survenir au mois d’août.

Gifles judiciaires à l’Espagne

Autant de gifles magistrales adressées à l’Espagne. Les juges allemands refusent de qualifier de “rébellion” le fait pour Carles Puigdemont d’avoir organisé le référendum d’autodétermination. Dans leurs attendus, ils doutent sérieusement du délit de malversation ou de détournement de fonds publics que l’Espagne tente de lui coller à la peau. Au pays de la Critique de la raison pure d’Emmanuel Kant, la mouture élastique de la “justice” à l’espagnole, ne convainc pas et les roses de Göttingen fleurissent à Barcelone. Madrid brandit en vain l’usage de la violence par les indépendantistes accusés d’avoir commis un “coup d’État” contre la démocratie. La baudruche se dégonfle toute seule. Katarina Barley, ministre allemande de la justice, soutient la décision des trois petits juges de Schleswig-Holstein. Vera Jourovà, Commissaire européenne de la justice, lui emboîte le pas le 11 avril. Le vice-président du groupe parlementaire SPD au Bundestag, Rolf Mützenich, défend l’indépendance de la justice allemande dans cette affaire et compare le système judiciaire espagnol à celui de la Pologne et de la Turquie. Pas très flatteur. Les Verts ne sont plus les seuls à défendre les droits des indépendantistes: l’eurodéputée CDU Elmar Brok et son collègue social-démocrate Arne Lietz proposent de lancer une médiation pour résoudre la crise politique catalane. Le ministère de l’Intérieur espagnol voulait décorer les policiers allemands qui ont arrêté le président catalan à la frontière. Le gouvernement régional de Schleswig-Holstein s’y est opposé tout net. Carles Puigdemont s’installe à Berlin pour mieux organiser sa défense et poursuivre l’européanisation de l’affaire. L’Allemagne est un des principaux alliés de l’Espagne et devant ces revers judiciaires, Madrid blêmit, les magistrats espagnols sont furieux. Ils organisent la contre-attaque. Le 11 avril, les procureurs espagnols rencontrent discrètement leurs homologues allemands au siège d’Eurojust, à La Haye (Pays-Bas). Vidéos à l’appui sur 404 actes violents, ils tentent de les convaincre du délit de rébellion et de sévir en conséquence. Si la rébellion n’est pas retenue, ils proposent à leurs homologues de rendre coupable Carles Puigdemont du délit de sédition… seulement passible de 15 ans de prison. On se croirait chez des marchands de tapis. Le magistrat instructeur de la Cour suprême Pablo Llarena ne supporte pas que la décision des magistrats de Schleswig-Holstein ne soit pas susceptible de recours en appel. Il pose le 6 avril une question préalable à la Cour de justice de l’Union européenne pour qu’elle dise si les trois petits juges allemands ont bien respecté la procédure du mandat d’arrêt européen. Quinze jours plus tard, Koen Lenaerts, président de la Cour, répond enfin à Pablo Llarena, du bout des lèvres : une telle demande “serait admissible”. Moins enthousiaste que ça, tu meurs.

Les Eurofighter-Typhoon entrent dans la danse

Le 12 avril, la section pénale de la Cour suprême espagnole refuse au député catalan Jordi Sanchez de sortir de prison pour être élu président de la Generalitat. Dans ses attendus, elle critique la décision des juges allemands et la qualifie de “zigzagante” et de “manquer de rigueur”. L’Audiencia nacional met en avant la qualité de la coopération judiciaire entre les deux pays avec plus de 100 délinquants renvoyés en Allemagne en 2016, sans jamais remettre en cause le contenu des dossiers instruits outre-Rhin.

Le lanceur d’alerte franco-italien Hervé Falciani est poursuivi par la Suisse pour avoir révélé une gigantesque évasion fiscale (100.000 personnes de 200 pays), organisée par la banque HSBC. L’homme est légalement réfugié en Espagne depuis cinq ans, les juges de son pays d’accueil ayant refusé son extradition. Qu’à cela ne tienne, Madrid l’arrête le 4 avril et envisage de l’échanger contre l’extradition des deux députées indépendantistes Marta Rovira et Anna Gabriel exilées en Suisse.

L’Espagne fait pression sur l’Allemagne, mais par d’autres moyens: le 28 mars, elle annonce l’achat au gouvernement allemand pour un montant 118 millions d’euros par appareil, de 50 avions de combat Eurofighter-Typhoon, chiffre susceptible de grossir de 50% si… Un scénario que nous connaissions bien dans le Pays Basque des années 70-80: je t’achète tes Mirages ou tes chars AMX30 et tu m’expulses ou tu me livres gentiment quelques dizaines de réfugiés dont voici la liste…

Sur le terrain politique et médiatique, le gouvernement espagnol sonne la charge le 9 avril. Il mobilise tous ses ambassadeurs en poste en Europe et ses députés européens pour convaincre gouvernements, parlementaires et médias : le président catalan est passible de rébellion et de malversation. Quoi qu’en pensent trois obscurs juges allemands, le mandat d’arrêt européen doit être mis en oeuvre contre lui.

Autour du 21 avril, les ministres espagnols de la Justice et des Affaires étrangères se déplacent en Suisse et en Allemagne pour rencontrer leurs homologues, ainsi que de grands médias. Objectif numéro un : “gagner la bataille du récit” face aux tentatives séparatistes désireuses d’internationaliser le “procès” catalan. A Madrid, le ministre porte-parole du gouvernement reçoit une demi-douzaine de correspondants de presse allemands pour les chapitrer. La vice-présidente du gouvernement Soraya Seanz de Santamaria intervient auprès des médias d’outre-Rhin. Le président du parlement européen et le porte parole de la Commission européenne en visite en Espagne, font l’objet d’entretiens circonstanciés sur les méfaits du séparatisme et vantant les mérites, ainsi que l’indépendance exemplaire de la magistrature espagnole.

Le château de carte judiciaire s’effondre

Coup de tonnerre le 20 avril: le ministère espagnol du budget annonce qu’il ne dispose d’aucun élément de preuve démontrant l’usage de fonds publics par les indépendantistes catalans dans l’organisation du référendum, alors qu’il contrôle d’une main de fer la gestion de la Generalitat depuis novembre 2015. Il avait présenté un recours le 20 octobre auprès de la Cour des comptes en soutenant exactement le contraire. Les accusations de malversation et de détournement de fonds publics à l’encontre des dirigeants catalans s’effondrent, telles un château de cartes. Ambiance de république bananière au royaume d’Espagne. Les trois petits juges allemands avaient raison d’avoir des doutes. La Guardia Civil ne lâche pas le morceau pour autant. Elle envoie à la Cour suprême un dossier à charge qui évalue le détournement de fonds publics pour organiser “le référendum illégal” à 1.947.697,84 euros. Mais qui y croit encore? Les magistrats espagnols montent en épingle les manifestions d’opposants, en particulier celles des Comités de défense de la république (CDR) qui ont manifesté, pendant la Semaine sainte, en coupant la circulation sur des routes, des voies ferrées, des autoroutes ou de bloquer leurs péages. Les militants arrêtés sont accusés de rébellion par l’Audiencia nacional, leurs délits qualifiés de “terroristes” et donc passibles de plusieurs dizaines d’années de prison. Des graffiti apparaissent fin mars sur la route menant au domicile de la résidence secondaire que le juge “fasciste” Pablo Llarena possède au village catalan de Das, tout près de la frontière andorrane. Le gouvernement espagnol répond par l’envoi en Catalogne de gardes du corps pour protéger magistrats et personnels politiques constitutionalistes, ou plutôt “monarchistes” comme les nomment les abertzale. Une bonne part de l’appareil d’État espagnol et de la classe politique, une armée de juges et de juristes, sont mobilisés dans cette affaire. En somme, l’État-Léviathan, parfaite incarnation de la monstruosité nécessaire, selon Thomas Hobbes, au bon gouvernement des peuples.

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