Koko Abeberry est décédé le 21 février 2017. Avec la disparition de Koko, Enbata perd l’un de ses pionniers et un compagnon de route de 50 ans. Les abertzale de notre génération se souviennent des nombreux articles qu’il a écrits dans notre journal. Articles charpentés, structurants, empreints du souci permanent de pédagogie pour populariser la vision abertzale. Ses écrits sont autant de racines grâce auxquelles l’abertzalisme s’est peu à peu agrippé à cette terre longtemps ingrate. Certaines de ses chroniques, comme celles traitant de la laïcité, ont contribué à façonner la philosophie du mouvement abertzale naissant d’Iparralde, l’aidant à prendre ses distances avec l’idéologie dominante des années 60. Avocat passionné et désintéressé, Koko a tenu, des décennies durant, la chronique des preso dans Enbata. Sa façon à lui d’entretenir la solidarité avec les absents. Sa façon à lui d’adoucir l’enfermement et la solitude de militants meurtris. Engagé dès le début dans le mouvement abertzale, il fut un militant sans compromis. En témoigne sa participation à la longue grève de la faim menée en 1972 à la cathédrale de Bayonne en solidarité avec les réfugiés. Koko a été un de ces militants exemplaires sans lesquels notre journal n’aurait pas eu l’écho qui est le sien et les idées abertzale le rayonnement qui leur vaut d’être aujourd’hui partagées par beaucoup de monde. La cérémonie d’adieu du vendredi 24 au crématorium de Biarritz, a été le reflet de la vie de Koko, de l’affection et de l’admiration que ses très nombreux amis lui portaient : chants profonds d’Oldarra avec qui Koko aimait tant chanter, témoignages de Zigor, Gabi Mouesca, Julen Madariaga, Mikel Epalza, du bâtonnier des avocats de Bayonne, aurresku d’un ancien d’Oldarra, ferveur des chants basques repris en choeur par l’assistance. Emouvante communion autour de Pantxika, de Jakes et de tous les proches. Nous publions quelques-uns des très nombreux témoignages qui nous ont été adressés en hommage à Koko.
Claire Frossard (CDDHPB :
Jean-Claude “Koko” Abeberry était un des fondateurs, en 1984, du Comité pour la Défense des Droits de l’Homme en Pays Basque, alors qu’il était avocat au barreau de Bayonne, délaissant la Ligue des Droits de l’Homme qui, au début des années 80, ne prenait pas suffisamment en compte les atteintes répétées contre les réfugiés politiques basques (c’était l’époque des attentats du GAL, des déportations, des premières extraditions vers l’Espagne…). Il a toujours eu des responsabilités au sein du CDDHPB, même si son handicap l’empêchait depuis 2 ans de se déplacer pour venir aux réunions, il suivait avec attention tout ce qui se passait, et restait directeur de publication du trimestriel Jakilea auquel il contribuait régulièrement. Fin et cultivé, ayant une très bonne connaissance du monde politique basque, il savait retirer rapidement l’essentiel d’une lecture, d’une situation, et avait une grande facilité pour rédiger un article d’une manière concise. Il avait décidé de devenir avocat, comme son frère Maurice, pour défendre les militants basques, que ce soient des membres d’Iparretarrak ou des réfugiés ayant du fuir l’Espagne. Et il ne manquait pas d’aller visiter ses clients emprisonnés, ou de leur écrire régulièrement, leur apportant ainsi, par des anecdotes, un peu de leur cher Pays Basque. S’il avait une élégance naturelle (entretenue par dix années parisiennes chez Hermès!) il n’était pas vaniteux et savait rester simple, ne cherchant jamais les honneurs ou à se mettre en avant. C’était un homme libre, sachant toujours garder son sens critique et son indépendance vis à vis des instances politiques ou même militantes, ne se laissant jamais influencer ou encarter. Nous avons perdu un ami et tous ceux qui l’ont côtoyé vont regretter ce défenseur d’un Pays Basque libre et digne. Milesker Koko !
Extrait de l’homélie de Mikel Epalza :
(…) Koko a fait le choix de la laïcité qu’il a aussi servi de belle manière. Son premier article dans Enbata était intitulé “sortons des sacristies !” C’est à dire, mettons en place un mouvement basque non-confessionnel, libre de toute dépendance religieuse. Cette laïcité, Koko l’a vécue avec élégance dans un grand respect de la religion de chacun. Elle permet que je puisse aujourd’hui lui rendre hommage en tant qu’ami de la famille. Elle permet que nous puissions nous retrouver tout autour d’une foi commune en l’Homme et d’unir nos différences et nos énergies au profit du respect du peuple basque, de sa culture, de sa langue. Koko sera d’ailleurs un euskaldun fidèle, pratiquant l’euskara, qu’il comprenait et qu’il parlait, tout en étant un éternel élève de basque. “Sortons des sacristies !” disait Koko, mais il a dit aussi “entrons dans la cathédrale !” Ce fut un des grands moments. Fins 1972, il y a 45 ans, Koko participe pendant 32 jours à la grande grève de la faim contre les expulsions de réfugiés basques qui se tient à l’intérieur de la cathédrale de Bayonne, avec la célèbre altércation entre Telesforo Monzon et l’évêque de Bayonne, Monseigneur Vincent. Koko a été le bras droit de Telesforo lors de son retour au Pays Basque sud en 1979, ce qui lui valut une détention par la Guardia Civile (…) La version intégrale est disponible en cliquant ici.
Maite Maniort et Maider Hennebutte :
Tu avais embrassé la profession d’avocat pour défendre le peuple basque contre les injustices politiques. Tu étais un fervent défenseur des droits de l’homme et toujours fidèle à tes idées, tu avais fini par apprendre le basque jusqu’à lire sans aucune difficulté le journal Herria.Tu aimais parler cette langue qui était si chère à tes yeux, c’était pour toi l’aboutissement de voir un jour, le Pays Basque libre. Tu as toujours été un confrère confraternel, toujours respectueux, loyal, discret. Tu étais toujours dans le consensuel, jamais dans la critique. Tu as toujours été d’humeur constante et agréable, toujours souriant, d’une conversation enrichissante. Tu ne connaissais ni la colère, ni la haine, toujours serviable, avec une volonté d’approfondir ta culture générale pourtant si profonde. Tu nous manques déjà. Koko, beti izan zira gizon errespetutsua, inoiz ez zira kexatu, inoiz ez zaitugu haserre ikusi, beti umore berdinean, alai. Euskal Herria maite zenuen lehenik eta behin, horretarako abokatu bihurtu zinen. Gure bihotzean egonen zara, betiko.
Gilles Perrault :
Voilà une bien triste nouvelle. Koko était un militant admirable de la défense des droits de l’homme au Pays basque. J’aimais beaucoup l’homme, sympathique et chaleureux. Il restait à l’écart de tout dogmatisme. Un digne représentant de cette grande famille abertzale que sont les Abeberry.
Filipe Bidart :
Koko Abeberry euskal preso politikoen abokata bezala ere ezagutu dut. Bainan Koko abokata bat baino gehiago zen, abertzale militante bat zen osoki, aspaldiko militantea. Kokok, Iparraldeko abertzale mugimendu hastapeneko kide bezala, parte hartu du borroka guzietan, ikastolen aldeko borroketan, iheslarien aldeko borroketan, turismakeriaren kontrako borroketan, lurraren zaintzeko borroketan, euskal kulturaren aldeko borroketan. Kultura haundiko gizona zen Koko, eta munduko kultura guziei idekia, jakin minak munduan gaindi eramaiten zuela, Euskal Herria beste kulturetaz aberasteko. Euskal militanteen defentsaz arduratu denean, ez da sekulan mugatu alde juridikoan, bainan bai euskal militantea bere osotasunean kondutan hartu izan du beti, bere engaiamendu politikoa lehenetsiz bainan baita bere gizatasuna. Bere biziko engaiamendu nagusia izan da giza eskubideen aldeko borroka bainan gu, euskal preso politiko ohiak, Kokotaz orroitzen girelarik, haren goxotasunaz, irriaz eta jendetasunaz gira orroitzen, gure ezpainetan irriño bat sortzen zaukula.
Añamari Grenié :
En cette année 1972, j’avais 18 ans. Je venais depuis quelques mois de faire mes premiers pas dans le “monde” abertzale. Biarrote, ce chemin devait bien sûr très vite m’amener à croiser la famille Abeberry. C’était donc un 1er novembre, dans l’autobus qui nous menait à Bayonne. Une dame me confia qu’elle se rendait, elle aussi, à la cathédrale pour rendre visite à son beaufrère, Koko Abeberry, dont c’était, ce jour-là l’anniversaire. Avec une quarantaine de militants, il était en grève de la faim pour lutter contre les expulsions de réfugiés politiques basques. Une grève qui dura 32 jours. Dans ce contexte dramatique, l’anniversaire de Koko était anecdotique. Mais, je me souviens encore de ma surprise : 40 ans ! Du fait, peut-être, de sa place de benjamin dans la fratrie Abeberry, il passait toujours pour le “petit”, pour le jeune. Mais au-delà d’un physique élégant, chic, cette jeunesse a été sans doute entretenue par son esprit alerte, ouvert au monde, ouvert à l’autre, par sa passion pour le Pays Basque, sa langue et la défense des droits humains. Quelques années après la grève de la faim, le “jeune” Abeberry devint avocat, sur le tard. En ces temps-là, la rue était très agitée, les manifestations en Iparralde étaient devenues hebdomadaires, voire quotidiennes. Et les interpellations très fréquentes. Militante de terrain, je connaissais par coeur le numéro de téléphone de Koko et l’appelais sans cesse pour lui demander conseil ou secours. Jamais il ne refusait son aide. Et si les murs de “l’Hôtel du château” familial pouvaient parler, ils raconteraient l’Histoire et pas mal de secrets de ce pays. La porte était ouverte et le toit accueillant. C’est en français que je fis la connaissance de Koko. Mais c’est naturellement que l’euskara devint, il y a longtemps, notre langue commune. Euskaraz mintzatzeko edo euskara entzuteko parada guziez baliatzen zen. Duela 30 urte, haren etxean biltzen ginen Herria astekaria irakurtzeko apez euskaldun batek lagundurik. Urte guziez Biarritzeko Gau eskolan izena ematen zuen…hain segur, urte gehien “goi mailako” ikasturteetan pasatu dituen ikaslea. Azken urte huntan, makuluez lagundurik ibiltzera behartua izanikan ere, bere “mintzalagunekin” Biarritzeko Polo eta Plaza Berri ostatuetan biltzen segitu zuen. Gogoan dudan Kokoren irudia marrazteko, hitz batzuk paper mutur batean zirrimarratu izan ditut: Biarriztarra, abertzalea, euskaltzalea. Beste hainbaten artean bi izen : Pantxika, Jakes. Baita bertute batzuk ere: goxotasuna, zintzotasuna, elegantzia… Bai, bihotzeko elegantzia ! Milesker eta agur zuri Koko!
L’abertzalisme balbubiait en Iparralde et la poignée de pionniers portant cette idée saugrenue qu’il est, aux pieds des Pyrénées occidentales, un peuple qui n’est ni Français, ni Espagnol, peinait à s’installer dans les consciences. Le droit des Basques à disposer d’eux mêmes ne faisait pas recette. Dans l’âpreté du combat, dans l’échec électoral récurrent, dans la souffrance partagée avec nos frères d’Hegoalde persécutés par un régime installé par Hitler et Mussolini, Koko, au delà de sa ferveur militante, écartait les barreaux de la prison par son élégance et son esprit. Tournant comme nul autre en dérision l’adversité politique, le plus jeune des frères Abbeberry usait de son humour, fin et sarcastique, comme d’autres la goma-bi, pour exploser les digues du dogme jacobin et de la propagande franquiste. L’Euskal Herria souveraine dont nous rêvions à l’époque permettait les espoirs les plus fous. Les eaux d’Errobi ont coulé depuis sous le pont de Pannecau. Lors d’une grève de la faim à la cathédrale de Bayonne, immortalisée par les photos de Daniel Velez, Koko déclencha plusieurs fois le fou rire général en imitant les grommellements de Juan-Jose Echave, lider supremo des gudaris d’alors, amaigri et affamé, furieux de remplacer le plat de garbanzos par une simple bouteille d’eau minérale. On sait l’avocat qu’il deviendra ensuite et le héraut de revendications enfin arrachées. Koko nous quitte au moment où se met en place une institution politique territoriale qui, loin d’être la panacée, aurait relevé de la pure chimère dans les années 1970. Gardons en mémoire la flamme qui brillait dans ses yeux. Agur Jauna. Agur t’erdi.