Dans un entretien accordé au quotidien Berria du 27 octobre, Arnaldo Otegi se déclare en faveur d’une modification du schéma de négociation classique de la gauche abertzale car l’Espagne est en train de gagner du temps. Voici ses réponses concernant “Le processus de résolution du conflit, les preso et Bateragunea”.
Le processus de résolution du conflit
ETA a déclaré avoir démantelé ses appareils logistiques et armés. Quelle est l’importance de cette décision?
Cela me semble être la suite logique et cohérente de la décision, prise en son temps, de mettre un terme définitif à la lutte armée. C’est à dire qu’une fois que cette décision a été prise, le démantèlement de tous les appareils logistiques et militaires reste le seul scénario possible. Sur le plan politique, par contre, cette décision est très importante, car elle a été prise de manière unilatérale et, donc, prise pour répondre au processus de libération de notre peuple, et pas du tout en fonction des Etats.
Le gouvernement espagnol y a répondu, comme il l’a toujours fait, en déclarant que la seule solution qui reste à ETA est la dissolution.
Il faut porter un grand soin à l’analyse des intérêts de l’Etat en ce moment historique. Il y a d’une part ce qu’il déclare publiquement, et, d’autre part, ce qui certainement l’intéresse réellement. Souvent, ce qui se dit publiquement dans la sphère politique classique n’est qu’un travestissement de ce que l’on veut réellement. Par exemple, ne déclaraient-ils pas à longueur de journée que la gauche abertzale devait faire le pari de la voie démocratique ? Et, lorsque nous l’avons fait, ils nous ont emprisonnés… On pourrait dire la même chose de la demande formulée à ETA pour le démantèlement de son arsenal, puisque lorsque l’organisation est entrée dans cette démarche, les observateurs internationaux ont été conduits devant l’Audiencia nacional.
ETA doit poursuivre le démantèlement de son arsenal ?
Pour franchir des étapes décisives dans le processus de libération mis en route dans ce pays, il est primordial de répondre de manière claire aux questions suivantes : l’Etat trouve-t-il un
intérêt réel au démantèlement et au désarmement d’ETA ? Et notre peuple lui-même ? Et même si ce sont des questions que l’on doit poser concernant les résultats, le moment est venu aussi d’apporter des réponses à de telles questions sur le conflit politique: est-il possible d’obtenir de cet Etat un accord démocratique dans lequel seront stipulés la reconnaissance nationale, le droit de décision d’Euskal Herria ? C’est seulement en répondant de manière claire et correcte à ces questions que nous avancerons.
Malgré les démarches entreprises par ETA et la gauche abertzale, il semblerait que le processus de paix n’avance guère. Pensez-vous qu’il ait un avenir ?
Je ne définirais pas ce processus comme un processus de paix, car certaines conditions doivent être remplies pour de tels processus : l’engagement de toutes les parties et la volonté
d’arriver à un accord. Ici, seul le mouvement indépendantiste a démontré cette volonté dans les paroles et dans les actes. C’est donc un processus de libération pour lequel —et pour son
bon déroulement— la gauche abertzale a renoncé à comprendre l’utilisation politique de la violence armée, et où, en conséquence, ETA a déclaré la fin de la lutte armée. L’Etat, de son
côté, ne s’est pas engagé dans cette voie, et ne compte pas le faire non plus, car il a besoin de la lutte armée pour refuser à ce peuple tout droit d’expression et de décision.
Qu’en est-il donc de la situation, à l’heure actuelle ?
Il faut rajouter à tout cela un autre facteur d’une grande importance stratégique : tant en Europe (Écosse, Flandres…) que dans l’Etat espagnol (en Catalogne ou au Pays Basque), la capacité du mouvement indépendantiste à intégrer en son sein une majorité sociale toujours plus large est de plus en plus évidente. C’est pourquoi tous les signaux d’alerte sont au rouge au niveau de l’Etat et son unique but est de gagner du temps en pratiquant pour cela une politique d’immobilisme, et j’en soupçonne d’autres que lui d’en faire autant. Dans le cas du Pays Basque, il utilise l’argument des conséquences du conflit pour gagner du temps et ce, dans un seul but : ne pas laisser d’autre processus similaire à celui de la Catalogne se mettre en route.
Mais la gauche abertzale doit-elle aller encore plus loin ?
Voyons, c’est un travail énorme et fort éprouvant qui a été mené pour faire changer la gauche abertzale, qui a généré de grosses tensions, afin qu’aujourd’hui on puisse faire preuve d’autant de légèreté autour de certains sujets. Nous parlons d’éthique révolutionnaire, car ce n’est pas la seule éthique, comme il ne peut y avoir qu’une seule version des faits. Donc, ceux qui disent que nous avons fait un choix sans tenir compte des facteurs éthiques ne disent pas la vérité. Mais, bien entendu, nos principes éthiques ne sont pas les mêmes que l’éthique bourgeoise (et que ceux qui veulent savoir ce qu’est l’éthique bourgeoise observent d’un peu plus près l’attitude du PP durant les débats sur la loi de l’avortement, le poussant à sacrifier un principe sacré pour de misérables votes).
Les preso et Bateragunea
Vous, prisonniers, avez formulé la demande du rapatriement au Pays Basque mais vous n’avez pas obtenu de réponse favorable. Pourquoi ?
La raison est simple: tant que le mouvement indépendantiste basque ne s’occupe que des conséquences du conflit, il ne mettra pas le processus indépendantiste en route et donc, on n’ouvrira pas au niveau de l’Etat, un second front en même temps que celui de la Catalogne.
Ressens-tu dans la société une force suffisante pour faire évoluer la situation des prisonniers?
Du point de vue de notre engagement éthique, je répondrais que nous sommes des militants politiques, que nous sommes volontaires ; nous sommes des citoyens basques qui luttons
bénévolement pour notre peuple avec toutes nos qualités et nos défauts. Nous n’avons donc aucune légitimité pour juger notre peuple; au contraire, c’est notre peuple qui est notre juge. Nous autres, prisonniers politiques basques, faisons l’objet d’un énorme soutien et amour de la part de nos concitoyens, mais, dans le même temps, tant les prisonniers que les membres de la gauche abertzale, nous sommes redevables de notre peuple et, de ce point de vue, je dois vous avouer que nous n’avons sans doute pas su amener suffisamment rapidement et intelligemment les changements que notre peuple nous avait demandé d’opérer depuis bien longtemps. Nous devrions nous servir de cela aussi pour faire notre autocritique, car nous sommes également redevables de cela auprès de notre peuple.