“Biharamunen lantegia met la recherche scientifique au service de la société”

Livio Riboli-Sasco

La coopérative d’intérêt collectif Biharamunen lantegia met les savoir-faire scientifiques acquis par ses membres au service d’un projet social et politique qui s’attache au dépassement des injustices et inégalités. Elle met à disposition du Pays Basque les outils de recherche participative qu’elle a pu mûrir ailleurs, en accompagnant par exemple le Conseil de Développement Pays Basque dans la méthodologie de sa démarche Pays Basque 2040. Livio Riboli-Sasco, bidartar, né à Lyon d’un père milanais et d’une mère bidartar, a étudié à Paris à l’École normale supérieure. Il est chercheur associé à l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques (CNRS / Panthéon – Sorbonne). Co-fondateur de la coopérative Atelier des Jours à Venir / Biharamunen lantegia, il répond aux questions d’Enbata.

Enbata: Qu’est-ce que l’Atelier des Jours à Venir / Biharamunen lantegia ?

Livio Riboli-Sasco : L’Atelier des Jours à Venir, qui a récemment adopté son nom en langue basque comme Biharamunen lantegia, est une coopérative d’intérêt collectif (SCIC), créée à Izarbel à Bidart. Elle rassemble cinq salariés et six bénévoles qui oeuvrent à mettre la recherche scientifique au service de la société, mais aussi à transformer la façon dont se fait la recherche scientifique. La coopérative résulte de la transformation d’une association qui avait créé un festival de culture scientifique en Cisjordanie et à Gaza. Le format de SCIC permet une gouvernance partagée entre bénévoles et salariés. En 2025, nous entrons dans une phase d’élargissement du sociétariat à des personnes actives au Pays Basque.

Quelle est la mission principale de Biharamunen lantegia ?

Pour expliquer notre mission, nous nous référons à l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme qui garantit le droit de toute personne de “prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent”. Aujourd’hui, il n’existe aucun service public garantissant cet accès au droit de “participer au progrès scientifique”. Bien que critiques de la notion de progrès, nous nous efforçons d’imaginer des dispositifs qui garantissent la possibilité de demander la création d’une connaissance scientifique à partir d’une question posée par des citoyens et à laquelle la science n’a jusqu’alors pas pu apporter de réponse.

“Nous nous efforçons d’imaginer des dispositifs qui garantissent
la possibilité de demander la création d’une connaissance scientifique
à partir d’une question posée par des citoyens
et à laquelle la science n’a jusqu’alors pas pu apporter de réponse.”

Si aujourd’hui Enbata me donne la parole, mes réponses sont le fruit du travail de notre collectif, composé d’une majorité de femmes. Je suis conscient et critique quant aux privilèges d’homme blanc cisgenre passé par une université “prestigieuse”. Collectivement, nous mettons les savoir-faire que nous avons eu le privilège d’acquérir au service d’un projet social et politique qui s’attache au dépassement des injustices et inégalités.

Un atelier où des questions formulées par un groupe de citoyen·nes sont collectées.

Selon le principe de subsidiarité, la responsabilité d’une action publique, lorsqu’elle est nécessaire, revient à l’entité compétente la plus proche de ceux qui sont directement concernés par cette action. Vous semblez décliner cela dans un domaine inhabituel ?

Oui, nous appliquons un tel principe à l’enjeu de décider ce sur quoi il serait souhaitable qu’une recherche scientifique soit produite. Nous proposons que le peuple puisse dire “la raison d’être” de la science. À l’invitation de l’artiste François Hers et du sociologue des sciences Bruno Latour, nous avons conçu en 2013 le programme “Nouveaux Commanditaires Sciences”, inspiré du programme homonyme en arts. Nous permettons à des groupes citoyens de “passer commande” d’une recherche scientifique auprès des institutions publiques de recherche. A chaque fois, il s’agira d’un travail collaboratif et de longue haleine (il s’étalera sur sept à dix ans). S’il s’agit de rendre effectif un droit universel, nous donnons la priorité à un travail auprès de populations “sensibles”. Il s’agit de populations dont les caractéristiques sociales, culturelles, économiques, linguistiques ou territoriales empêchent la prise de contact avec les milieux de la recherche. C’est par ailleurs avec ces populations que des gains en connaissance importants peuvent être réalisés, car elles peuvent poser des questions que les scientifiques n’ont pas pu “imaginer” depuis là où ils se situent dans la société et ses territoires.

Comment la coopérative s’est-elle rapprochée du Pays Basque ?

Nous avons créé la coopérative depuis divers pays européens. Avec le privilège de pouvoir être hébergés par mon etxe familiale à Bidart, au début des années 2010, nous y avons réalisé des formations universitaires et plusieurs rencontres entre chercheurs et artistes. Nous proposions de mettre à disposition du Pays Basque les outils de recherche participative que nous avions mûris ailleurs. Tout a commencé par un festival des sciences réalisé avec la ville de Bidart qui nous a rapprochés de l’ESTIA. Un projet de centre de recherche est né alors, avec une étincelle allumée par Juhane Dascon et ravivée par Jean-Roch Guiresse et Jean- Michel Larrasquet.

Quelle est la spécificité de votre travail au Pays Basque ?

L’un des premiers projets que nous avons réalisé au Pays Basque a consisté à entendre le besoin des orthophonistes travaillant en euskara. Il leur était difficile de poser un diagnostic fiable sur les troubles du langage que pouvaient rencontrer des enfants bascophones. La recherche a été réalisée par Marie Pourquié (Iker CNRS, Bayonne) et Marijo Ezeizabarrena (EHU, Gazteiz), avec le financement de la région Nouvelle-Aquitaine et du fonds Geroa. Aujourd’hui, nos orthophonistes peuvent travailler en basque. En collaboration, entre autres, avec Terexa Lekumberri de l’Institut culturel basque, nous avons mené une recherche participative sur le rapport au patrimoine paysager bidartar dont les résultats seront bientôt consultables à la bibliothèque de Bidart.

“L’un des premiers projets que nous avons réalisé au Pays Basque
a consisté à entendre le besoin des orthophonistes travaillant en euskara.
Il leur était difficile de poser un diagnostic fiable sur les troubles du langage
que pouvaient rencontrer des enfants bascophones.”

Grâce au recrutement récent de trois salarié.es tou.tes bascophones, vivant au Nord comme au Sud, tant en milieu rural qu’en milieu urbain, nous disposons d’un maillage pour entendre les besoins de recherche des citoyen.nes vivant au Pays Basque. Nous travaillons actuellement à faire connaître notre travail via des articles en basque à paraître dans Argia ou Jakin. Avant de vivre et travailler à Bidart, deux d’entre nous commencèrent à apprendre le basque, à Paris. A travers la lecture en ligne d’Enbata ou de Mediabask, nous suivions de loin les dynamiques du territoire. Aujourd’hui immergé dans un quotidien de travail toujours plus en basque, j’apprends auprès de mes collègues Loretxu Bergouignan, Graxi Irigaray et Lukas Barandiaran. Enfin, des actions en dehors du Pays Basque complètent notre action. Nous travaillons à l’échelle de la Nouvelle- Aquitaine avec une salariée, Chloé Jaubert, positionnée à Bordeaux. Nous apportons notre expertise à l’Université de Bordeaux et à celle de Strasbourg. Nous accompagnons des projets à Mulhouse, dans un quartier de la périphérie de Madrid…

Fin 2024, était annoncée la création à Bidart d’un centre de recherche interdisciplinaire en biologie santé, porté par l’Institut Curie. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet baptisé Iker Herria ?

C’est un projet parti “d’en bas”, porté depuis la commune de Bidart avec Emmanuel Alzuri, et remonté ensuite vers la CAPB auprès de Jean-René Etchegaray, puis vers la Région avec Bixente Etcheçaharreta et Alain Rousset. Le projet bénéficie aussi du soutien enthousiaste des universités et centres de recherche d’Hegoalde. Fin 2025, nous pourrons ainsi ouvrir un centre de recherche publique avec l’Institut Curie, à Bidart. Leïla Perié, qui travaille à l’Institut Curie et par ailleurs associée à la coopérative, en a la responsabilité. Une quarantaine de chercheurs s’y installeront progressivement. Il sera dédié à la recherche en biologie, au développement de la recherche participative et au renforcement de la réflexivité des chercheurs sur leurs pratiques. Ce projet fait l’unanimité politique au sein de la CAPB et en région Nouvelle-Aquitaine (sauf les élus RN qui s’opposent à des épistémologies dites “féministes et décoloniales”). Il donnera un élan audacieux à la recherche publique au Pays Basque Nord, une revendication de longue date.

Orthophonistes pratiquant en euskara, lors d’une session de travail en vue de construire des outils de diagnostic des troubles du langage des enfants bascophones.

Quels autres types de projets sont en cours ou prévus par l’Atelier des Jours à Venir dans son écosystème Euskal Herria ?

Nous démarrons un dialogue des personnes concernées par les règles menstruelles. Il s’agira d’identifier des aspects des règles, en situation non pathologique, à propos desquelles nous manquons de connaissance scientifique. Les médiatrices Graxi Irigaray et Loretxu Bergouignan accompagneront ces groupes, en présence de Leïla Perié (CNRS / Institut Curie), immunologiste et hématologue. Nous esquissons une réflexion quant à la façon dont des liens pourraient se tisser entre le milieu paysan militant et le milieu de la pêche artisanale en Iparralde, alors qu’ils font face à des enjeux semblables. Nous accompagnons le Conseil de Développement du Pays Basque à propos de la méthodologie de la démarche Pays Basque 2040. Enfin, nous portons un projet d’écoute des populations concernées par l’action des Centres Sociaux Culturels dont le fonctionnement sera fragilisé par les coupes budgétaires.

Soutenez Enbata !

Indépendant, sans pub, en accès libre,
financé par ses lecteurs
Faites un don à Enbata.info
ou abonnez-vous au mensuel papier

Enbata.info est un webdomadaire d’actualité abertzale et progressiste, qui accompagne et complète la revue papier et mensuelle Enbata, plus axée sur la réflexion, le débat, l’approfondissement de certains sujets.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés par les dons de nos lectrices et lecteurs, et les abonnements au mensuel papier : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre.

« Les choses sans prix ont souvent une grande valeur » Mixel Berhocoirigoin
Cette aide est vitale. Grâce à votre soutien, nous continuerons à proposer les articles d'Enbata.Info en libre accès et gratuits, afin que des milliers de personnes puissent continuer à les lire chaque semaine, pour faire ainsi avancer la cause abertzale et l’ancrer dans une perspective résolument progressiste, ouverte et solidaire des autres peuples et territoires.

Chaque don a de l’importance, même si vous ne pouvez donner que quelques euros. Quel que soit son montant, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission.


Pour tout soutien de 50€/eusko ou plus, vous pourrez recevoir ou offrir un abonnement annuel d'Enbata à l'adresse postale indiquée. Milesker.

Si vous êtes imposable, votre don bénéficiera d’une déduction fiscale (un don de 50 euros / eusko ne vous en coûtera que 17).

Enbata sustengatu !

Independentea, publizitaterik gabekoa, sarbide irekia, bere irakurleek diruztatua
Enbata.Info-ri emaitza bat egin
edo harpidetu zaitezte hilabetekariari

Enbata.info aktualitate abertzale eta progresista aipatzen duen web astekaria da, hilabatero argitaratzen den paperezko Enbata-ren bertsioa segitzen eta osatzen duena, azken hau hausnarketara, eztabaidara eta zenbait gairen azterketa sakonera bideratuagoa delarik.

Garai gogorrak dira, eta badakigu denek ez dutela informazioa ordaintzeko ahalik. Baina irakurleen emaitzek eta paperezko hilabetekariaren harpidetzek finantzatzen gaituzte: ordaindu dezaketenen eskuzabaltasunaren menpe gaude.

«Preziorik gabeko gauzek, usu, balio handia dute» Mixel Berhocoirigoin
Laguntza hau ezinbestekoa zaigu. Zuen sustenguari esker, Enbata.Info artikuluak sarbide librean eta urririk eskaintzen segituko dugu, milaka lagunek astero irakurtzen segi dezaten, hola erronka abertzalea aitzinarazteko eta ikuspegi argiki aurrerakoi, ireki eta beste herri eta lurraldeekiko solidario batean ainguratuz.

Emaitza oro garrantzitsua da, nahiz eta euro/eusko guti batzuk eman. Zenbatekoa edozein heinekoa izanik ere, zure laguntza ezinbestekoa zaigu gure eginkizuna segitzeko.


50€/eusko edo gehiagoko edozein sustengurentzat, Enbataren urteko harpidetza lortzen edo eskaintzen ahalko duzu zehaztuko duzun posta helbidean. Milesker.

Zergapean bazira, zure emaitzak zerga beherapena ekarriko dizu (50 euro / eusko-ko emaitzak, 17 baizik ez zaizu gostako).