Les politiques austéritaires font leur retour en Europe, le rééquilibrage des finances et l’allègement de la dette reviennent au centre du débat, mais toujours pas le rééquilibrage de la composition atmosphérique et l’allègement de la dette écologique globale. Ceux-ci sont pourtant éminemment plus urgents si nous voulons éviter la ruine globale, et passeront nécessairement par la réinternalisation et la réduction de notre consommation.
À l’heure où le parlement européen, suite à son virage à droite de juin dernier, augure un retour des politiques d’austérité, et où le projet de loi de finances 2025 qui va être voté en France s’annonce également austéritaire, nous n’entendons toujours rien ou presque sur la dette écologique que nous laissons aux générations futures, ni sur les mesures “impopulaires mais nécessaires” qui seraient à même de la soulager. Question finances, tout le monde comprend et approuve tacitement l’idée que laisser des dettes à ses enfants est injuste. Cette logique est souvent transposée telle quelle au niveau de l’Etat, bien que la dette d’un Etat ne fonctionne pas du tout de la même façon que celle d’une personne, et soit grandement influencée par les politiques monétaires et macroéconomiques d’une période donnée. Pour certains économistes comme Thomas Piketty la dette publique est une blague, et c’est la dégradation du capital naturel qui devrait au contraire nous inquiéter en priorité. D’aucuns lui rétorquent – pour ce qui est de la dette financière – que sans croissance, il n’y a pas d’endettement légitime, car la croissance fournit des preuves tangibles de notre capacité à rembourser avec les intérêts. S’endetter sans croissance reviendrait ainsi à tromper les honnêtes préteurs et prêteuses qu’on ne remboursera peut-être jamais, dans des économies qui comme les nôtres en Europe de l’Ouest stagnent depuis longtemps. Curieusement, aux tenants de l’austérité comme remède au poids de la dette, on n’entend jamais personne répondre qu’ils sont trop catastrophistes et qu’ils devraient plutôt avoir foi en la technique qui trouvera bien un jour ou l’autre une solution pour nous sortir de ce mauvais pas financier.
Ressources budgétaires et ressources naturelles
Pendant ce temps, tous les ans on entend brièvement parler du jour du dépassement, c’est-à-dire le jour de l’année à partir duquel la consommation de ressources par l’humanité dépasse la capacité annuelle de la planète à régénérer ces ressources et à absorber les déchets correspondants (dont le CO2). Autrement dit, si cette date advient avant le 31 décembre à minuit, nous puisons dans des ressources futures dont nous privons de facto les jeunes générations. En 1970 le jour du dépassement fut le 29 décembre, cette année c’était le 1er août. Bien que cet indicateur soit imparfait, il a le mérite de faire voir clairement les ordres de grandeur : notre dette écologique annuelle est passée en 54 ans de l’ordre de 1% à 40% de la biocapacité de notre planète, et si tout le monde vivait comme les européens de l’ouest ce serait plutôt de l’ordre de 60 ou 65%. Ce niveau d’emprunt vis-à-vis du futur est sans commune mesure avec ce qui se passe au niveau financier, mais jamais on n’a vu jusqu’ici de premier ou première ministre ni de président·e de la Commission Européenne expliquer que notre endettement écologique atteint des niveaux incompatibles avec la prospérité future des jeunes générations – voire même avec l’existence future d’une production agricole stable – et qu’il est désormais indispensable de métamorphoser nos activités vers une voie soutenable et équitable afin d’éviter bien des malheurs évitables.
L’atmosphère ne fait toujours pas crédit
La physique atmosphérique est une science bien plus exacte que l’économie, et pendant que les refrains austéritaires remplissent les médias, l’atmosphère se comporte comme les modèles climatiques l’ont prévu depuis au moins trois décennies. Un océan plus chaud évapore de plus grandes quantités d’eau, un air plus chaud peut contenir également de plus grandes quantités d’eau, et les épisodes dépressionnaires devenus plus intenses amènent des vents plus violents et des pluies plus abondantes.
Jamais on n’a vu jusqu’ici
de premier ou première ministre
ni de président·e de la Commission Européenne
expliquer que notre endettement écologique
atteint des niveaux incompatibles
avec la prospérité future des jeunes générations
Sans surprise, les dépressions (sous nos latitudes) et les ouragans (dans les tropiques) font des dégâts de plus en plus considérables. A l’heure où j’écris ce paragraphe le Petit Bayonne finit d’essuyer la montée des eaux des 17 et 18 octobre, l’ouragan Oscar frappe Cuba, quelques semaines plus tôt l’ouragan Helene a tué plus de 225 personnes aux Etats-Unis et causé plusieurs dizaines de milliards de dollars de dégâts matériels et pertes économiques. Avant ça c’était la tempête Boris qui a donné des cumuls de pluie jamais vus en Tchéquie et en Pologne et tué 29 personnes, le typhon Yagi qui a tué 613 personnes en Asie du Sud-Est. La mousson inhabituellement décalée vers le nord a également causé des inondations hors du commun dans tout le Sahel, tué des centaines de personnes et déplacé des dizaines de milliers d’autres suite à des glissements de terrains ou des ruptures de barrages. Comme toujours, ce sont ceux qui consomment le moins – les plus pauvres – qui sont les plus exposés aux effets de la surconsommation, au premier rang desquels les événements météo extrêmes qui sont la conséquence de la combustion massive de carbone fossile. Des négateurs trouveront toujours un moyen de se convaincre de la normalité de ces événements hors normes, mais il y a un secteur qui a bien compris que nous ne vivons plus dans le même monde qu’il y a 30 ans, et qui en tire ses conclusions : les assurances.
Il y a un secteur qui a bien compris
que nous ne vivons plus dans le même monde
qu’il y a 30 ans,
et qui en tire ses conclusions :
les assurances.
La fédération des assureurs français a par exemple, dans son rapport publié en mars de cette année, indiqué que les événements météo extrêmes ont augmenté en fréquence et en intensité, et leur ont coûté 6,5 milliards d’euros en 2023, ce qui en fait la troisième année la plus chère enregistrée par ce secteur. Sur les quatre dernières années, le coût annuel des dégâts des événements météo extrêmes a été supérieur à 6 milliards, dépassant largement les coûts observés durant la décennie précédente, et dépassant également de 18% les prévisions. Et que se passera-t-il lorsque, un territoire après l’autre, les dégâts météorologiques seront si importants que les activités économiques et les bâtiments ne seront plus assurables à des prix viables ? Va-t-on attendre d’en arriver là avant de se dire que c’est bien triste toutes ces vies broyées et que c’eût été moins cher d’agir 30 ou 40 ans plus tôt ?
Réinternaliser et réduire
A quand des politiques d’austérité appliquées aux émissions de CO2 ? A quand des indicateurs économiques qui intègrent la dégradation du climat, des ressources naturelles et de la biodiversité ? À quand une vraie comptabilisation des externalités négatives (écologiques et aussi sociales) des activités économiques ? Élargir ainsi le champ de vision encore étroit des conceptions économiques dominantes nous ferait assez vite comprendre la nécessité de deux éléments majeurs : réinternaliser et réduire. Comme nous l’écrivions en juillet dernier, les souverainetés concrètes passent par la réinternalisation de ce qui était jusque-là commodément repoussé loin des yeux : la production de notre alimentation, de notre énergie et de nos équipements doit se faire en empiétant le moins possible sur les ressources des autres territoires – notamment les plus paupérisés actuellement par le pillage de leurs ressources –, en polluant le moins possible, et en recyclant nos déchets le plus localement possible, par des moyens qui ne mettent pas en péril la capacité de nos petits-enfants à répondre également à leurs besoins futurs. Atteindre ces objectifs sur des territoires dont les populations dépassent aujourd’hui de 60% la biocapacité de la planète implique nécessairement un ajustement important du niveau de consommation. Outre instaurer de meilleures politiques de transport, de logement, et agricoles/alimentaires (car la majeure partie de cette surconsommation est structurelle), il s’agit aussi de réduire la consommation de ceux qui surconsomment, en les taxant de façon plus juste (et la “contribution temporaire” actuellement discutée par exemple en France est loin de pouvoir ramener les compteurs à leur niveau d’il y a 20 ou 30 ans). Nous nous rendrons également compte que notre niveau de consommation globale est tellement haut que ceux qui surconsomment sont en fait bien plus nombreux que les 1% ou même les 10% les plus riches. La réinternalisation rendra ces questions beaucoup plus visibles, car sur nos territoires nous devrons arbitrer entre la préservation du foncier agricole, la préservation de zones humides et de forêts, l’usage de l’eau, la production d’énergie, l’usage des zones artificialisées par l’industrie et l’habitat.
Sur nos territoires nous devrons arbitrer
entre la préservation du foncier agricole,
la préservation de zones humides et de forêts,
l’usage de l’eau, la production d’énergie,
l’usage des zones artificialisées
par l’industrie et l’habitat.
En Iparralde, le logement (et notamment le chauffage) a par exemple consommé à lui seul 2432 GW en 2019, soit environ le potentiel maximum de production d’énergie renouvelable de notre territoire, d’après le PCAET (plan climat-air-énergie territorial) de l’agglo. Or, le logement représente 38% de l’énergie consommée en Iparralde : comment fournir les 62% restants ? Nécessairement en réduisant la consommation (du logement et du reste), en augmentant la production locale, et en arbitrant collectivement sur les choix à faire. Si nous ne prenons pas en main collectivement ces questions, ce seront des intérêts privés qui le feront (comme actuellement sur de nombreux projets d’agrivoltaïsme), sans prise en compte des besoins du territoire, sans arbitrage collectif entre critères écologiques et sociaux, et sans sobriété.