L’euro-député corse présente dans le journal autonomiste Arritti paru début février les obstacles qui se dressent, en France comme en Corse, face au nouveau statut d’autonomie.
Trois échéances sont au calendrier du processus vers l’autonomie de la Corse. Première étape : la présentation d’un « consensus pour l’autonomie » le plus large possible, en Corse, à partir de la délibération du 5 juillet 2023, au-delà des seuls groupes nationalistes et de Pierre Ghionga. Deuxième temps, négociation sur cette base avec le président Macron d’un texte de modification constitutionnelle à soumettre au vote du Parlement. Puis, il faudra vaincre et convaincre ceux qui, à Paris ou en Corse, restent imprégnés du moule jacobin.
Côté Assemblée nationale, ce devrait être assez simple car les députés macronistes y forment le groupe le plus important, et devraient être soutenus par le groupe LIOT, LFI comme l’a annoncé son leader Manuel Bompard lors de son dernier passage en Corse, ainsi que le PCF, les Écologistes et, probablement, les socialistes. Mais cet ensemble, suffisant à l’Assemblée nationale malgré l’extrême-droite qui a annoncé une opposition totale, pourrait être trop limité pour franchir le cap du Sénat, dominé par une alliance de la droite (Les Républicains) et des centristes. Il faudra que ce camp conservateur se fracture pour qu’une majorité soit trouvée au Sénat et ouvre alors la porte vers la tenue du Congrès à Versailles.
C’est donc sur le Sénat qu’il faut porter le plus d’attention. Son président Gérard Larcher a récemment tenu une conférence de presse pour manifester ses réticences aux réformes constitutionnelles initiées par Emmanuel Macron. Était visée explicitement la proposition, pourtant formulée par le Sénat lui-même, d’inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution. Mais, implicitement, son propos semble bien viser toute autre demande de réforme constitutionnelle qui ne porterait pas sur le thème de l’immigration, après la censure par le Conseil constitutionnel de la loi qu’avait votée le Sénat.
Droite en Corse : marche arrière toute
Mais les vents contraires ne soufflent pas qu’à Paris. Est-ce en écho de ces réticences parisiennes ? Jean Martin Mondoloni, qui préside le groupe de la droite à l’Assemblée de Corse, a donné une interview à Corse-Matin en forme de « marche arrière toute ». Son leitmotiv : pas de pouvoir législatif ! Or, c’est la nature même d’une autonomie, dans les domaines de compétence délégués, de pouvoir définir les normes, réglementaires ou législatives.
Vue d’Europe, cette attitude est absurde et ne résiste pas à des constats d’évidence. La Sardaigne voisine est autonome et détient un pouvoir législatif dans les domaines de compétence définis par son statut spécifique qui remonte à 1948 : 75 ans désormais, sans événements politiques notables depuis. Alors que la Corse, enfermée dans le carcan juridique du droit commun français, a connu depuis 60 ans une situation politique régulièrement instable. Comment Jean Martin Mondoloni l’explique-t-il ? Mais dans son esprit formaté par le jacobinisme, et dans son parcours d’opposant institutionnel à la majorité nationaliste, tout est bon pour s’opposer à l’autonomie. Élu à l’Assemblée de Corse sur la liste conduite par Laurent Marcangeli, Jean Martin Mondoloni n’entraîne pas la totalité de son groupe. Le député d’Aiacciu a de son côté affiché des positions bien plus ouvertes, et plusieurs cadres de la droite insulaire en font de même. Mais, à cet instant, c’est le courant le plus conservateur qui se fait entendre.
Remake du scénario de 1982
Côté nationaliste, la Lutte de libération nationale reprend les thématiques qui étaient déjà les siennes au moment de la création de la première Assemblée de Corse en 1982. Alors qu’Edmond Simeoni et l’UPC entraient de plain-pied dans l’Assemblée de Corse créée de haute lutte lors du premier statut particulier de l’Île, le courant politique aujourd’hui incarné par le tout nouveau mouvement « Nazione » dénonçait « a tràppula » (NDLR : piège) d’une Assemblée qui serait dominée par les clans, et boycottait l’élection de la première Assemblée de Corse. Aujourd’hui, les clans ont disparu et la large majorité nationaliste de 2021 donne raison à ceux qui avaient accompagné Edmond Simeoni dans ce qui était alors une grande avancée politique. Mais Nazione reproduit en 2024 le même schéma qu’en 1982, en dénonçant « le pseudo-processus en cours », en écho à la conférence de presse clandestine tenue quarante-huit heures auparavant par le FLNC.
On savait à l’avance que la négociation avec l’État autour de l’autonomie de la Corse trouverait des oppositions, tant du côté des plus conservateurs, accrochés au statu quo, que de celui des nationalistes affichant les postures les plus contestataires. À l’approche des échéances, leurs états d’âme occupent les médias. Ces attitudes font, en 2024 comme en 1982, le jeu médiatique de ceux qui, à Paris comme sur l’île, veulent faire échouer l’autonomie de la Corse.
Il faut faire face à ces vents contraires, et construire sans démagogie, pas à pas, l’avenir du peuple corse.