Dans Caminho longe, le réalisateur Josu Martinez accompagne le retour “de déportation” d’Alfonso Etxegarai, après 33 ans en Equateur et à Sao Tomé, dans un exercice de “mémoire immédiate” réussi et une plongée sensible dans l’univers de ce militant basque.
Josu Martinez est donc ce jeune réalisateur originaire de Bilbao, venu raconter l’histoire d’Alfonso Etxegarai, l’un des 70 “déportés” d’ETA(1), exilés de force à l’étranger, durant les années 80, par la France et l’Espagne. Algérie, Venezuela, République Dominicaine, Panama, Cuba, Cap Vert et l’archipel de Sao-Tomé-Et-Principe allaient devenir leur terre d’accueil plus ou moins bienveillantes.
Sous surveillance étroite, privés de documents d’identité officiels, condamnés à une errance à durée indéterminée, ils devinrent en sorte, des “inexistants”. A ce jour, en marge d’une trentaine de réfugiés basques encore dispersés de par le monde, il reste huit “déportés” établis au Venezuela, au Cap Vert et à Cuba.
Le rêve du retour
Après avoir été “expédié” dans un premier temps, en Equateur (il y fut séquestré et torturé), Alfonso Alfonso Etxegarai fut transféré sur l’île de Sao Tomé. 1986-2019 : 33 ans passés, dans cette ancienne colonie portugaise, grouillante de vie où sa femme, Christiane Etchalus, n’a eu de cesse d’aller et venir entre la France et “son” île, avec l’espoir que cet interminable voyage finirait bien par s’achever. Caminho longe, documentaire réalisé par Josu Martinez et Txaber Larreategi (présenté au Zinemaldia de Saint-Sébastien en 2020 et au Fipadoc de Biarritz en juin 2021) a été projeté dernièrement, dans plusieurs salles du Pays Basque Nord(2). Exercice de “mémoire immédiate” réussi, il propose une plongée vivante et alerte, dans l’univers clos de Sao Tomé et celui de la vie d’un couple résolu à aller jusqu’au bout de son histoire. Un couple désireux de surmonter ses doutes et de vaincre ses peurs face à l’éventualité d’un impondérable, susceptible de venir briser le rêve de retour. Une équipe légère de tournage les a accompagnés tous deux, au fil de cet ultime suspense, alors qu’ils se prêtaient au jeu de la caméra avec grand naturel. Alfonso Etxegarai muni de ses papiers officiels (passeport en bonne et due forme), a enfin pu quitter “son” archipel perdu dans l’Atlantique sud, tel un voyageur lambda. Il s’y était fait quelques bons amis et y travaillait afin de subvenir à ses besoins.
“Enterrés dans l’indifférence”.
Le couple est arrivé à Paris le 2 octobre 2019 ! Après un voyage par avion sans encombre, la dernière étape vers le Pays Basque a été parcourue en train et sans caméra. “Je me demande comment j’ai fait pour survivre là-bas !” laissait encore tomber Alfonso en ce mois de juillet 2021. “C’était un voyage où s’entremêlaient l’irrationnel et le rationnel. C’était le voyage de notre vie !” s’exclame Christiane Etchalus. Tous deux se sont installés dans le village natal de Christiane, à Domezain. Alfonso s’apprête à faire éditer son nouvel ouvrage(3): sa vie à Sao Tomé, leurs innombrables velléités de retours impossibles, les frontières infranchissables et les arcanes de la “déportation” imaginée par Madrid, au prix de crédits au développement (voire d’avantages commerciaux) versés par l’Espagne aux pays “accueillants”. Y compris à la France pour “services rendus” au gouvernement (PSOE) espagnol. Les premières extraditions de ce type engagées en 1984, furent le fruit de mesures administratives d’exception, (sans fondement juridique), appliquées en marge du droit international et mises en oeuvre par les deux pays, au terme d’un accord politique d’Etat à Etat, signé Felipe Gonzalez/François Mitterrand. Alfonso Etxegarai expliquait dans l’ouvrage de la Catalane Susanna Panisello Sabaté paru en 2021, exclusivement consacré aux “déportés” d’ETA(4), que les années les avaient, lui et les autres, peu à peu “enterrés dans une certaine indifférence” et “réduits à vivre dans un coin oublié”. Il ajoutait : “L’éloignement a contribué au fait qu’à l’exception d’un petit noyau familial et de quelques militants impliqués dans des structures d’aides aux victimes de représailles, les autres ne se sont plus souciés de nous en tant que personnes. L’opinion internationale nous a traités par le silence. Notre déportation n’existe pas. Après avoir été considérés comme un moindre mal, nous sommes devenus un mal inexistant”.
Exercice de “mémoire immédiate” réussi,
le documentaire propose une plongée vivante et alerte
dans l’univers clos de Sao Tomé
et celui de la vie d’un couple résolu à aller jusqu’au bout de son histoire.
Le Pays Basque de son retour
“Dans mon cas, explique-t-il aujourd’hui, le grand changement c’est qu’à Plentzia, ma ville natale, un mouvement de soutien s’est constitué et s’est activé pendant deux ans. C’était nouveau pour moi alors que là-bas, les gens ne me connaissaient plus, ou si peu...”. Le Pays Basque de son retour avait bien changé ! Il l’a certes reconnu, mais pas sous toutes ses coutures. Il s’est étonné par exemple, de constater l’absence de piétons et marcheurs sur les routes, la disparition des traces laissées par les centaines de réfugiés présents dans les années 80-90 dans les trois provinces du nord, de la perte d’un certain sens de la solidarité et de “détails”, tels l’omniprésence de la ceinture de sécurité et des feux rouges ! Il a aussi été vraiment surpris de l’ampleur du changement politique et culturel survenu dans la société basque des années 2020, au niveau de l’euskera notamment.
(1) Film/documentaire (72 minutes) produit par Adabaki Ekoizpenak.
(2) “Déportés”, traduit du castillan “déportados”, mot ne revêtant pas la connotation spécifique du français qui se réfère aux camps de concentration nazis.