Mikel Duvert le legs d’Eugène Goyheneche

Enbata: Eugène Goyheneche fut l’un des historiens majeurs du Pays Basque. Vous qui avez travaillé très étroitement avec lui, vous ne cessez de rappeler l’importance de sa contribution. Volonté de faire acte de mémoire?
Mikel Duvert: Vous avez raison de le souligner, Eugène Goyheneche fut l’un des historiens majeurs de notre pays. Il nous a quittés en décembre 1988, il avait 73 ans. L’Uztariztar fit ses études à Bayonne, à Saint-Louis-de-Gonzague, où il prit goût pour l’histoire, non pas celle qui se contente d’égrainer de longues chroniques ponctuées de listes de batailles, encore moins celle qui est vouée à l’endoctrinement des scolaires. Eugène voulait une histoire qui fut un récit argumenté, critique, qui s’adressait à des gens responsables qui veulent être lu-cides. Il a marqué notre génération et certains d’entre nous avons envers lui une dette sans fin car, non seulement il nous a appris, mais il nous a surtout appris sur la façon d’apprendre.

Enb.: Pour les jeunes générations qui ne l’ont pas connu et les moins jeunes qui l’ont quelque peu oublié, vous rappelez qu’Eugène Goyheneche fut dans sa jeunesse un militant très actif.
M. D.: Les débuts d’Eugène furent marqués par son action militante auprès du gouvernement d’Euzkadi, alors pris en pleine tourmente. Il joua un rôle d’ambassadeur auprès de diverses instances, au point que ce fut lui qui annonça à Radio-Paris le bombardement de Gernika. Toute cette période de sa vie a été romancée dans le livre de Christian Rudel «Les guerriers d’Euskadi», paru en 1974, où il est dépeint sous les trait d’un docteur. Quant à lui, il n’a rien écrit sur cette période au cours de laquelle il avait été terriblement actif, car il se sentait trop impliqué pour avoir un regard serein.

Enb.: Les recherches d’Eugène Goyheneche couvraient un vaste domaine. Quels sont les ouvrages qu’il nous a légués?
M. D.: Sa thèse passée à l’Ecole des Chartes en 1949, il devint archiviste-paléographe. Lorsqu’il travailla aux archives à Bordeaux, il n’eut guère de temps pour développer une re-cher-che, d’autant plus que ses week-ends étaient toujours occupés à rendre service aux uns et aux autres (à la Maison des Basques, à des réfugiés, etc.). Son véritable but était donc d’entrer dans l’Université afin d’avoir du temps à consacrer à la recherche. Ce qu’il fit en 1968, après un passage au CNRS, puis aux archives de Mont-de-Marsan. Il s’attela alors à une tâche immense, totalement nouvelle, la création d’un enseignement de langue, littérature et civilisation basques.
Quatre grands ouvrages jalonnent sa production:
l «Bayonne et la région bayonnaise du XIIe au XVe siècle»: c’est sa thèse de l’Ecole des Chartes. Il y développe sa vision synthétique de l’histoire. C’est un modèle de rigueur et de clarté… Cet ouvrage, aux approches variées, fera de lui le grand médiéviste de notre pays, une autorité incontestée.
Alors qu’il était à Bordeaux, il rédigea en 1966 sa Thèse d’onomastique du Nord du Pays Basque (XIe-XVe siècles). Un manuscrit fut déposé à la Bibliothèque municipale de Bayonne… il fut volé. A qui profita le larcin? La technicité d’une telle étude fait que le choix des suspects est forcément restreint! Il y a quelques années, un autre exemplaire fut déposé à l’Académie Basque, Euskaltzaindia. Elle doit toujours y dormir (dans un placard décoré de croix bas-ques, peut-être?).
Le troisième ouvrage est «Notre terre basque». Edité d’abord par Ikas en 1961, ce petit livre fondamental (de 100 pages) fut le fruit de réunions informelles, au cours desquelles il décida de sa rédaction pour l’école et les enseignants. C’est souvent au cours de ces sortes de «tertullas» que se mettaient en forme de telles entreprises dans lesquelles il prenait une part décisive, comme pour Fededunak à Cambo. Dans ce livre, il voulait exposer une histoire synthétique et argumentée, qui pose les bases et les limites du savoir. Plus que de livrer des masses d’information, ce qui lui importait c’était ceci: que les Basques connaissent les fondements de leur histoire et qu’ainsi ils puissent se faire une opinion éclairée sur leur mémoire, sur leur être collectif, loin des balivernes sur «nos ancêtres gaulois», etc. Réédité, ce livre est à nouveau épuisé. Mais qu’attendons-nous donc pour l’éditer à nouveau? Nous n’avons rien d’équivalent à notre disposition!
Enfin il y eut «Le Pays Basque», Eugène voulait faire un ouvrage simple, maniable. C’est raté, l’éditeur en a décidé autrement. Ne nous plaignons pas, ce somptueux ouvrage prolonge et développe le précédent. Il est fait pour le grand public et pour lui montrer, en marge du savoir factuel, ce qu’était la matière historique pétrie dans une narration argumentée, rigoureuse. Ce grand livre, largement diffusé, bénéficia d’une partie de ses cours à Pau. Son épouse Trini y prit une large part, dans l’é-bauche des cartes (mises au net par le service de la faculté), dans la coordination du travail des dactylos etc.
Hélas, comme je le disais, l’éditeur n’a rien fait pour faciliter l’accès à la masse des données contenues dans les 680 pages. Cependant, au sein même de cette forêt dense, odorante, aux essences gorgées de bonne sève et colorées en diable, s’ouvre un vaste espace de fraîcheur, rare et unique en son genre. Ce sont les rubriques sur les villages d’Iparralde classés par ordre alphabétique. Nous ne cessons de les consulter, c’est un livre dans le livre. Personne ne pouvait faire mieux! Personne n’a fait mieux.

Enb.: Eugène avait la réputation de grand travailleur. Comment cet homme a-t-il pu abattre un tel travail?
M. D.: Comment cet homme a pu abattre un tel travail? Il était à son bureau du matin au soir, et au soir très tard car il y arriva même d’y passer des nuits. Outre archives et documents variés, il lisait tout ce qui lui tombait sous la main, du roman à l’essai en passant par des revues techniques sur des thèmes souvent exotiques (les voies de chemins de fer, l’embryologie humaine…). Il prenait les livres comme ils arrivaient. Un livre lui plaisait? Il faisait une fiche, une sorte de grimoire parcouru par une écriture particulièrement peu lisible (celle de Lafitte était d’une grande clarté à côté de la sienne!) et ramassant des formules bizarres que lui seul pouvait les comprendre. Elles lui servaient de point de départ pour de multiples compte rendus qu’il sema parmi ses articles de recherche (voir les recensements par Jean-Claude Larronde et Jon Bilbao). Il lisait couramment le basque (il l’enseignait), le gascon, le latin, l’espagnol. Vous lui apportiez un texte écrit dans cette graphie des XIII-XIV° siècles? Il vous la lisait sur le champ, comme si c’était le journal. J’en suis témoin.

(Suite dans le prochain numéro)

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