Les paysans se démarquent de la Marque territoriale

Enbata: Quels étaient les objectifs que votre collectif s’était assignés en participant aux travaux de la création de la Mar-que territoriale? Maryse Cachenaut: Suite aux premières réunions de travail organisées par le Conseil de développement, nous nous som-mes, l’ensemble des démarches collectives de qualité du Pays Basque, concertés pour apporter collectivement des éléments contributifs à l’étude d’opportunité et de faisabilité de la Mar-que territoriale. C’est ainsi que nous avons décidé de participer aux travaux de la Marque territoriale et défini nos objectifs.
Les objectifs du collectif Kalitaldeak étaient de trois ordres. En premier lieu nous voulions que la Marque véhicule vers l’extérieur un message authentique, sincère, cohérent, durable: une marque profitant à l’ensemble des acteurs œu-vrant à façonner l’image Pays Basque, n’usurpant pas cette image: les matières premières doivent être produites et transformées en Pays basque. Un produit sous label Pays Basque est indissociable de la trilogie: savoir-faire historique, emploi humain et origine de la matière locale. Sans origine basque de la matière première, la notion de marque territoriale disparaît pour ne plus être qu’une marque commerciale profitant majoritairement à l’industrie agro-alimentaire, mais financée sur fonds publics.
En deuxième lieu, nous voulions créer un outil au service d’un projet de développement de territoire: un des objectifs partagés du projet de marque est bien celui de recentrer la valeur ajoutée sur le territoire. En agriculture, il s’agit de maintenir un tissu de petites fermes nombreuses, de maintenir l’emploi agricole mais également tous les emplois induits par cette activité. Ceci est également indissociable de la question de l’origine de la matière première.
Enfin, nous préconisions le respect des filières existantes, correspondant aux valeurs et au travail menés en Pays Basque depuis des années, et qui ont grandement contribué à façonner l’image qualitative du territoire. Ainsi, la marque ne doit pas nuire aux signes de qualité existants pour lesquels les contraintes financières de production locale et de contrôle existent.
A la lecture du compte-rendu de la dernière Maîtrise d’ouvrage partenariale, le collectif Kalitaldeak a décidé de se mettre en retrait du processus de création de cette marque, ce malgré le rôle actif qu’il a mené jusqu’alors.

Enb.: Votre désaccord est donc un problème de fond?
M. C.: Effectivement, c’est sur le fond que notre retrait se joue. Pour le secteur agroalimentaire qui nous concerne, la MOP valide la voie d’une marque ne portant aucun engagement effectif, réel, contrôlable, sur l’origine des produits et les démarches qualité qui sont mises en œuvre. Le processus de «démarche de progrès à moyen terme» mis en avant dans les débats par l’industrie agro-alimentaire n’est pas viable. Aucun diplôme, ni label n’a été donné avant d’avoir passé ses examens, ou s’être mis en conformité. Et l’argument sur une «Marque solidaire» est fallacieux s’il n’induit pas une exigence d’approvisionnement local. Dans ce contexte, notre retrait de cette voie se veut, est effectivement, une marque de respect et de solidarité véritable.
Une marque de respect envers les consommatrices et consommateurs, pour qui la marque se doit d’identifier et de différencier des produits qu’ils sont en droit d’attendre: tracés, de qualité, porteurs de sens et de développement durable. Après 4 décennies de matraquage publicitaire dans lequel le secteur agroalimentaire a souvent brillé par la confusion savamment entretenue sur ses valeurs et engagements, l’avenir est à la transparence, à l’intelligence de l’acte d’achat et à l’éthique. Le consommateur attend d’un produit alimentaire identifié par une marque territoriale en lien organique avec ce même territoire.

Enb.: Vous dites que votre retrait est dicté par un souci de respect et de solidarité, à l’endroit de qui?
M. C.: Notre retrait est une marque de respect envers les producteurs(trices), artisans et PME agroalimentaires qui sont résolument engagés dans des démarches de qualité et de certification d’origine et de traçabilité, pour tout ou partie de leurs produits: cet engagement effectif concerne la majorité des fermes et entreprises en Pays Basque.
Ces acteurs méritent que se mettent enfin en place, de manière claire et déterminée, des filières locales valorisant les productions et rémunérant leur travail, leur prise de risque économique et leur engagement social. Notre investissement dans ce projet de Marque territoriale trouvait ici tout son sens.
Une marque de respect envers les acteurs de la culture et de la langue basque, trop souvent utilisés comme alibis pour justifier des orientations socio-économiques de cette marque qui justement pourraient leur être fortement nuisibles.
Une marque de respect envers des élu(e)s qui, à plusieurs reprises dans ce processus de création, dans le cadre du Conseil des élus, du Conseil de développement, des collectivités locales CG et région, ont pu nous signifier partager cette analyse des enjeux et finalités du projet, et stratégiquement préférer investir sur le long terme et la durabilité que sur le profit de court terme, dont le défaut est qu’il sera à coup sûr de court terme.
Enfin, une marque de respect envers nous-mêmes, parce que la forme qui est employée dans les comptes-rendus, l’organisation des réunions de travail ou les processus décisionnels n’est plus respectueuse des collectifs que nous représentons.
Respecter et se respecter aujourd’hui, c’est investir collectivement sur demain. Notre retrait est résolument une marque de respect et de solidarité, et, malgré le caractère négatif que porte en apparence ce type de choix, un pari pour l’avenir du Pays Basque.

• Participent au collectif Kalitaldeak: le Syndicat de l’AOC du Piment d’Espelette, BLE, Civam Bio Pays Basque, l’Association des Producteurs Fermiers du Pays Basque, portant la marque Idoki, l’association Sagartzea, la Coopérative Eztigar, la Fédération Arrapitz, regroupant 13 structures de développement rural dont les 5 pré-citées, l’association Xapata (cerise d’Itxassou), Euskal Herriko Laborantxa Ganbara, Hemen, le Syndicat ELB, plusieurs producteurs membres des Conseils d’Administration de l’AOC Ossau Iraty, de la Filière Porc Basque, de l’AOC Irouleguy, du Syndicat du Piment Doux.

Le projet Marque territoriale
en quelques dates

Décembre 2008: le Conseil de développement du Pays Basque lance le chantier de Marque territoriale inscrit dans le Contrat territorial: étude d’opportunité et de faisabilité de la MT, réalisée par le Cabinet Qassiopé.
Pendant 6 mois, Qassiopé et le CDPB organisent des réunions avec les acteurs du territoire pour réaliser une étude identitaire, ainsi qu’une étude de l’image externe du PB et un panorama actuel des marques et labels existant.

Mai 2009: première restitution de cette étude qui conclut sans débat à l’opportunité réelle de créer une Marque territoriale Pays Basque, autour de «valeurs communes» telles que l’attachement à la terre, la transmission et l’audace .

Entre juin 2009 et juin 2010, le Conseil de développement travaille sur une proposition d’organisation, de mise en œuvre de la marque.

Juin 2010: le Conseil des élus valide la mise en œuvre opérationnelle de la marque, sur avis du Conseil de développement. Cet avis confirme la possibilité «de faire» une marque transversale, «territoire», s’appuyant sur les valeurs pré-citées autour d’une «charte» transversale, ainsi que des références qualité pour chaque filière mais dont les contours restent cependant assez flous. La question de l’origine de la matière première n’y est pas clairement abordée.

En 2009-2010, Kalitaldeak interpelle régulièrement le CDPB (contributions orales et écrites) quant à la nécessité de critères minimum d’exigence pour que cette marque soit garante de qualité et d’origine. Kalitaldeak propose aussi que la marque ait un volet de «veille» ou de protection contre les usurpations d’image.

Fin 2010: le Conseil de développement se dessaisit du dossier pour le transmettre au Conseil général 64 chargé de rendre opérationnelle la marque territoriale, avec les acteurs économiques du territoire.

Une Maîtrise d’ouvrage partenariale est créée pour finaliser l’opérationnalité de la marque, regroupant partenaires consulaires, partenaires public, partenaires privés (clusters).
Les travaux se poursuivent au sein des clusters économiques sous la coordination du Conseil général. Kalitaldeak participe aux travaux du cluster agro-alimentaire Uztartu. Très vite, la question de l’origine des ma-tières premières oppose le groupe Kalitaldeak aux représentants des transformateurs.

En juin 2011, une réunion est organisée pour tenter de trouver un consensus entre ces deux groupes.

Suite à cette réunion (lors de laquelle aucun consensus n’a pu être trouvé), le cabinet faisait une proposition pour un projet de marque s’adressant à tous les produits:
Pays Basque 100% matière première bas-que: distinction permettant à des producteurs et transformateurs d’afficher une origine des matières premières 100% basque au sens de l’INAO et de la DGCCRF.
Ou bien:
Pays Basque 100% savoir faire basque: distinction permettant à des producteurs et transformateurs d’afficher un savoir faire historique et spécifique au Pays Basque avec engagement dans le développement de filière locale des matières premières utilisées.

Le 7 septembre 2011, la MOP valide la charte multisectorielle base de l’élaboration des cahiers des charges par filière, et sans qu’une seule fois le mot origine soit employé.

Études et textes validés consultables:
http://www.lurraldea.net/fr/travaux-en-cours/marque-territoriale.html

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