Réponse de Mikel Dalbret artiste plasticien à Ziburu
à Ellande Duny-Pétré
A la parution in extenso du texte de Philippe Dagen paru initialement dans la rubrique culture du journal le Monde, je me suis interrogé sur le sens politique qu’Enbata voulait ainsi faire passer auprès de ses lecteurs. Je ne suis pas à votre égal expert de la vie et de l’œuvre d’Eduardo Chillida, cependant j’ai sur le sujet quelques avis et commentaires dont je souhaite vous communiquer la teneur ainsi qu’aux lecteurs d’Enbata.
En tout premier lieu je tiens à souligner, ainsi que je l’ai toujours affirmé et écrit, que Eduardo Chillida est un acteur majeur dans le domaine des arts plastiques en Euskal Herria. Prétendre, comme vous le faites, que mon courrier consiste, entre autres assertions fantaisistes, à juger la qualité de l’œuvre de l’artiste en fonction de ses idées ou engagements politiques est une allégation totalement gratuite et sans fondement aucun. Contrairement à vos écrits, mon courrier ne se réfère en aucune façon aux qualités artistiques de ce grand sculpteur «faire tant d’honneur à un artiste, si grand soit-il,…» ai-je écrit.
Enbata, auquel je suis abonné depuis vingt ans, n’a jamais laissé planer la moindre ambiguïté concernant la ligne et objectifs politiques qu’il défend et auxquels j’adhère pleinement. Dès lors, les informations, textes critiques, enquêtes et documents relatifs aux arts et à la culture paraissant dans ses colonnes n’ont de sens que s’ils véhiculent, au travers du prisme de l’abertzalime, les aspects politiques ou sociétaux qui régissent de près ou de loin la vie de ce pays. En l’occurrence, il s’agissait de délivrer aux lecteurs, outre un aspect de l’œu-vre d’un grand artiste basque reconnu dans le monde, un message en rapport avec l’un des points que j’ai précédemment soulignés. Tout naturellement, décryptant les raisons de cet acte éditorial, il m’est alors immédiatement venu à l’esprit l’image en contrepoint de l’artiste, telle que je la connais, que l’on souhaitait ainsi valoriser.
Afin de répondre à votre réaction acerbe, je vais étayer les raisons de la teneur du court message électronique, style courrier des lecteurs, que j’avais transmis à Enbata en me référant exclusivement à des documents ac-cessibles sur le Net, et donc à la portée de chacun et de chacune.
Qui était Eduardo Chillida?
Qui était Eduardo Chillida? «Né en 1924 à Donostia, il était le fils d’un lieutenant-colonel de l’armée franquiste. Il commença des études d’architecture à Madrid qu’il interrompit en 1947. Il décida alors de se consacrer au dessin et à la sculpture. C’est ainsi qu’il s’installe à Paris en 1949» (1). «A cette époque, en marge de ses débuts artistiques, il se distingue par un militantisme profasciste (ideologiaz eta ekintzaz espainiar faxista zen). Le 26 juin 1949 il agressera deux républicains venus enlever un drapeau franquiste… Il célèbrera l’amitié qui le lie alors au peintre d’obédience fasciste Pablo Palazuelo par une œuvre commune Les mains éblouies» (2). II s’expliquera plus tard, après le décès de son père, sur ses engagements militants de l’époque, et exprimera des regrets… comme étant liés à l’influence exercée par ce dernier (2). Nestor Basterretxea, né la même année, fut en raison des activités politiques de son père contraint à l’exil de 1936 à 1952. A ce stade, il est intéressant de confronter ces deux destins parallèles, reflets des fractures dramatiques de l’époque (3).
Vous écrivez, «bien que promis à un brillant avenir il préféra quitter Paris …» Je ne sais d’où vous tenez cette appréciation de son statut artistique de l’époque car la réalité est plus prosaïque. Je cite Pilar «Pili», épousée en 1950, (née Belsunce au sein d’une famille de planteurs de canne à sucre aux Philippines) «Dé-sespéré à l’issue d’une année sans résultat, il lui confia “je suis fini, on rentre”. Elle le réconforta et lui remonta le moral» (4). «agotado y frustrado decidio abandonar la capital francesa» (1). A partir de cette époque, installés à Hernani, il put se consacrer pleinement à l’e-xercice de son art car c’est elle qui prendra en main la gestion des affaires et l’aspect relations publiques de l’artiste, en particulier dans l’activation des liens privilégiés avec la bourgeoisie espagnole, espace qui lui était familier; (je reviendrai sur cet aspect à la fin de ce document) mais peut-être aurais-je dû pondérer mon propos et évoquer tout autant la bourgeoisie espagnoliste dont nous connaissons ici quels en étaient les acteurs, en particulier au sein du PNV.
Vous écrivez, «attaqué par certains artistes d’Euskal Herria qui ne lui arrivaient pas à la cheville, il ne répondit jamais à la polémique». Je remarque ici que vous décernez bien imprudemment des labels de bons et de mauvais artistes, ce dont par ailleurs vous me faites grief, gratuitement! Il serait intéressant d’en connaître les noms. Peut être considérez-vous que Jorge Oteiza «figura clave de la vanguardia de la década de los cincuenta» (1) est à ranger dans cette sous-catégorie? S’il est un artiste qui attaqua avec une violence rare la personne de Chillida ainsi que son œuvre, c’est bien de ce grand sculpteur visionnaire qu’il s’agit. Il le traita rien moins que de plagiaire (Plagioen liburua)(2) et déplora chez le Guipuzcoan l’absence dans l’élaboration de son œuvre de toute référence à la culture mémorielle basque «libro de los plagios, obra en la que lo que mas lamentaba era el hecho de que Chillida no aceptara la influencia de la escuela vasca» (5). A la demande de Oteiza, les deux artistes se réconcilieront en 1997 à Chillida Leku. A ce sujet, étant donné le grand âge de l’un et l’inexorable avancée de la maladie chez l’autre, on peut raisonnablement considérer que les proches des deux artistes surent les convaincre qu’était venu le temps de mettre un terme à une controverse qui pollua durablement le paysage artistique d’Euskal Herria.
Critiqué dans son propre camp
Vous écrivez et donc en convenez que Chillida s’est toujours tenu à l’écart des mouvements politiques. Il y a une exception. Il s’agit de l’implication de Chillida dans les Gestoras pro-amnistia. Etant donnée la façon dont fut mis un terme à cette collaboration, vous m’autoriserez à avancer l’hypothèse suivante: de la part des responsables de cette association clairement située aux côtés et en soutien des preso etarra, étant donné la notoriété et l’entregent dont bénéficiait EC au plus haut sommet du royaume, peut-être se crurent-ils protégés dans leurs activités? Chillida, quant à lui, voyait-il là, selon ses dires, avec pour seule motivation l’altérité humanitaire, un moyen de redresser une image passablement écornée dans un large pan de la société basque? Au bout du compte, critiqué dans son propre camp, il mit fin à la controverse par une déclaration sans appel contre ETA “afirmo no haber nunca de acuerdo con ETA …” et cessa toute collaboration. (6). Son entregent supposé ne pourra rien contre les procès conclus par de sévères condamnations à l’enfermement à l’encontre de J. M. Olano et de ses compagnons(6). Cela relativise donc également les colophons pro ETA de Zuzen et Zutabe que vous évoquez. Les Gestoras continuèrent à utiliser le logotype créé par EC jusqu’à leur dissolution décidée par la Haute Cour de Justice (6).
Vous évoquez les noms basques donnés par Chillida à ses œuvres; ses huit enfants n’eurent pas cet honneur.
Vous terminez en me comparant aux staliniens de l’Huma et des Lettres Françaises. Comment pouvez-vous imaginer un tel salmigondis saugrenu? Je n’ai jamais appartenu à une formation politique autre qu’AB. Dès lors, tout mon engagement et toutes mes actions et réflexions ne peuvent se mesurer qu’à l’aune de cette implication citoyenne. On est à des années lumières des affinités que vous me prêtez. Je re-marque toutefois que les «brillants staliniens» (et maoistes?) dont vous faites état furent, au sein du Secours Rouge et dans la foulée de J-P. Sartre et consort, les premiers qui alertèrent et mobilisèrent l’opinion internationale au moment du procès de Burgos.
Je terminerai en évoquant l’inauguration de Chillida Leku à Hernani. La notoriété de l’artiste n’est plus alors à démontrer mais à consacrer; pour preuve l’aéropage des invités. Largement commentée (se reporter à la presse espagnole de l’époque), on re-marque la présence du roi et de la reine ainsi que celle de J-M. Aznar, grands amis des Basques et des abertzale.
Encore deux mots, cher ami, pour conclure. «La vérité poétique nécessite de troubler l’ordre des choses» (Max Ernst). Véhiculée par les artistes, si grands soient-ils, elle brouille aussi les cartes…
Mikel Dalbret
(1) biografiasyvidas.com (2) Txillida Wikipedia, eus (3) Nestor Basterretxea Wikip,eus (4) Chillidaleku.com, fr (5) Chillida Wikipedia,esp (6) gestorasproamnistia. com,esp. Voir également Chillida Wikipedia, english, correspondance avec Heidegger.