L’Edito du mensuel Enbata
En 2008, l’Europe adopte une loi-cadre qui empêche le cumul des peines de prison d’un État à l’autre. Le total de la durée d’incarcération sera limité à trente ans, quarante dans certains cas. Dans ce calcul, le temps de séjour dans une prison française sera donc pris en compte pour calculer le reliquat à effectuer dans une prison espagnole. Depuis seize ans, l’Espagne refusait d’appliquer cette norme européenne. Avec l’abstention du PSOE, le gouvernement PP de Mariano Rajoy fit voter en 2014 des conditions restrictives qui vidèrent le texte de son contenu pour les preso basques condamnés en France, puis livrés à l’Espagne. Une manière camouflée de les condamner, de fait, à la réclusion à perpétuité et de repousser aux calendes grecques toute possibilité d’accéder à la liberté conditionnelle au bout de la moitié de leur peine. Le 14 octobre, le gouvernement socialiste espagnol vient de faire sauter ce verrou. Non sans mal, après bien des péripéties(1) et sous la contrainte politique.
Ce dossier a fait l’objet de multiples recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme et le réseau Sare qui défend les droits de nos 148 prisonniers politiques en a fait son combat prioritaire. En 2018, le PNV tenta en vain de faire évoluer dans le bon sens la loi espagnole. Seule la fragilité du gouvernement socialiste actuel — sa pérennité ne tient qu’à un fil grâce au vote des abertzale catalans et basques— a permis avec 16 ans de retard, d’obtenir outre-Pyrénées le respect du droit européen. Pour cela, les voix des six députés d’EH Bildu ont été déterminantes, au grand scandale d’une droite hystérique sur l’air de “ETA est plus fort que jamais, il parvient à ses fins“.
Selon Sare, 52 preso bénéficient tardivement de cette nouvelle norme, sept d’entre eux devraient être libérés avant la fin de l’année. Comme en 2013, lorsque sous la pression de la justice européenne et grâce au combat acharné de l’avocat Didier Rouget, l’État espagnol fut obligé de tirer un trait sur la mal nommée “doctrine Parot” qui prolongeait ad vitam æternan la durée des incarcérations. 63 preso basques obtinrent alors leur libération. Treize ans après la fin de la lutte armée, les associations de victimes du “terrorisme” font tout pour que les prisonniers politiques basques terminent leur vie en prison. Elles ignorent le mot de l’ancien garde des sceaux français Robert Badinter : “On ne remplace pas un supplice par un autre“.
La décision du 14 octobre ne doit rien à une quelconque mansuétude, à la volonté de Madrid de tourner la page, à son souci de respecter l’État de droit ou d’oeuvrer en faveur de la réinsertion et du vivre ensemble. Seuls ici les intérêts politiques conjoncturels du pouvoir dominant ont joué pour faire appliquer le droit commun. L’adage seriné hier par les espagnolistes : “en l’absence de violence, on pourra discuter de tout” et donc des évolutions politiques seront possibles… a disparu aux oubliettes de l’Histoire.
Dans cette logique, l’État espagnol veut montrer le maintien de sa mainmise en Pays Basque. Le 12 octobre, jour de fête de la Guardia Civil et de l’hispanité, ce corps de police a défilé en grand uniforme dans la Communauté autonome basque, pour la première fois depuis la fin du franquisme. Victoire symbolique et politique pour les hommes au tricorne noir qui demeurent le symbole de l’occupation coloniale de ce pays, par leur usage généralisé de la torture et les exécutions extra-judiciaires des opposants.
“La férule espagnole qui s’impose en Pays Basque
demeure une constante,
comme un tic inhérent à l’hispanité.
Cet État « sûr de lui et dominateur »
se rend insupportable et maintient vivant un conflit séculaire.”
En Espagne, un fil conducteur relie différentes décisions : en 1991, ce fut l’adoption de la loi du PSOE dite “coup de godillot dans la porte“, chargée de durcir la répression en Hegoalde. En 1997, le décret Aznar imposa l’hymne espagnol dans les cérémonies officielles en Pays Basque. En 2012, la loi Wert eut pour but, selon le ministre PP de l’Éducation en personne, “d’espagnoliser” les enfants catalans et basques. La “loi bâillon” de 2015 fut liberticide pour les mouvements sociaux et les journalistes. Sans parler des décisions judiciaires récemment évoquées dans ce journal, qui visent à limiter la pratique de l’euskara dans l’espace public. La férule espagnole qui s’impose en Pays Basque demeure ainsi une constante, comme un tic inhérent à l’hispanité. Cet État “sûr de lui et dominateur” se rend insupportable et maintient vivant un conflit séculaire. II légitime ainsi les revendications souverainistes basques et catalanes, alors que selon certains, l’indépendance ne servirait à rien. Un point de vue démenti par les faits.
(1) Faute d’avoir lu correctement le texte soumis à leur approbation, les députés de droite PP et Vox ont voté pour par “erreur“, au grand dam des associations de victimes du “terrorisme”.