“Si on ne se fixe pas un horizon, on n’a aucune chance de l’atteindre”

Eric Piolle a animé une formation sur le Plan Climat du bassin grenoblois lors du camp climat de Bizi ! le 24 juillet dernier.
Eric Piolle a animé une formation sur le Plan Climat du bassin grenoblois lors du camp climat de Bizi ! le 24 juillet dernier.

Maire depuis 2014 de Grenoble, ville de près de 160.000 habitants, Eric Piolle a animé une formation sur le Plan Climat du bassin grenoblois lors du camp climat de Bizi ! le 24 juillet dernier. Candidat à la primaire des Verts, il répond aux questions de Gogoeta sur les politiques municipales et intercommunales les plus ambitieuses possibles en faveur du climat, de la métamorphose écologique et sociale.

Le plan climat-air-énergie territorial (PCAET) est un outil de planification, à la fois stratégique et opérationnel, qui permet aux collectivités d’aborder l’ensemble de la problématique air-énergie-climat sur leur territoire. Quelle en est sa force ?

Grenoble a été la première métropole à se doter d’un Plan climat en 2005 : ça fixe une boussole, ces textes sont crantés petit à petit, deviennent des éléments structurants et changent la direction d’un territoire car toutes les décisions politiques s’emboîtent… C’est de plus en plus délicat, incohérent et compliqué de s’extraire de ces textes et de prendre des décisions au quotidien en contradiction avec la boussole. C’est important de mobiliser la société civile autour de ces textes pour qu’au moment des discussions, les décisions ne soient pas prises dans les petites salles loin de tous. Enfin, le niveau d’opposabilité du Plan climat sur certains documents de planification (plan locaux d’urbanisme (PLU, PLUi) se renforce et le Plan de mobilités doit être compatible ou prendre en compte le Plan Climat. Il faut inscrire les mesures du Plan Climat sur les documents qui sont en cours d’élaboration (SCOT, PLUi, etc.) pour rendre ce Plan opposable…

Bizi a demandé à la Communauté d’Agglomération qu’elle inscrive clairement son Plan Climat dans la trajectoire de Neutralité carbone. La CAPB a répondu que ce n’était pas réaliste et que les territoires affichant cette ambition n’avaient pas de Plan d’action à la hauteur de ces ambitions.

Ce qui est réaliste, c’est de mettre en oeuvre ce qui a été décidé à l’échelle internationale et voté par la France (la neutralité carbone en 2050 n’est pas négociable, c’est l’objectif que le pays s’est donné pour garder la hausse des températures au-dessous de +1,5°C). On peut voir comment aller plus vite, mais au minimum, la neutralité carbone en 2050 c’est l’ambition à avoir. Les contradictions avec le cap choisi et la pratique au quotidien vont être de plus en plus flagrantes. Il faut à la fois répéter que ces objectifs pour 2030 et 2050 ont été votés et voir comment les mettre en oeuvre.

Ce qui est irréaliste aujourd’hui, c’est de continuer comme avant. On suit l’exemple de l’étudiant qui répartit en octobre sa charge horaire de travail sur le planning annuel, puis en janvier, n’ayant pas encore commencé à travailler, répartit la même charge horaire sur une période plus courte, puis reproduit la même opération en mars, etc. Plus on se rapproche de la date de l’examen plus cette stratégie semble vouée à l’échec.

D’autre part, dire qu’un plan est trop ambitieux et risque de laisser des gens de côté, c’est une façon de cacher la réalité : ne rien faire laisse déjà des gens de côté et ça sera pire. Actuellement selon le rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre, près de 15 millions de personnes sont touchées, à un titre ou à un autre, par la crise du logement. Ce sont ces mêmes personnes qui vont avoir le plus de problème liés à l’inaction : le renchérissement de l’énergie, la gestion de la chaleur en été ou en hiver… Ne rien faire aujourd’hui c’est accentuer et créer des inégalités sociales inacceptables.

En quoi le fait d’avoir fixé un objectif de neutralité carbone vous aide-t-il ?

C’est Oscar Wilde qui dit que “La sagesse, c’est d’avoir des rêves assez grands pour ne pas les perdre de vue lorsqu’on les poursuit.” Si on ne se fixe pas un horizon, on n’a aucune chance de l’atteindre.

On n’a pas toutes les solutions pour la neutralité carbone 2050 car cela demande des changements tellement radicaux, qu’on ne peut se les approprier intellectuellement. Il faut se fixer cet objectif, et la pente des mesures concrètes pour 2030. Notre objectif de diminuer de 65% nos émissions de Gaz à Effet de Serre pour 2030 nous donne déjà un horizon qui nous met dans le dur : cela concerne les véhicules thermiques et diesel, les plans concrets sur les modes de chauffage, d’isolation des logements. Tout l’enjeu des ambitions concernant les étapes intermédiaires, c’est que si on ne reste que sur l’objectif de neutralité en 2050, on décale en permanence les efforts intermédiaires. Le plan à long terme doit être renforcé par des échéances à court terme qui forcent à agir dès maintenant.

Un Plan Climat décline et met en oeuvre sur son territoire les objectifs internationaux, européens et nationaux en matière de qualité de l’air, d’énergie et de climat ; l’Union européenne a rehaussé ses objectifs de baisse d’émission de gaz à effet de serre à -55% pour 2030. Quelle incidence cette nouvelle visée a-t-elle pour les objectifs locaux ?

Notre objectif était de baisser de 50% les émissions de gaz à effet de serre en 2030 sur la base de 2005 (au lieu de 1990, car on n’avait pas les données correspondantes pour les émissions du bassin grenoblois à cette date). Suite à la décision de la Commission européenne de passer de – 40% en 2030 à -55%, à l’automne dernier, notre ambition a été élevée de -50% à -65%. Pour cela nous avons revu le plan d’action afin de remonter la barre pour atteindre l’objectif de – 65%. La concertation et les Marches climats ont été un appui extérieur majeur car quand la voix extérieure dit “respectez la loi”… Cela rend plus difficile aux élus de s’asseoir dessus pour X ou Y raisons. Il faut assumer l’objectif à long terme de la neutralité carbone, en précisant et mettant la pression sur les objectifs à court terme sur lesquels on peut agir d’ores et déjà. C’est la mise en oeuvre concrète et à court terme qui nous donnera confiance dans notre capacité à réaliser les objectifs à moyen et long terme.

Le Plan Climat de la Métropole grenobloise prend en compte les émissions associées aux importations et prévoit des actions pour les réduire alors que ce n’est pas une obligation réglementaire. Pourquoi ce choix ?

Dans les analyses de la loi climat ou le rapport du Haut Conseil pour le Climat il y a des synthèses très intéressantes à lire… On y apprend qu’une grande partie de nos émissions sont importées. Notre rapport au reste du monde est très important ! Au niveau du Bassin grenoblois, la première étape pour travailler le cas des émissions associées aux importations consistait à faire appel à la science pour faire un état des lieux, avoir une photo de départ pour définir des plans d’actions possibles. Une fois qu’on a vu que 49% de nos gaz à effet de serre sont importés, c’est difficile de ne rien faire dessus. On a identifié deux sous-ensembles : 27 % sont des biens et services et 22% l’alimentation. Ce sont des points d’appuis pour réfléchir sur l’origine de l’alimentation et mettre en place la relocalisation, et dans le cas des biens, prioriser la triple action (en partant des 500 kg de déchets par an et par habitant que nous produisons) : réduire, réutiliser et recycler.

Les conséquences du Changement Climatique étant déjà là, vous mettez en place des mesures d’adaptation à l’échelle de la commune…

Les scientifiques nous disent qu’on aura, sur Grenoble, 43 jours de canicule en 2050 au lieu de trois jours actuellement (pour les scénarios optimistes). On a vécu en juin 2019 une canicule en période scolaire et ça a été une immense complexité. On a investi dans nu plan de lutte contre la canicule (cartographie d’ilots de fraîcheur, ouverture des musées, des salles de concert, etc. climatisées…). On développe des logiques d’adaptation qui passent par l’accès à l’eau, la débitumisation et la végétalisation des cours d’école et la piétonisation des routes menant aux écoles, l’effet albedo (avec des revêtements clairs pour renvoyer la chaleur), la plantation d’arbres (1.000 au km2, on en est à 400 par km2…).

Quels sont les moyens pris au niveau du bassin grenoblois pour diminuer l’empreinte carbone et maintenir, voire augmenter, le potentiel de séquestration carbone ?

Plusieurs voies sont explorées pour valoriser nos ressources afin de réduire notre empreinte carbone et stocker le CO2 : définir une stratégie territoriale de séquestration du carbone, préserver les terres agricoles, relocaliser notre alimentation, structurer la filière bois pour la transition énergétique et le stockage du carbone, renforcer le rôle de l’économie sociale et solidaire dans la transition écologique et énergétique, améliorer le tri de nos déchets, renouveler nos outils de valorisation des déchets et proposer une offre touristique et de loisirs plus écologique.

Quels sont les atouts d’un territoire comme le Pays Basque nord pour aller plus loin dans la lutte contre le changement climatique ?

La force du territoire, c’est son identité et sa culture. Si elle se saisit des enjeux climatiques, c’est le cas dans le monde agricole avec la Chambre d’Agriculture alternative, elle permet de créer un bassin favorable à la mise en place de mesures ambitieuses. Après, comme tout territoire à forte attractivité, il est soumis à la prédation. On parle de l’insécurité liée au déplacement des populations à l’échelle internationale… mais en fait l’insécurité liée à ces déplacements se trouve plutôt à l’échelle locale : les populations côtières ne peuvent plus habiter là où elles ont grandi et habité. La dimension “qui a le droit d’habiter et où” se pose. La question foncière et celle de la limitation du droit de propriété par une logique d’intérêt général et de bien commun, va se poser de plus en plus.

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