L’Edito du mensuel Enbata
Mes amis Samia et Fayed s’en vont. Ils avaient un confortable appartement parisien, des boulots qui les passionnent, leur fils adore son école primaire et son copain Joaquim. Samia et Fayed ont grandi au Maroc, et ils ont choisi de venir en France pour leurs études, par conviction. Ça n’a pas été toujours facile, il y a eu des galères d’argent, des galères de papiers, mais pour eux ça en valait la peine, ils sont devenus français, leurs enfants sont français. De nous deux, c’est Sam la patriote : quand elle parle de ce que la France a représenté à ses yeux, des opportunités qu’elle y a trouvées, elle qui a pu y militer, apprendre avec la CGT à organiser un cortège militant, faire des plateaux télé pour défendre ses droits, ce qui n’aurait pas été pensable au Maroc, elle a des trémolos dans la voix. Et pourtant, Samia et Fayed s’en vont. En juillet, ils diront au revoir à Joaquim, refermeront la porte de leur appartement, et s’exileront une fois de plus à la recherche d’un pays où ils peuvent vivre décemment. Ce n’est pas une question d’argent, Sam et Fayed gagnent bien leur vie. C’est une question d’ambiance. Quand ils allument la radio, quand ils sortent de chez eux, quand ils lisent les médias, on leur fait sentir qu’ils ne sont pas chez eux. Dans ce contexte de racisme étouffant, exacerbé depuis l’attaque du 7 octobre du Hamas contre Israël, ils ne sentent pas que leurs enfants peuvent grandir en sécurité. Sam le dit, autour d’eux, c’est sauve qui peut. Ils sont nombreux à prendre les devants et partir. « Des milliers, peut-être des dizaines de milliers », selon le sociologue du CNRS, Julien Talpin.
En 1933, le philologue juif Victor Klemperer, destitué de sa chaire à l’université de Dresde, va tenir un journal où il analysera le basculement insidieux du langage, qui contribua à ce qu’une partie de la société allemande accepte l’inacceptable. « Le nazisme s’insinua dans la chair et le sang du plus grand nombre à travers des expressions isolées, des tournures, des formes syntaxiques qui s’imposaient à des millions d’exemplaires et qui furent adoptées de façon mécanique et inconsciente ». Aujourd’hui aussi, le langage glisse, et une petite musique s’installe, plus forte que les résistances. Le collectif Sleeping Giants(1) a analysé que les bordereaux de la chaîne CNews ont parlé d’islam et d’immigration 335 jours sur 365 en 2023. La bollorisation des médias, organes de presse ou d’édition est un tentaculaire outil de diffusion idéologique : le milliardaire réactionnaire détient à présent les chaînes du groupe Canal +, les radios RFM et Europe 1, mais aussi Télé-loisirs, Géo, Gala, Voici, Femme Actuelle, Capital, Paris Match, le Journal du Dimanche, et très récemment la maison d’édition Hachette, où il impose ses vues, ses auteurs, ses chroniqueurs.
Conséquence : le candidat du Rassemblement national Jordan Bardella est en tête des sondages pour les élections européennes avec 32 % d’intentions de vote(2). Personne ne le talonne : la liste de la majorité présidentielle ne fait que la moitié de ces intentions de vote. Le Rassemblement national est sur le marchepied vers les présidentielles et, même si Zemmour n’a toujours aucun élu, l’éclatement de l’offre partidaire d’extrême-droite leur permet d’occuper bien plus d’espace politique.
Il n’y a pas de recette magique instantanée. Mais ce qu’on construit ici, petit à petit, au Pays Basque, est un laboratoire de résistance. Au repli sur soi et à l’individualisme, qui font le lit de la haine aveugle, on répond par la démonstration de l’action collective, que ce soit pour protéger les logements à l’année, pour relocaliser l’économie, pour développer d’autres façons de vivre et de consommer pas cher, basées sur la débrouille et le système D.
« Ce qu’on construit ici, petit à petit, au Pays Basque, est un laboratoire de résistance. Au repli sur soi et à l’individualisme, qui font le lit de la haine aveugle, on répond par la démonstration de l’action collective. »
Aux problèmes du quotidien, qui attisent le sentiment d’injustice et font chercher des boucs émissaires, on répond par la solidarité, en créant des collectifs d’habitants au sein des quartiers et milieux populaires qui permettent de défendre, ensemble, les droits. Une communauté de destin se forge, partagée par toutes celles et ceux qui veulent la construire, qu’importe leur origine. Mes amis Samia et Fayed s’en vont, et au fond du grand vide que leur absence va créer, on verra ces immenses chantiers. Sauve qui peut : la solidarité, le respect, notre humanité.
(1) Cité par Médiapart dans son enquête sur Cnews.
(2) Sondage Ipsos du 13 avril.
Merci Malika pour cet article. L’histoire de tes amis m’a fait penser au destin des Huguenots chassés de France par l’imbécile Révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV, qui a fait le malheur des Samia et Fayed de l’époque et contribué à ruiner l’économie française privée de de dizaines de milliers d’artisans, de marchands, médecins … Beaucoup ont pu refaire leur vie en Angleterre, aux Pays Bas, en Allemagne, mais existe-t-il aujourd’hui des pays “sûrs”?
Egun on et merci pour cet article, très intéressant, et qui fait écho à des choix identiques faits récemment par des connaissances et amis algériens ou marocains. j’aurais peut-être une nuance à apporter sur la phrase : “Conséquence : le candidat du Rassemblement national Jordan Bardella est en tête des sondages pour les élections européennes avec 32 % d’intentions de vote(2). Personne ne le talonne : la liste de la majorité présidentielle ne fait que la moitié de ces intentions de vote.”. Cela donnerait à penser, peut-être involontairement, que la liste de la majorité est un “rempart” à la montée du RN alors qu’aujourd’hui un Darmanin sur la loi immigration ou un Castaner sur les gilets jaunes, tout ça validé par l’Elysée, n’a rien à envier à des politiques plus à droite. Voir à ce sujet le livre fondamental de l’historien Yohan Chapouteau “libre d’obéir” ou sa vidéo fondamentale sur Elucid : ” du fascisme au macronisme : la dévastation du monde par « les derniers des Hommes”. https://youtu.be/PAFhiU__lLk. C’est assez terrible à écouter mais très éclairant et du coup très utile pour lutter contre tout cela… Merci encore de cet article
Oui , il est vrai que le Pays Basque est un laboratoire . Mais la résistance face a la vague nationaliste , réactionnaire , qui touche toute l Europe , non , je n’y croit pas , on a juste un peu de retard .
Certains Abertzale auront un choc le soir du 9 juin .
D après certains calcul , le RN va arriver en téte dans 30 communes du Pays Basque ( 15 en Labourd ) .
La liste de Jean Lassalle dans 60 communes . Une liste qui s inscrit totalement dans une nouvelle vague en Europe de contre-insurrection face a une écologie radicalisé . Le BBB ( Boer Burger Beweging ) est un exemple pour beaucoup . Les asyndiqués dont PATRICK DAGORRET parle dans un article d Enbata iront voté pour lui en Pays Basque . Il sera aussi intéressant de regarder les résultats en Lot et Garonne , fief de la révolte agricole et de la Coordination Rurale .
Le vote a gauche sera totalement dispersé , aucun vainqueurs . EELV , qui en général récolte les voix des Abertzale va grandement souffrir de la dispersion des voix . Par contre le liste de EAJ de Jean Tellechea , qui associé avec des inconnues , et avec un affichage correct pourrait obtenir 5 000 voix et plus par solidarité entre Abertzale . Un bon score pour EAJ .
Hemen Nemo , Eurovision-eko irabazlea . Euskalkiak bezala ,Suitza-ko Alemanak badute bere nortasuna eta bitxikeriak .
Entzun .
Youtube :
Nemo (CH) – Ke Bock
Nemo (CH) – Du
Marie-Thérèse Porchet : La leçon de géographie Suisse (2007)