Nous avons voulu en savoir plus sur ce phénomène. Denis Caniaux, urbaniste et directeur général de l’AUDAP (Agence d’urbanisme atlantique et Pyrénées) décrypte pour Enbata un mouvement structurel de populations qui a de lourdes conséquences sur l’aménagement, l’habitat, l’organisation, la culture de notre pays et l’avenir de sa langue. Y voir plus clair permettra d’ouvrir un débat public serein et sans tabou sur un sujet délicat, propice aux dérives. Et, espérons-le, de proposer des solutions efficaces dans de nombreux domaines. La première partie de cette interview porte sur les origines géographiques, l’âge et les catégories socio-professionnelles des personnes entrant et sortant du Pays Basque. Seront ensuite abordées le mois prochain les causes possibles de ces mouvements migratoires, leur évolution dans le temps et selon les contextes. Enfin dans une approche prospective, Denis Caniaux traitera de l’effet des politiques publiques sur ces phénomènes qui engagent l’avenir d’Iparralde.
Enbata: Vous êtes directeur général de l’Agence d’urbanisme Atlantique et Pyrénées (AUDAP), pouvez-nous présenter en quelques mots cet organisme?
Denis Caniaux : L’Agence d’urbanisme est une association loi 1901 uniquement composée d’institutionnels, aucune personne physique n’en est membre. Elle a été créée en 1998 sur le territoire du Pays Basque, à une époque où il était socialement et politiquement question de construire un dialogue territorial. L’État a donc initié, avec le Conseil départemental, la Région Aquitaine et à l’époque la Communauté Côte Basque-Adour, la création d’une agence d’urbanisme. Par la suite, elle a été étendue territorialement. Elle accueille aujourd’hui en son sein tous les EPCI (Établissements publics de coopération intercommunale) des Pyrénées- Atlantiques et du sud des Landes. Il s’agit d’une mutualisation volontaire, adhèrent à l’Agence les EPCI qui le veulent. Des communes peuvent aussi y adhérer, si elles sont membres d’un EPCI adhérent.
Nous travaillons sur des questions très diverses qui sont toutes liées aujourd’hui à l’accompagnement de la mise en oeuvre des transitions : dans le domaine de l’aménagement urbain du territoire, des mobilités, des questions d’habitat, d’environnement. Nous sommes une équipe de 35 à 40 personnes, experts de différents métiers de l’aménagement.
Enb.: Le nombre de 3000 nouveaux arrivants revient souvent dans le débat public, mais à quoi correspond exactement ce chiffre ? De quoi est-il le solde ?
D.C. : Il s’agit d’une approche de données de l’INSEE, qui sont toujours déclaratives de la part des habitants. Lors des recensements, ces informations sont prises en compte et parfois, pour certaines, croisées avec les données fiscales. Ici, nous travaillons donc bien sur les données de l’INSEE, issues des recensements de la population. Quand nous parlons de ce chiffre de 3000 que nous détaillerons plus loin, il correspond au différentiel entre les habitants entrant dans le territoire de la Communauté d’agglomération Pays Basque et ceux qui sortent chaque année de ce territoire, et qui vont habiter ailleurs. Pour cela, on ne tient compte dans les entrants et les sortants que des « nationaux ». En effet, on ne peut pas faire la balance entre les destinations des entrants et sortants pour les étrangers, à la différence des nationaux. Aussi, ce chiffre de 3000 correspond-il aux entrants nationaux en Pays Basque et aux sortants qui vont s’installer sur le territoire national.
Enb.: Est-il possible de dresser le profil de ces personnes, leur origine, âge, activité professionnelle, niveau de revenus, etc.?
D. C. : Effectivement c’est réalisable. Quelques éléments du recensement permettent de qualifier les personnes qui entrent et qui sortent du territoire. Il s’agit des dernières données fiables que nous avons. Elles sont issues du recensement publié en décembre, elles permettent une comparaison entre 2019 et 2020. Durant cette année-là qui est assez représentative, 30 % des personnes entrant sur le territoire de la CAPB habitaient dans les Pyrénées-Atlantiques. Si nous intégrons les départements limitrophes, les Landes et les Hautes-Pyrénées, nous passons à 40 %. A priori, pour cette année, 14 % des entrants viennent de région parisienne. Il est possible d’aller un peu plus dans le détail. Je n’aime pas trop ce chiffre, mais je le donne à titre indicatif : 21 % des entrants sont nés dans le département des Pyrénées-Atlantiques, un sur cinq. La notion de lieu naissance ne me satisfait pas, car elle peut induire des tentations identitaires que le lieu de naissance ne justifie nullement.
Le chiffre important est celui des personnes qui proviennent du département des Pyrénées-Atlantiques, hors CAPB : 30 %. Ce n’est pas un petit contingent : une personne entrante sur trois ! Si nous cumulons les arrivées des départements 40, 33, 64 et 65, nous en comptons 42 %. Si l’on ajoute le département 31, celui de Toulouse, nous arrivons à quasiment un arrivant sur deux. Ainsi, en additionnant les départements du grand Sud-Ouest, nous arrivons à 50 % des entrants sur la CAPB qui en sont originaires. Le reste provient d’un peu partout. Voilà pour l’origine géographique.
Sur le plan des âges, nous avons 18,6 % des arrivants qui ont plus de 60 ans.
Enb. : Dans la population de la CAPB, quel est le pourcentage des plus de 60 ans ?
D. C.: 32 % en 2020, mais nous verrons plus loin que nous devons considérer le profil du bilan migratoire, et non des seuls entrants. En moyenne, les nouveaux arrivants sont plus jeunes que pour l’ensemble de la population du Pays Basque. Voyons les chiffres des effectifs des 12.135 entrants recensés en 2020. La tranche des 35 et 59 ans est la plus forte avec 3032 personnes. Ensuite nous avons la tranche des 25-34 ans : 2719 individus. Quant aux 15-24 ans, ils sont 2694. Du point de vue du profil, nous avons donc plutôt des populations qui sont majoritairement actives. La proportion la plus faible correspond aux jeunes de moins de 15 ans, qui sont seulement 1430. Les plus de 60 ans dépassent légèrement 1900 personnes. Donc en fait, la population active entre 15 et 60 ans constitue le gros des entrants. En matière de catégories socioprofessionnelles, le nombre des retraités est assez faible, 1950 personnes. Nous avons aussi 3300 personnes sans activité professionnelle qui correspondent essentiellement aux jeunes de moins de 15 ans, et entre 15 et 24 ans. Mais cela ne veut pas dire qu’ils sont tous sans emploi. Majoritairement, ce sont les professions intermédiaires qui sont les plus nombreuses, 2090 au total. Le nombre des employés s’élève à 1775. On compte 1086 ouvriers et nous avons 1476 cadres et professions intellectuelles supérieures. Plus environ 400 artisans et très peu d’exploitants agricoles. Mais il y en a quelques-uns qui arrivent de l’extérieur, ils se comptent sur les doigts d’une main.
Il est fort probable que ces arrivées répondent à des appels de besoin de main d’oeuvre sur le territoire. Les personnes viennent, soit parce qu’un emploi leur est proposé, soit il s’agit de gens qui vont rechercher une place ici (qui ensuite peuvent repartir : nous en connaissons qui sont arrivés, ont trouvé un travail, mais n’ont pas trouvé à se loger et qui sont repartis).
Enb.: Dans quelles zones du Pays Basque Nord s’installent ces nouveaux arrivants ?
D.C.: Les communes qui accueillent le plus de populations « entrantes » sont sur le littoral et beaucoup dans la zone du rétro-littoral. Très peu de communes de l’intérieur du Pays Basque présentent un solde migratoire positif. Le phénomène est très concentré au nord du littoral, Bayonne et surtout Anglet. Ensuite, nous avons des arrivées dans la couronne rétro-littorale, c’està- dire des communes comme Ustaritz, Hasparren, Cambo, Briscous. Très très peu sur les cantons de l’intérieur.
Enb. : Connaît-on le profil des personnes qui partent du Pays Basque ? Leur âge, leur catégorie socio-professionnelle, leurs revenus, leur origine. S’agit-il d’individus qui ont toujours été ici et qui partent ou sont-ils de nouveaux arrivants qui repartent ?
D. C.: Nous n’avons pas l’historique de la trajectoire résidentielle des entrants ou des sortants : nous ne connaissons que leur dernière résidence. Le nombre de sortants du territoire de la CAPB entre 2019-2020 a représenté un effectif de 8 917 personnes. 40 % d’entre eux sont partis s’installer dans les Pyrénées-Atlantiques, hors de la CAPB, ou dans un département limitrophe —Landes ou Hautes-Pyrénées— soit 3558 personnes, dont 2380 dans les Landes. Ce chiffre est intéressant, il veut dire qu’il ne s’agit pas d’une migration résidentielle éloignée. Les sortants ne vont pas à Lyon, Strasbourg ou en Bretagne. On peut considérer que se produit un effet de report résidentiel en périphérie. Nous avons aussi 1309 personnes sur les 8917 qui vont s’installer dans le département de la Gironde. 457 s’installent dans le département de la Haute-Garonne. Enfin très peu, vont dans la région parisienne, 296 soit 3 %. En ce qui concerne l’âge des sortants, un chiffre n’est pas une surprise : 33 %, soit un tiers, ont entre 15 et 24 ans ; alors que seulement 22 % parmi ceux qui arrivent, se situent dans cette tranche d’âge. Rien de surprenant à cela, cette tranche d’âge correspond à la période des études. L’autre tranche d’âge très importante dans les sortants est celle des 35-59 ans, nous en avons 2033 ; les 25-34 ans sont au nombre de 1850. Donc dans les sortants, un tiers sont des jeunes de 15 à 24 ans, il s’agit de la plus forte cohorte des sortants. La deuxième cohorte la plus importante est celle des 35-59 ans. Puis vient celle des 25-34 ans. Point important, nous avons assez peu de sortants au-dessus de 60 ans (816, soit 10 %). Enfin nous avons les enfants des sortants, 11 % de moins de 15 ans. Et quand nous faisons le solde des deux pyramides entrants et sortants, une seule tranche d’âge est déficitaire, c’est la tranche d’âge des 15-24 ans. Ce phénomène existe dans tous les territoires périphériques des métropoles. Entre les entrants et les sortants, nous perdons 243 jeunes de 15 à 24 ans. Nous en avons 2694 qui entrent, et environ 2900 qui partent, on en perd 243. Toutes les autres tranches d’âges sont largement favorables.
Maintenant, faisons le profil du solde « entrants/sortants », le bilan migratoire, toujours entre 2019 et 2020. Les plus nombreux sont les 60-79 ans. Entre les partants et les entrants, nous récupérons sur cette tranche d’âge 1082 personnes. Ensuite viennent les 35-59 ans, nous engrangeons 1000 personnes. La troisième cohorte, et ce n’est pas neutre, est celle des 25-34 ans, nous en gagnons 870. Le « tiercé » tient dans un mouchoir de poche : entre 870 et 1082, nous avons 200 personnes de différence. Ensuite, nous avons les moins de 15 ans où nous gagnons 447 personnes, et enfin 63 personnes de 80 ans et plus. Donc si nous analysons ces données, 35 % du bilan migratoire du territoire de la CAPB est composé de personnes de 60 ans et plus, alors que cette tranche d’âge représentait, je le rappelle en 2020, 32 %. Les 25 et 59 ans représentent quand même 58 % du bilan migratoire.
Enb.: Et est-ce que nous disposons de données en termes de revenus concernant ce solde ? Est-ce le même ?
D. C. : Nous ne disposons pas de données sur les revenus dans ce fichier, seulement sur les catégories socioprofessionnelles. Sur le bilan migratoire, sans surprise compte tenu de la part des plus de 60 ans, les retraités représentent 31 %. Les cadres et professions intellectuelles 20 %. Les professions intermédiaires 25 %, et les ouvriers et employés 11 %.
Nous publierons la suite de l’interview de Denis Caniaux dans le prochain numéro d’Enbata. Au programme : l’évolution du solde migratoire à travers les décennies, influence des différents contextes tels que la fin de la lutte armée ou l’arrivée de la LGV à Bordeaux, impact des différentes politiques logement, période Covid ; les projections pour les dix prochaines années ; les conséquences prévisibles sur les politiques publiques : aménagement du territoire, logement, mobilités, artificialisation des sols, environnement, eau, agriculture, langue et culture, évolutions électorales.