Le sujet du logement divise fondamentalement la droite et la gauche. Redéfinir une politique publique en la matière, en préférant l’esprit collectif d’un Batera du logement, comporte le risque d’une entente bien en deçà des enjeux et d’une perte de temps au profit d’un bras de fer idéologique.
Depuis ces derniers mois, avant même le succès sans précédent de la manifestation du 20 novembre dernier à Bayonne, l’idée d’un Batera du logement flotte dans l’air. Une idée qui suscite en moi un certain nombre de questionnements, que je souhaiterais livrer ici.
Vraiment tout le monde d’accord ?
En soi, l’idée a évidemment de quoi séduire. En effet, superficiellement quoi de plus logique que de penser résoudre un problème en réunissant tous ses acteurs, dans la recherche de solutions communes ? D’ailleurs, rien de bien nouveau en la matière, puisque c’est exactement ce qu’Abertzaleen Batasuna avait proposé en 2002 lors d’Assises du logement à Biarritz, adossées à un diagnostic et un corpus de 34 propositions introduisant le débat ; puis à nouveau en 2006 en tentant de lancer un Réseau logement encore plus large et participatif, mais qui fit long feu. Aujourd’hui, on parle donc d’un Batera, dénomination qui ne me semble d’ailleurs pas très pertinente. En effet, la logique de Batera, liée à un moment et des dynamiques bien spécifiques, se fondait sur la recherche d’une reconnaissance institutionnelle du Pays Basque nord dans quatre domaines, selon un panel de possibilités relativement peu nombreuses et bien identifiées, entraînant des positionnements clairs. Surtout, ces domaines dépassaient les clivages et cultures politiques, tout un chacun pouvant se retrouver dans un camp ou un autre sans contradiction avec son inclination partisane.
Avec le logement, la question se pose d’une tout autre manière : il ne s’agit pas de dire oui ou non à une structure administrative mais de redéfinir une politique publique d’importance majeure, enjeu à entrées multiples – économique, sociale, environnementale, etc. –, et dont les déclinaisons sont aussi variées que les territoires et les publics concernés. Sur ce genre de questions, selon que l’on est plus ou moins de gauche ou plus ou moins de droite, les perceptions peuvent être diamétralement opposées : laisser le marché libre ou l’encadrer ? développer la construction ou la limiter? lourdement imposer les logements sous-occupés ou ne les surtaxer que modérément ? Plus fondamentalement, gérer ou transformer?
De fait, il suffit d’observer les choix effectués par les élus du Pays Basque nord depuis l’instauration de la loi SRU, voire seulement durant ces dernières années, pour alimenter quelques doutes sur leur volonté de rejoindre une dynamique collective fondée sur les principes formulés durant la manifestation du 20 novembre. Le signal populaire aurait-il donc été assez puissant pour que ces élus décident de faire demain l’inverse de ce qu’ils font encore aujourd’hui ? Personnellement, j’aimerais le croire. Mais lorsque j’observe les retards qui s’accumulent en cette fin d’année autour de la réforme du régime de changement d’usage sur les meublés de tourisme de type AirBNB, mesure urgente mais contre laquelle les maires les plus concernés par ce fléau (Biarritz, Saint-Jean-de-Luz, Anglet…) ne cessent de freiner des quatre fers en multipliant les demandes de dérogations et de sursis à statuer, je ne suis pas sûr que tout le monde soit sur la même longueur d’onde.
Risque du consensus mou
Tactiquement, je pourrais parfaitement comprendre le pari d’inviter tout le monde à oeuvrer ensemble pour voir ensuite qui vient et qui ne vient pas, qui fait ou ne fait pas. Mais ce dont j’ai peur, c’est du risque de se perdre dans une vision trop angélique, j’allais dire trop “macronienne” : plus de gauche, plus de droite, tout cela serait donc dépassé ! Ni sur le logement, ni sur tant d’autres sujets je ne crois au dépassement de ce clivage fondamental. Quand j’observe nombre de maires locaux, je ne pense pas que nous voyons la question du logement de la même manière, encore moins quand on les sait sensibles aux pressions de leur base électorale, des propriétaires, promoteurs et autres acteurs du BTP…
Certes, ne soyons pas butés : on trouvera toujours des points de convergence. Mais de là à fonder ensemble les nouvelles bases d’une politique publique… À trop rechercher les points d’accord le risque est grand qu’on ne les trouve qu’à un niveau extrêmement faible, celui des consensus mous, voire celui des seules déclarations d’intention. Comme dans le débat sur le PLH ; comme dans le domaine des politiques linguistiques locales, pourtant l’un des points communs du Batera original ; comme dans ce chapelet de COP sur le climat, sommets tous “oecuméniques” mais aussi tous plus infructueux les uns que les autres.
Avancer ensemble, jusqu’où ?
Disant tout cela, je ne veux pas freiner les ardeurs de ceux et celles qui croient en ce modèle. S’il fonctionne, si l’on parvient vraiment à conduire des élus partisans d’une économie libérale à encadrer le marché, je serai le premier à m’en féliciter ; pour la résolution de la question ici bien sûr, et d’autant plus que l’adhésion de toutes ces couleurs politiques devrait logiquement permettre la levée d’obstacles majeurs : législatifs et même constitutionnel. De manière générale, je préfère moi aussi les pas effectués ensemble à ceux effectués tout seul.
Il reste que jusqu’ici, au Pays Basque comme ailleurs, les grandes avancées sociétales se sont toujours produites grâce à certains et malgré d’autres, au prix de longues batailles idéologiques. Un temps dont on manque, de toute évidence, et qui réclame d’urgence des mesures fortes. Si l’on pense aujourd’hui pouvoir les obtenir d’une autre manière, tant mieux. Personnellement, après plus de 20 ans de bataille sur cette question, je mesure assez son extrême complexité pour ne pas me permettre d’asséner ex cathedra des leçons sur les stratégies à adopter. Il me paraît seulement essentiel d’attirer l’attention sur ce risque inhérent aux collectifs trop larges : celui des consensus trop mous. On pourrait potentiellement y perdre davantage de temps et d’efficacité qu’on souhaitait y gagner.