L’unité d’action est un ingrédient indispensable des avancées majeures. Or, sur la question institutionnelle, le débat tactique entre pragmatiques et radicaux peut être une source de désaccord et de division. La proposition du préfet d’une intercommunalité unique pour donner un semblant d’existence institutionnelle à Iparralde renforce le risque de clivage. D’un côté, ceux qui acquiesceront, car toute avancée est bonne à prendre, de l’autre, ceux qui considèrent la proposition comme un piège mortifère pour la revendication d’une collectivité territoriale spécifique.
Evidemment, en cette année centenaire du déclenchement de la Première Guerre Mondiale, un amateur d’histoire tel que moi ne peut qu’avoir tendance à en être quelque peu imprégné jusque dans ses textes. Mais ne vous plaignez pas, car si ce n’était pas par la Grande Guerre, ce serait par la coupe du monde de football et j’en connais que cela agacerait très vite.
L’union sacrée
Bref, fi de digressions vaseuses et entrons dans le vif du sujet. En 1914, les populations européennes avaient toutes une variété importante de cultures politiques, peut-être pas aussi pléthorique et diverse qu’un siècle d’idéologies plus tard, mais tout de même : entre cléricaux et anticléricaux, radicaux de tout poil, ligueurs plus ou moins droitiers, socialistes plus ou moins à gauche et j’en passe, il y avait de quoi débattre dans les chaumières, les rues et les bureaux de vote.
Et pourtant, en France, à l’heure où la patrie est décrétée en danger et qu’il faut aller récupérer les provinces perdues au-delà de la ligne bleue des Vosges, il n’est plus temps de finasser : l’ennemi commun allemand fédère tout le monde. Même l’Internationale ouvrière, pourtant théoriquement fondée sur la solidarité de classes au-dessus de celle de la nation, rejoint ces fameuses “unions sacrées” partout en Europe. Et le terme a toute une charge symbolique, avec son glissement sémantique faisant de l’adjectif “sacré”, éminemment religieux, un concept républicain et nationaliste. La fidélité à la patrie est devenue plus “sacrée” encore que la fidélité à Dieu : au Moyen âge, on se battait entre chrétiens de royaumes différents mais les croisades constituaient encore de véritables “unions sacrées” entre chrétiens ; désormais, on se bat toujours entre chrétiens de nations différentes mais le temps des croisades, lui, est bien fini.
Bon. Tout cela est très intéressant – oui ? merci– mais pourquoi en parler dans Enbata aujourd’hui ? C’est pour souligner le moment clé dans lequel se trouve actuellement la bataille pour une reconnaissance institutionnelle du Pays Basque Nord. Bien sûr, le parallèle entre 1914-1918 et la collectivité territoriale est pour le moins osé, mais c’est le seul artifice un peu original que j’ai trouvé, en ce lendemain de fêtes de Donibane durant lequel j’écris péniblement ces lignes, pour appeler à conserver l’unité des troupes. Car ne nous y trompons pas, le tour de force réussi lors des dernières mobilisations de Bayonne et Mauléon a suscité la crainte du préfet des Pyrénées-Atlantiques bien plus dans leur oecuménisme que dans leurs chiffres. Voir autant d’acteurs politiques, sociaux ou économiques divers, souvent opposés en tout mais là réunis autour de cette revendication, était à son petit niveau une sorte d’union sacrée qu’il fallait d’urgence tenter de briser.
Diviser pour mieux régner
Et comme le préfet est quelqu’un de cultivé et qu’il a bien lu à la fois Le Prince de Machiavel et La zizanie d’Astérix, il a parfaitement compris que même dans une union de nature plus ou moins sacrée, les êtres humains restent dotés d’une remarquable capacité à se diviser à nouveau pour peu que l’on parvienne à trouver une bonne source de désaccord. Et quelle plus belle source de désaccord qu’un joli débat tactique entre pragmatiques et radicaux ? Et voici qu’il lui suffit de mettre sur pied une petite opération de communication savamment orchestrée, ménageant l’effet de dramatisation du “ouahh kasu, le préfet va faire des propositions”, celui de ne prendre en réalité aucun risque en se bornant à rappeler ce que permet la loi en matière de collectivités territoriales mais tout en laissant croire qu’il existe une opportunité historique, et rappelant au passage que de toute façon ce ne sera jamais rien d’autre que cela… Le résultat escompté est bel et bien que les pragmatiques pousseront à ne pas lâcher la proie (même virtuelle) pour l’ombre, tandis que les radicaux maintiendront la revendication initiale. Un grand classique mais ça marche si souvent !
Ce que l’on peut craindre est double :
se déchirer avant même d’obtenir quoi que ce soit ;
et dans l’éventualité où la formule EPCI serait choisie,
qu’elle représente le terminus
au-delà duquel certains se disent que
tout ce qui pouvait être gagné l’aura été.
Attention, danger
Le débat est donc là, de devoir trancher entre l’acceptation d’un projet d’EPCI unique, piégeux par bien des aspects mais qui est toujours mieux que ce que l’on a à l’heure actuelle (c’est-à-dire à peu près rien), et le refus de quoi que ce soit qui ne soit pas une collectivité territoriale, seule formule garantissant à la fois reconnaissance territoriale, représentation et fiscalité directes et compétences larges, mais dont on nous dit que ce n’est même pas la peine d’y penser. Ce que l’on peut craindre est double : se déchirer avant même d’obtenir quoi que ce soit ; et dans l’éventualité où la formule EPCI serait choisie, qu’elle représente le terminus au-delà duquel certains se disent que tout ce qui pouvait être gagné l’aura été. A ce stade, on peut déjà dire “chapeau l’artiste” à notre préfet. Il faut avouer que c’est bien joué. Bien présomptueux est celui ou celle qui peut dire avec certitude quelle est la bonne ligne à suivre ; ce n’est en tout cas pas moi. Mais s’il est quelque chose de fondamental à conserver en tête, à mon sens, c’est que les avancées majeures ne s’obtiennent que lorsque l’on ne rompt pas l’unité d’action. Quel que soit le chemin choisi pour y parvenir, gardons en tête que la dynamique actuelle a pour seul objectif une collectivité territoriale ; c’est celle-là et aucune autre autour de laquelle tout le monde s’est mobilisé, en faveur de laquelle les élus se sont souvent engagés devant leurs électeurs et électrices lors des dernières élections en réponse à la consultation de Batera. Tant qu’elle ne sera pas obtenue, aucun hypothétique acquis intermédiaire ne saurait le faire oublier ni y faire renoncer.