On meurt à Kiev pour que l’Ukraine rejoigne l’union européenne. Dans le même temps, jamais l’euroscepticisme n’a autant gagné les opinions publiques.
L’année qui s’ouvre sera bien celle d’élections déterminantes pour le devenir politique de ce continent. Renouvellement du parlement de Strasbourg, le 25 mai, pour, au-delà de sa fonction habituelle, désigner pour la première fois le président de la Commission dont le rôle est majeur dans le fonctionnement d’une institution qui devrait échapper dorénavant au primat des gouvernements nationaux. Chaque famille politique se prépare à la désignation de ce premier Monsieur Europe.
Mais 2014 sera aussi l’année des scrutins d’autodétermination à l’intérieur d’Etats membres, en Ecosse le 14 septembre et en en Catalogne le 9 novembre. Grande première qui pose l’éclatement de l’Union, non par le retrait d’un membre, comme en a fixé le principe référendaire le premier ministre britannique, David Cameron, après les législatives de 2015, mais éclatement par le bas par la sécession interne d’une région-nation. Or, l’Union étant celle des Etas-nations, aucun texte ne prévoit la scission d’Etats membres pas plus que l’adhésion à l’Union d’une entité sécessionniste. Les outils juridiques étant absents, seule la volonté politique prévaudra. Pour l’Ecosse où le référendum, sa date, sa question sont le fruit d’un accord avec Londres, la politique tissera les nouveaux liens avec Bruxelles. D’autant qu’il serait curieux que Londres s’oppose à l’adhésion de l’Ecosse à l’Union, si elle le désire, lorsque les Britanniques entendent, eux, s’en retirer. Il n’en ira pas de même en Catalogne où Madrid s’oppose au principe même de l’autodétermination-scission. La Tchécoslovaquie s’est bien scindée en deux territoires, Tchèque et Slovaque, qui adhèrent aujourd’hui à l’Union. De même l’Union a permis à la Yougoslavie éclatée d’en accueillir ses mini-Etats dispersés.
Le statut des sociétés civiles et des Etats reste encore à définir au sein de l’Union. Nos peuples sans Etat, par leur volonté de prendre part spécifiquement à la construction de ce continent, peuvent écrire un nouveau chapitre de cette belle histoire.
Ressuscité par le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, dans son contrat d’avenir de la Bretagne, en réponse aux Bonnets rouges, la Charte européenne des langues régionales est venue en débat à l’assemblée nationale le 22 janvier. Pour essayer d’entraîner une large majorité des 3/5ème nécessaire aussi au Sénat pour modifier la constitution française, le député breton Jean-Jacques Urvoas a assorti la ratification de la Charte de restrictions renforçant la primauté du français dans la vie publique. Les défenseurs de l’euskara s’en sont heureusement émus allant jusqu’à estimer que le remède s’avérerait pire que le mal et recommandant à nos parlementaires de voter contre si la situation restait en l’état. Si tout le monde adhère à la vigilance de nos organisations euskaltzale et à leur mise en garde, peut-on pour autant renverser la ligne politique ancienne et constante des abertzale sur ce thème? Election après élection n’avons-nous pas exigé des candidats issus de nos rangs tout comme de ceux d’en face, la ratification attendue depuis la signature du gouvernement Jospin en 1999? Comment justifier que ce qui était jusqu’ici une avancée majeure devienne aujourd’hui un objet à combattre, au-delà des sérieuses réserves à exprimer? Les quelques grands axes stratégiques du combat abertzale en Iparralde ne peuvent si aisément faire volte-face en réponse à des contingences parlementaires. Notre sujétion à l’Etat français peut certes appeler des adaptations nécessaires, mais notre rapport de force ne peut s’établir que sur la longue durée, sur des avancées pas à pas. L’introduction en 2008 de notre langue dans la constitution française, au titre de l’article 75 sur le patrimoine, ne change hélas rien à sa survie.
Devrait-on pour autant s’y opposer? La ratification de la Charte européenne —on en est encore fort éloigné à la lecture du débat parlementaire du 22 janvier— procède de la même symbolique positive. La revendication de Seaska pour une législation sur l’immersion scolaire répond à l’exigence présente et est susceptible de mobiliser l’opinion et les élus. Soutenons-la. Même la co-officilisation de l’euskara, qu’il faut maintenir en toile de fond, serait tout aussi inopérante pour la mise à disposition de locaux publics pour Seaska tant que la loi Falloux ne sera pas abrogée. Même l’indépendance d’Euskal Herria ne garantit pas la survie de l’euskara. Au point où nous en sommes dans nos engagements multiformes, sachons agréger le moindre signe, si faible soit-il, délivré par l’Etat français.
Au nom du pragmatisme…
Ce n’est pas la ratification de la charte que refuse aujourd’hui les mouvements qui défendent les langues territoriales. Même si le niveau des engagements signés par la France est faible (et pour la plupart d’entre eux déjà en cours au Pays Basque), la ratification représenterait bien une avancée symbolique et donc politique forte ouvrant la voie -et c’est bien là l’esprit de la Charte- à une ou des lois linguistiques, supports indispensables à des politiques de développement volontaristes. Le problème sur lequel les associations, relayées par certains députés, ont sonné l’alerte est la modification constitutionnlelle proposée (http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0283.asp). Au nom du pragamatisme justement, à savoir l’effet concret prévisible d’une action, au delà des belles paroles entendues (et qui dans d’autres circonstances nous auraient réjouies). Ratifier la Charte au prix de l’inscription dans la Constitution de telles restrictions revient à la vider de toute potentialité pratique, à en faire un objet décoratif, une victoire sans aucun lendemain pour nos langues. Situation paradoxale et tragique après tants d’années de luttes. Faudrait-il pour autant applaudir en regardant ailleurs ? Le pire n’est jamais sûr nous dira-t-on. Certes, mais l’utilisation de l’article 2 contre nos langues nous a appris le pragmatisme. Pragmatiques, nous le sommes par la force des choses depuis des décennies. Nous avons appris à survivre en milieu hostile, à développer nos outils populaires malgré l’absence de loi, à profiter de toutes les opportunités pour avancer, mètre par mètre, à convaincre nos concitoyens et nos élu-e-s qui se sont engagés dans des politiques publiques au niveau communal ou du Pays Basque Nord avec l’OPLB. L’article 2 était déjà un boulet à nos chevilles. De grâce, n’en rajoutons pas un autre avec l’article 53-3 qui nous épuisera pour les 30 ans à venir dans des batailles juridiques sans fin.
Jakes Bortayrou