C’est en discutant avec plusieurs enseignants de la filière publique bilingue que j’ai pris la mesure de la situation dans laquelle se trouve cet enseignement à l’heure actuelle.
Extérieurement, tout va bien : les effectifs sont toujours croissants depuis l’ouverture de la filière en 1983, il existe un concours spécifique de recrutement, des expériences immersives sont mises en place dans certaines maternelles, cet enseignement est de mieux en mieux accepté par les familles, par le corps enseignant …
Je pensais que tout allait bien… Pour autant, en coulisse, les enseignants de basque estiment que leurs conditions de travail se détériorent de plus en plus. Par la détérioration des conditions de travail, ils ne parlent pas de leur situation professionnelle ou de leurs salaires, ils parlent de leur capacité à transmettre dans de bonnes conditions la langue basque. Car ce n’est pas parce qu’ils n’enseignent pas à Seaska que ce ne sont pas des militants de l’euskara ! Ils sont particulièrement inquiets devant le mépris affiché par l’Éducation Nationale à leur égard, aux demandes qu’ils formulent pour améliorer au quotidien l’enseignement du basque. De plus, certains signes ne trompent pas : les taux d’encadrement sont de moins en moins respectés. La formation des jeunes enseignants bascophones à l’enseignement en langue régionale est inexistante. Ils sont formés comme des enseignants monolingues. Le matériel pédagogique, malgré le travail fourni par IKAS, est insuffisant. Sous prétexte de la réforme des rythmes scolaires, l’organisation scolaire a été modifiée sans aucune consultation du corps enseignant, ni aucune réflexion sur les conséquences linguistiques de ces changements … Selon les enseignants bilingues, ce travail de sape mené semble faire parti d’une stratégie : «celle de décourager les vocations en même temps qu’on prive l’enseignement bilingue de tout ce qui pourrait le rendre cohérent, pertinent et performant, bénéfique pour ses élèves, enrichissant pour la société, valorisant pour ses acteurs».
Surpris j’ai donc pris le temps de creuser la question et de se demander pourquoi l’Éducation Nationale est-elle en train de scier la branche sur laquelle est assise la filière publique bilingue ? En rencontrant plusieurs acteurs différents de l’enseignement bilingue, j’ai pu recueillir et analyser différents témoignages. Ces derniers convergent vers trois raisons très différentes mais entrecroisées :
- L’absence de collectivité territoriale spécifique au Pays Basque :
L’enseignement bilingue et, plus généralement, l’enseignement du basque souffre de l’absence d’un contrepoids politique pouvant amener l’Inspection Académique des Pyrénées-Atlantiques et, à fortiori, le rectorat de Bordeaux à s’intéresser davantage au développement de l’enseignement du basque. On ne le sait que trop bien, ce ne sont pas le Conseil Général des Pyrénées-Atlantiques ou le Conseil Régional d’Aquitaine qui vont d’eux-mêmes défendre les intérêts des langues régionales. Cette absence de pression politique laisse à l’Éducation Nationale le champ libre pour se décharger progressivement de cette mission trop encombrante et trop coûteuse que représente la transmission scolaire de la langue basque …
- Le militantisme des parents de la filière publique bilingue :
Il est de plus en plus réduit si ce n’est inexistant. En effet, dès que l’Éducation Nationale n’attribue pas les moyens nécessaires pour la pérennité d’une classe bilingue ou ne nomme pas d’enseignant sur un poste, ces mêmes parents d’élèves ne revendiquent plus ou ne manifestent plus pour obtenir réparation et obliger l’institution a assuré sa mission de service public. En réponse, ils préfèrent désinscrire leurs enfants de la filière bilingue pour les mettre dans la filière monolingue traditionnelle. Cette absence de militantisme pour la langue basque permet désormais au rectorat de l’académie de Bordeaux, de faire passer petit à petit à la trappe les 30 ans d’acquis obtenus par la filière publique bilingue, sans trop de vagues … pendant ce temps là, l’Office Public de la Langue Basque se satisfait à chaque sortie médiatique de son travail quantitatif et qualitatif sensé immanquablement développer la filière bilingue !
- L’échec de l’intégration des écoles immersives au sein du service public :
Bien plus que la concurrence, le grand projet de l’Éducation Nationale a été d’essayer d’intégrer les Ikastola au sein du service public et de substituer les filières immersives par les filières bilingues. Historiquement, cette proposition a fait suite à la publication le 21 juin 1982 de la circulaire Savary mentionnant pour la première fois de manière évasive la mise en place de classes expérimentales bilingues. Seaska avait alors refusé de se fondre dans ce nouveau système mais s’était réjoui de voir que l’offre de l’enseignement du basque s’étendait selon une formule différente de celle proposée par les Ikastola. L’État pensait que la concurrence suscitée par les filières bilingues dans le temps forcerait d’une manière ou d’une autre les écoles associatives à intégrer le service public. Or, l’Éducation Nationale n’avait pas anticipé que l’engagement des parents vis-à-vis de l’euskara ne seraient pas le même dans le bilingue et dans l’immersif. Trente ans après, l’institution s’est faite une raison et a compris que cette intégration ne se ferait plus. Cet échec et la prise de conscience de cet échec ont conduit lentement mais sûrement l’État à se désintéresser des filières bilingues et à plutôt essayer de marginaliser, par d’autres mécanismes, les Ikastola comme on a pu le voir dernièrement.
En conclusion, ne nous laissons pas aveugler. Les militants de l’euskara que nous sommes ne doivent pas se focaliser uniquement sur les difficultés rencontrées par Seaska. La filière publique bilingue, même si l’apprentissage du basque n’y est pas à la hauteur pour certains, est également un enjeu important pour le développement de notre langue et pour qu’un jour nous puissions vivre en basque.
C’est en y portant attention, en étant vigilant et en étant exigeant que les conditions de transmission de l’euskara s’amélioreront dans la filière publique bilingue. Seule une mobilisation menaçant de prendre une dimension politique voire d’éveiller la masse de parents concernés au sentiment abertzale peut contraindre l’État à se réengager durablement et efficacement dans l’enseignement bilingue du basque !
A quelques mois des élections départementales, gageons qu’EHBai portera haut et fort cette revendication !