Le sculpteur José Ramón Anda expose à Ciboure quelques pièces de bois et de bronze.
Sa rationalité sensible, sa rigueur, sa réserve donnent le vertige. La simplicité de ses formes nourrissent équilibre et puissance, elles frôlent le précipice. José Ramón Anda (Bakaiku, 1949) fait vibrer les limites, nous fait goûter la « musique des sphères ». Pas de grands discours, rien de spectaculaire, nulle esbroufe comme nous en abreuvent de trop nombreux artistes qui masquent par leur logorrhée verbale les faiblesses de leurs productions. Nous sommes aux antipodes de ces masses organiques si appréciées des créateurs médiocres. Seules règnent ici en maître pudeur, retenue, gravité, sérénité, exactitude, échelle des proportions. Le feu de la passion qui anime le sculpteur n’a rien de dionysiaque, c’est un Apollinien. Un moine qui a juré fidélité au bois, il avoue être devenu l’« esclave » de ses oeuvres.
Tel un compagnon du devoir de l’ancien monde, José Ramón Anda fait et se tait. Son compatriote le couturier Cristóbal Balenciaga, était un éminent tailleur centré sur la coupe, la tenue d’une étoffe en cohérence avec le corps. Un de ses assistants lui proposa un jour d’ajouter un œillet rouge sur la poitrine du modèle. Il répondit simplement : « Ce n’est pas nécessaire ». Cette nécessaire sobriété, ce jansénisme habitent aussi l’ascète de Bakaiku, pour d’abord dire ce qui importe, loin du divertissement pascalien. Il est l’horloger du «point et de la ligne rapportés au plan». Chaque volume, chaque courbe sont pesés, la divine proportion recherchée comme un absolu. Tension, torsions sont d’un somptueux raffinement, entre maîtrise et effusion de tendresse. La limite à la fois domine ce qu’elle contient et prend des risques, gagne les paris que l’artiste lance. José Ramón Anda passe « de part et d’autre de la limite, il a conscience qu’elle unit et sépare le tridimensionnel plein et le tridimensionnel creux ». L’art des égards, des rapports, est son maître mot, tel le typographe et humaniste Jean Garamond, à l’époque de la Renaissance.
Peu d’angles sont parfaitement droits, ils sont ainsi plus tolérants et enrichissent le dialogue spatial. S’élève alors l’admirable tremblement du temps qui irradie et se répand comme une variation du musicien catalan Frederico Mompou ou une pièce de viole de gambe, interprétée par Jordi Savall.
La galerie Arte Bideak présente quelques oeuvres de bronze à tirage limité. Mais le matériau privilégié de José Ramón Anda est le bois, dont il recueille les essences dans les forêts, autour de son village natal, Bakaiku en Navarre. Les chênes séculaires lui font signe. Son travail de Titan magnifie les veines, le grain, les teintes, les patines. Il se hâte lentement et sans perdre courage, vingt fois sur le métier remet son ouvrage, « polissez-le sans cesse et le repolissez, ajoutez quelquefois, et souvent effacez », peut-il dire, comme Boileau. Et ses bois deviennent. Ils se minéralisent tout en demeurant ce qu’ils sont. Leurs surfaces frissonnent comme celles de la mer. Leurs structures musicales grandissent, vibrent et s’emboîtent avec une ouverture vers l’infini, comme un appel, une énigme.
Amoureux du bois, Anda sent sa respiration et la féconde. Il est démiurge, alchimiste, il transforme la matière et reste à son écoute. Epris de fidélité, son amour dure et se prolonge, se nourrit d’efforts, de gestes répétés, en profondeur comme en surface, il sublime Eros et devient Agapê, Philia.
Le poids de l’œuvre de José Ramón Anda est inversement proportionnel à sa discrétion et au nombre des pièces produites, moins de trois cents. La galerie Arte Bideak nous en offre un aperçu de qualité. Par ce choix, Anda nous parle de bois nus, de bronzes, « fascination et gloire, où se dissimile et en même temps se livre un mystère plus lent, plus vaste et plus grave que le destin d’un espèce passagère (…). Ils n’ont même pas à attendre la mort, ils n’ont rien à faire que de laisser glisser sur leur surface le sable, l’averse ou le ressac, la tempête, le temps ».
+ José Ramón Anda, Beste norabide batean, Galerie Arte Bideak, Anne-Marie et Pierre Bidegain, 2 Pocalette karrikan, Ziburu. Du 21 mai au 10 juillet, ouverte du vendredi au samedi de 11h à 13h et de 16h à 19h, le dimanche de 10h à 13h, ainsi que sur RDV. www.artebideak.com Tél : 06 76 27 16 44 ou bien 06 89 98 65 48. Mail : [email protected]. Un catalogue et deux photos de Patxi Laskarai dans l’atelier complètent la présentation des œuvres.