Patriotisme

Simone Weil & George Orwell

L’Edito du mensuel Enbata

La républicaine Michelle O’Neill vient d’être élue Première ministre d’Irlande du Nord. Hormis la parenthèse de la Direct Rule, ce sont les Unionistes qui avaient occupé ce poste depuis la partition de l’île en 1921, et même les plus réactionnaires d’entre eux depuis 2003. Quel contraste donc que d’entendre la nouvelle Première ministre promettre « un leadership inclusif, qui célèbre la diversité, qui garantit les droits et l’égalité pour ceux qui ont été exclus, discriminés ou ignorés dans le passé ».  Même contraste en Écosse où les sociaux-démocrates du SNP gouvernent les institutions autonomes depuis 2007, alors que de Cameron à Sunak, en passant par Boris Johnson, le Royaume-Uni est dirigé par des conservateurs de plus en plus caricaturaux. Et en Espagne, c’est grâce aux députés basques et catalans que la droite n’a pas pu conquérir la majorité.

Pourquoi les peuples sans État semblent-ils en partie épargnés par la vague droitière et populiste qui déferle sur le monde ? Ils n’ont pourtant pas de spécificité sociologique particulière… En décembre, Txomin Poveda soutenait dans Enbata que le mouvement abertzale parvient à maintenir des connexions fortes entre les questions socio-économiques matérielles et les aspirations à un changement de société vers le féminisme ou l’écologie, parce que quelles que soient leurs trajectoires, ses membres « partagent des outils, des dynamiques et des événements qui créent des expériences communes où les militant·e·s et les sujets qu’ils portent se croisent, infusent et maintiennent le tout dans un ensemble cohérent ». En Irlande du Nord, en Écosse, en Catalogne ou au Pays Basque, c’est donc peut-être bien le sentiment patriotique qui sert de trait d’union entre les gauches et leur permet de proposer un projet attractif qui résiste mieux à la montée de la droite extrême. Concomitamment, le Royaume-Uni, l’Espagne et la France dérivent vers une droite nationaliste, pour reprendre Orwell qui opposait le patriotisme (« un attachement à un lieu particulier et à une manière de vivre particulière ») au nationalisme (une « propension à s’identifier à une nation particulière ou à toute autre entité, à la tenir pour étant au-delà du bien et du mal »).

Quand certains peuples sans État parviennent à construire un patriotisme inclusif, les grands États se contentent souvent d’invoquer « la grandeur nationale », que la philosophe Simone Weil distinguait de l’amour de la patrie, « ce sentiment de tendresse poignante pour une chose belle, précieuse, fragile et périssable ». La « grandeur nationale » se réfère par ailleurs à un passé glorieux et en grande partie fantasmé (le nationaliste « passe une partie de son temps dans un monde imaginaire où les choses se sont déroulées comme elles l’auraient dû », disait Orwell). Alors que les nouveaux arrivants peuvent sans problème être intégrés à un projet patriotique, ils sont inévitablement exclus des références au passé glorieux sur lequel se fonde la « grandeur nationale ».

On comprend les réticences des gauches à s’emparer de ce concept de patriotisme à l’heure où la droite la plus extrême s’en revendique. Mais c’est justement maintenant qu’il faudrait le faire. En pleine seconde guerre mondiale, Simone Weil partageait ce constat : « Le monde a besoin en ce moment d’un patriotisme nouveau. Et c’est maintenant que cet effort d’invention doit être accompli, alors que le patriotisme est quelque chose qui fait couler le sang. Il ne faut pas attendre qu’il soit redevenu une chose dont on parle dans les salons. »

Si les gauches auraient tort d’abandonner le patriotisme à la droite, prenons garde à ne pas nous perdre en chemin. Si nous cessons d’alimenter notre projet abertzale (littéralement, patriotique) par la construction de nouvelles émancipations, de nouvelles solidarités et de nouvelles souverainetés concrètes, nous suivrons la même pente glissante que celle du patriotisme français, qui avait pourtant produit avec le programme du Conseil national de la Résistance, l’une des plus belles avancées du XXème siècle. Plus près de nous, la nouvelle formation politique corse Nazione vient d’annoncer l’abandon du concept de « communauté de destin » forgée par le FLNC et dénonce désormais une « colonie de peuplement ». À l’autre extrême de l’échiquier politique corse, Mossa Palatina définit les piliers de l’identité corse : « la famille, la langue corse, la catholicité ». Ne commettons pas l’erreur de penser que nous sommes à l’abri de tels scénarios

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