Le 7 janvier 2019, l’association Bizi occupait les locaux d’Isard COS à Pau pour dénoncer les graves dysfonctionnements caractérisant l’évaluation de 2 jeunes orphelins guinéens menée par cet organisme pour le compte du Département 64. Le 11 janvier, Bizi demandait, dans un courrier avec accusé de réception à rencontrer, le Département 64 dans les plus brefs délais pour avoir des explications sur certaines accusations portées par cette institution contre l’un des 2 orphelins, Moriba Koivogui, scolarisé au lycée Cassin à Bayonne, et dont le sort sera scellé le 13 février par la Cour d’Appel de Pau. Dans le même courrier, l’association basque demandait également «des explications sur cette situation et sur l’attitude toute particulière du Département 64 face à cet enfant, depuis le début de cette affaire, à savoir depuis le moment où une dame de Garazi l’a amené à l’ASE 64 et l’a ainsi placé sous protection du Département 64. ». Sans réponse sur cette demande de rendez-vous, Bizi a décidé de se rendre malgré tout à l’Hôtel du Département 64 à Pau, rue Pierre Bonnard, ce jeudi 31 janvier à 11H00, bien décidé à avoir des éclaircissements sur cette affaire.
Bientôt un an d’acharnement
Le 21 février 2018, le Département 64 déposait plainte à l’encontre de 2 jeunes mineurs guinéens placés sous sa protection, prétendant qu’ils étaient majeurs, et les faisait incarcérer à la prison pour majeurs de Bayonne.
Il a probablement fait cela dans une volonté d’envoyer un signal fort à ceux qui voudraient se faire passer pour des mineurs afin de profiter des dispositifs de prise en charge pour enfants. Mais il l’a fait, cas unique en France, sans auparavant les évaluer, sur une simple décision de bureau, d’un fonctionnaire n’ayant même pas rencontré les 2 migrants en question…. qui sont en réalité bien mineurs (d’après leur carte consulaire et des évaluations osseuses réalisées par la suite). Précisons ici que les 2 enfants, appuyés par 2 avocats commis d’office, demandaient eux, dès le premier jour, à subir des évaluations médicale et sociale pour prouver leur situation réelle.
Ce fait grave aurait pu se résoudre assez simplement et rapidement. En effet, 15 jours après, la justice ordonnait leur libération provisoire sous contrôle judiciaire, et le 16 avril la Cour d’appel de Pau demandait une évaluation de leur âge et de leur situation. Le 28 juin, le tribunal correctionnel de Bayonne les présumait mineurs et balayait toute la procédure à leur encontre.
Dysfonctionnements en cascade
Mais le Département 64 ne les replaçait toujours pas sous la protection des services d’aide à l’enfance, malgré le jugement du 28 juin, et la juge des enfants ne procédait toujours pas à leur évaluation, malgré la demande de la Cour d’appel de Pau datée du 16 avril. Cette évaluation des 2 enfants n’arrivera que fin septembre, après 4 requêtes officielles des avocats et la menace d’un reportage de BFM TV s’intéressant à cette situation inédite.
C’est le Département 64 lui-même, pourtant en cause dans cette affaire, qui mandatera l’organisme évaluateur alors que ce dernier n’était pas habilité à faire de telles expertises judiciaires (Cf Mediabask et Sud-Ouest des 8 et 9 janvier 2019), et donnera la conclusion de ces 2 évaluations, dénoncées comme ayant violé toutes les procédures d’évaluation fixées par l’arrêté interministériel du 17 novembre 2016 (voir le Dossier d’analyse de Bizi) et celles définies par la convention entre le Département 64 et Isard COS.
Par courrier du 19 octobre 2018 à la juge des enfants de Bayonne, le Département 64 conteste le caractère de mineur isolé des 2 guinéens. Les décisions de la juge des enfants laissent pantois : elle ordonne le placement d’un des guinéens (qui est donc présumé mineur non accompagné), et le refuse au second, Moriba Koivogui, qui risque donc l’expulsion. Appel a été fait de cette décision et le verdict sera connu le 13 février.
Le mystérieux mail de la PAF au Département 64
Les 2 guinéens avaient pourtant les mêmes éléments à leur encontre (les fameux rapports contestés d’Isard COS) et les mêmes éléments en leur faveur : une évaluation osseuse étable par un médecin légiste désigné par la justice concluant qu’on « ne peut pas affirmer leur majorité » et une carte consulaire avec photo délivrée par l’ambassade de Guinée en France, établissant leur identité et leur date de naissance (et confirmant qu’ils sont bien mineurs).
Une seule différence notable différenciait en fait ces deux dossiers. Dans ses courriers du 19/10/2018 à la juge des enfants, la responsable du Département 64 affirmait que Moriba Koivogui « a par ailleurs reconnu être âgé de 22 ans (cf mail PAF) ». Le courrier fait effectivement état, dans la liste de ses pièces jointes, d’un « Mail PAF déjà transmis » par le Département 64 à la juge des enfants.
Cela soulève un problème particulièrement inquiétant. En effet, ce mail n’apparaît pas dans le dossier et n’a jamais été porté à la connaissance de Moriba Koivogui et de son avocat. Au contraire, la lecture du dossier judiciaire démontre que Moriba Koivogui n’a jamais varié dans ses déclarations et a toujours affirmé être mineur, né en 2001. Tous les PV de sa garde à vue à la PAF, à qui l’avait remis le Département 64, en témoignent, sans aucune exception.
5 questions au Département 64
Bizi pose donc 5 questions, d’une particulière gravité, au Département 64 et entend bien avoir des réponses claires de la part de ce dernier :
1) Qui a inventé ce prétendu aveu des 22 ans (qui contredit toutes les évaluations osseuses réalisées sur une main et deux clavicules de Moriba Koivogui) ?
2) Comment se fait-il qu’une telle pièce, prétendant contenir un élément décisif à savoir l’aveu d’une majorité par la personne soupçonnée de ne pas être mineur, n’ait pas été versée au dossier ni portée à la connaissance de l’avocat de Moriba Koivogui ?
3) Que contient exactement ce mail que la PAF a adressé au Département 64 et que ce dernier a transmis à la juge des enfants de Bayonne ?
4) D’autres pièces similaires ont-elles été soustraites de la procédure et dissimulées à la défense de Moriba Koivogui ?
5) Existe-t-il un canal parallèle de communication entre la PAF, le Département 64 et la juge des enfants de Bayonne, concernant les mineurs non accompagnés, contournant les procédures judiciaires normales et échappant à la connaissance de la défense des migrants ?
Bizi se rendra donc ce jeudi 31 janvier à l’Hôtel du Département et demande à y être reçu par un des responsables du Département 64 pour avoir des réponses claires et précises à ces 5 questions. L’association est en outre possession d’un élément nouveau et important, concernant cette affaire qu’elle fera connaître à l’occasion de ce rendez-vous.