On a parlé de séisme et de tsunami. Je ne vois qu’une marée noire. Attention, ne parlons pas de vague fascisante, en tout cas pas encore, mais plutôt de colère, car c’est aussi sa couleur. On la voyait venir de loin, en bleu ciel au départ, comme l’horizon, mais on n’a rien fait pour la ralentir. Bien au contraire, sauf rares exceptions, les grands médias toujours en recherche de sensationnel l’ont constamment courtisée, sollicitée, choyée, célébrée comme une madone ou une Jeanne d’Arc…
Par contre ils n’ont offert qu’une place confidentielle aux élections européennes : il fallait vraiment se tenir aux aguets pour en capter quelques brises légères et fugaces, tandis qu’un vent d’épopée gonflait un grand nuage qui s’est assombri. Pendant ce temps les leaders de la droite et de la gauche officielles étaient le plus souvent aux abonnés absents, et leurs propos évanescents ne laissaient filtrer que des bribes de propos tièdes en faveur de cette Europe dont apparemment ils avaient honte. Depuis des années ils en fixaient la direction politico-économique dans le conclave des 28 chefs d’Etat et de gouvernement, mais revenus chez eux ils se défaussaient sur « Bruxelles » et sur « les technocrates » des retombées impopulaires de leurs décisions. Ils nous ont informés le moins possible de ce qu’ils faisaient là-haut, tout au contraire ils propageaient eux-mêmes les germes contagieux de l’euroscepticisme. Ils ont bien préparé leur Bérézina !
« …la stratégie européenne
ne doit pas se limiter
à une foire d’empoigne
assortie d’une stricte comptabilité. »
Le même vent ténébreux a soufflé, en plus soft, sur la Grande Bretagne. Sera-t-il entendu là-haut, au sommet de l’Europe, autrement que par une réprobation scandalisée ? Les grands architectes ultra-libéraux comprendront-ils enfin que la stratégie européenne ne doit pas se limiter à une foire d’empoigne assortie d’une stricte comptabilité ? L’Allemagne verra-t-elle enfin qu’elle ne doit plus engluer ses partenaires dans une gestion avaricieuse de vieille rentière sans enfants ? Un autre souffle est nécessaire pour relancer le navire de l’Europe embourbé dans le mazout : un nouveau dynamisme, avec des chantiers communs comme au départ, un fonctionnement plus simple et transparent, une claire répartition des pouvoirs entre les Etats et les institutions européennes, une convergence fiscale et sociale, plus de solidarité face à l’extérieur, une information régulière des citoyens… Je ne dis là rien d’original, mais çà urge ! De plus il faudra bien s’atteler sans trop tarder à la démocratisation des institutions européennes à peine ébauchée lors de ces élections au Parlement.
Pour le moment la France apparaît comme la Princesse capricieuse de l’Europe. Elle pilotait le jeu politique jusqu’à la réunification allemande. Dès lors elle est passée copilote et çà la vexe. Elle est aussi l’enfant gâtée, celle qui se plaint le plus de l’austérité, bien qu’elle la subisse beaucoup moins que les autres Etats du sud de l’Europe. Mais la fièvre est là, rien ne sert de cacher le thermomètre. Va-t-on refaire 1933 à front renversé, la France jouant cette fois le mauvais rôle et l’Allemagne fermant les yeux ? Certes, il ne s’agit pas de diaboliser systématiquement un parti populiste dont les critiques sont souvent justes et qui s’applique à civiliser son idéologie. Mais l’enfer est, paraît-il, pavé de bonnes intentions. On le sait déjà, il n’y a pas d’issue aux deux bouts de l’arc politique. Ils mènent à l’impasse et là se cache le diable, avec la tentation de forcer à tout prix le passage et de soumettre tout le monde au nouvel ordre salvateur.