Pauvre Europe, si peu aimée, si diffamée, si éloignée de son idéal, de nouveau réduite au marché commun initial, mais privé de ses garde-fous d’avant l’Union politique par le triomphe du néo-libéralisme : préférence communautaire, politique des prix agricoles, quotas laitiers sont abolis. C’est la foire d’empoigne, la concurrence déloyale entre des états membres tirant tout vers le bas : salaires, qualité des produits, écologie, fiscalité… Entre deux croche-pieds réciproques, ces états décident entre eux de la politique européenne, puis se défaussent hypocritement sur un mythique pouvoir bruxellois de ce qui ne va pas en Europe : par un jeu de billard pervers, celle-ci est devenue la chèvre émissaire de tous nos maux.
Cette Europe trahie et entravée reste malgré tout un rare espace de paix, et de plus le principal ensemble économique du monde, avec une monnaie forte, trop forte même pour les exportations.
A mon avis l’Union Européenne n’est pas près de se défaire, parce qu’aucun de ses états n’a intérêt à la quitter, même pas la Grande-Bretagne, mais la majorité de ses électeurs en a décidé autrement, et quand la bière est tirée il faut la boire avant qu’elle tourne à l’urine tiède. Certes la montée des populismes national-étatistes est un phénomène inquiétant qui rappelle la montée des fascismes dans l’entre- deux guerres mondiales, mais pour le moment le plus grave à mon sens est l’immobilisme de la politique européenne qui ressemble fort à de l’impuissance.
On ne régresse pas, mais on n’avance pas non plus, on reste au milieu d’un gué dangereux, comme embourbés, sans ambition ni perspectives communes. Les projets idéalistes du président français Macron tombent dans le vide, notamment parce que la droite allemande n’a pas envie de bouger. Elle se trouve à son aise dans le statu quo actuel, solidement assise au centre de l’Union, profitant bien de son voisinage à l’est avec les états semi-développés de l’ex-empire soviétique aux salariés peu exigeants. En dehors d’une industrie privilégiée, l’Allemagne a aussi de nombreux laissés pour compte : les employés du grand commerce par exemple sont très mal payés, mais pour le moment ces nouveaux travailleurs pauvres se taisent, contrairement aux brexistes anglais et aux gilets jaunes français. S’ils se mettaient à bouger, ça ferait du bien à tout le monde par un effet d’entraînement, car un état ne peut pas s’en tirer tout seul, pas plus la France que la Grande-Bretagne : au temps de Karl Marx déjà, le socialisme dans un seul état était pressenti comme un rêve dangereux ; au mieux ça donne le Venezuela et sa gabegie aggravée par le sabotage USA, au pire l’Allemagne nazie et son prétendu socialisme national assis sur des esclaves au-dedans puis au-dehors…
Alors que faire ?
Pour le moment pas question d’aller vers ces Etats-Unis d’Europe rêvés par les pères fondateurs et désirés par tous les fédéralistes, suivant la prophétie de Victor Hugo.
L’heure est au nationalisme des états. L’alternative est dans un bricolage pragmatique. Par exemple des progrès viennent d’être réalisés dans la normalisation du statut des travailleurs détachés et des camionneurs ; il est question aussi d’un SMIC européen… A court terme cette politique des petits pas semble être la seule possible, alors qu’il y a urgence, et même extrême urgence dans certains domaines : harmonisation sociale et fiscale, écologie…
A court terme
la politique des petits pas
semble être la seule possible,
or on est dans l’urgence…
Les efforts actuels restent très insuffisants, tant ceux des états que ceux de l’Union Européenne.
Autre problème brûlant, celui des immigrés, et tout d’abord celui des réfugiés politiques. Là aussi, là plus qu’ailleurs, le désaccord règne entre les états membres, et l’on ne voit pas comment l’Europe pourra faire face à ses responsabilités conformément aux valeurs humanistes qu’elle revendique.
La solution est de modérer les migrations à leur point de départ en aidant les populations concernées à développer leurs ressources par une sorte de plan Marshall européen négocié avec les gouvernements africains. Le nouveau Parlement de Strasbourg saura- t-il réunir une majorité progressiste pour donner un peu de cohésion et de dynamisme à notre coalition paresseuse d’états égoïstes ? On ne peut que le souhaiter, sans trop rêver.