Les tueurs de la République

TueursRépubliqueAssassinats et “opérations spéciales” des services secrets français, un livre présente aujourd’hui l’ensemble de ce type d’activités en France et dans le monde, depuis 50 ans. La République française si fière de ses valeurs de liberté, de fraternité et autre patrie des droits de l’homme apparaît sous son vrai visage, celui de la Raison d’Etat qui bafoue l’Etat de droit. Pour la défense de ses intérêts.

François Hollande a toujours près de lui la liste des personnes à éliminer. Comme Barack Obama fut très surpris d’avoir à décider —tous les matins en arrivant dans son bureau— de la liste des individus à abattre par les services spéciaux. Le livre de Vincent Nouzille présente la synthèse des actions armées clandestines réalisées à l’initiative des services français, depuis plusieurs décennies, aux quatre coins de la planète: Algérie, ex-Yougoslavie, Liban, Nouvelle-Zélande, Congo, Allemagne, Guyanne, Mali, Nouvelle-Calédonie, Espagne, etc. L’objet de ces opérations est l’élimination d’opposants dont les activités vont à l’encontre des intérêts de la France, la préservation de son influence dans ses colonies actuelles et dans son ancien empire colonial. En pratiquant un terrorisme d’Etat et avec des moyens techniques et humains considérables: face à la rébellion et à la “guerre du pauvre”, une grande puissance telle que la France se donne les moyens d’agir. Aujourd’hui, nous en sommes sur maints théâtres d’opérations à la bouteille de gaz d’un côté, et de l’autre au drone commandé à des kilomètres de distance. La disproportion est énorme. Souvent sans que le résultat soit au rendez-vous.

Si vous échouez, je vous désavoue

Ces activités secrètes mises en oeuvre au nom d’une raison d’Etat changeante et minée par des querelles de clochers, des rivalités, ou “de sombres feuilletons de barbouzerie”, conduisent à des dérapages. La “guerre sale” est bien présente au quotidien. Les épisodes de l’assassinat d’Eloi Machoro, leader indépendantiste canaque, abattu au fusil à lunette par les services français, comme l’épisode de la grotte d’Ouvéa où les hommes de la République abattent froidement une dizaine de prisonniers canaques désarmés, sont dans toutes les mémoires. Mais c’est l’attentat contre le bateau écologiste Rainbow Warrior qui traumatisera le plus les services français, dans la mesure où un innocent y perdit la vie et que toute l’affaire fut dévoilée en détail.

Il n’y a rien de pire pour “les tueurs de la République” que la publicité. Le vocabulaire utilisé officiellement pour qualifier leur action est assez significatif: “nettoyage”, “neutralisation”, “cible de haute valeur”, “opération de pacification”, “intervention chirurgicale” ou encore “ops H”.

Quant aux ordres du pouvoir politique censé assumer en cas d’échec, il n’y en a pas. Aux demandes d’autorisation de tuer qui lui sont présentées par le directeur de la DGSE, François Mitterrand ne disait jamais oui ou non, mais répondait par un sibyllin : “Si vous l’estimez utile”, ou bien par : “Si vous le jugez nécessaire pour le service” ; parfois assorti d’un : “Si vous échouez, je vous désavoue”. Une attitude qui répond en écho à celle de Felipe Gonzalez dont les ordres ou la responsabilité n’ont jamais pu être prouvés sur le plan judiciaire dans les attentats du GAL.

Les opérations Homo ou Alpha qui désignent les assassinats ciblés sont le fait d’une structure ultra clandestine. Ses agents savent qu’ils ne seront pas reconnus en tant que tels ou soutenus en cas de pépin : aucune consigne écrite, aucun rapport de mission, aucune comptabilité. Les actions peuvent être maquillées en crimes crapuleux. Ces hommes agissent sous de fausses identités, se faisant passer pour touriste, agent de sécurité, membre d’un ONG humanitaire, cadre expatrié d’une entreprise, etc.

La mission est de tuer sans laisser de trace et surtout de ne pas se faire prendre. S’ils se font arrêter, la DGSE les laissera tomber, ils pourront être poursuivis comme des délinquants ou des criminels.

Aux demandes d’autorisation de tuer
qui lui sont présentées par le directeur de la DGSE,
François Mitterrand ne disait jamais oui ou non,
mais répondait par un sybillin :
“Si vous l’estimez utile”.

Le GAL, ça peut toujours servir

Un épisode récent intéressera le lecteur abertzale qui lira un chapitre fort détaillé avec délice. Le 18 avril 2002, deux tueurs Alpha en mission (ils ne savent jamais au départ s’il s’agit d’un entrainement ou d’une action réelle) sont arrêtés par les Mossos d’Esquadra, dans le cadre d’un banal contrôle sur l’autoroute en direction de Barcelone. Dans le coffre de leur Audi, les policiers catalans découvrent un étrange chargement : un pistolet Ruger de calibre 22 équipé d’un silencieux et d’une visée laser, un fusil 7,62 doté d’un silencieux, une mire télescopique, un tripode, un GPS, une boussole, un émetteur récepteur, un téléphone portable, un appareil photo, etc. Ils seront incarcérés sur ordre d’un juge catalan et resteront en prison jusqu’au 18 octobre 2002. L’affaire se poursuivra après leurs six mois de prison avec la nécessité d’obtenir du magistrat un non-lieu. D’où un casse-tête entre les deux pays, le juge catalan se montrant peu coopérant face aux interventions aussi bien françaises qu’espagnoles. Rencontres pour “éclairer” le juge, visites, négociations au niveau ministériel se multiplient. Paris menace Madrid de remettre en cause sa bonne coopération antiterroriste. Finalement tout rentrera dans l’ordre lorsque le général Rondot, patron de la DGSE, présente aux Espagnols un argument-massue : la police française détient des dossiers très épais sur les activités du GAL en France montrant que ces commandos avaient des complicités jusqu‘au coeur de l’Etat espagnol. Comme quoi, le GAL ça peut toujours servir.

Choc de civilisation et opinion publique

TueursL’importance du renseignement : ce n’est pas l’objet principal du livre centré sur les services action, mais il apparaît capital. C’est un domaine où l’Etat français excelle. Là encore, les moyens humains et matériels sont énormes : avions, radars, stations d’écoute, sous-marins, commandos infiltrés sur place, etc.

Manuel Valls ne s’y est pas trompé : pour lutter contre le terrorisme, le projet de loi sur le renseignement présenté le 19 mars en conseil des ministres légalisera un certain nombre de pratiques policières illégales : sonorisation de véhicules, d’habitations, installation de caméras et de balises de géolocalisation, consultation d’ordinateurs et des messageries sur internet, utilisation des IMSI-catchers etc. Plus besoin de l’accord d’un juge, une simple autorisation administrative suffira. Loi taillée sur mesure pour les services secrets, elle vise à couvrir les méthodes de la DGSE et légalise une surveillance de masse sur internet (1).

Le livre de Vincent Nouzille donne une idée de l’ampleur des techniques mises en oeuvre par un grand Etat occidental au service de sa politique. Il montre aussi combien l’engagement dela France est ancien, en particulier autour du bassin méditerranéen et en Afrique, face à l’adversaire musulman. Certes, nous ne sommes plus au temps des croisades et du siège de Malte, mais le conflit armé est toujours là depuis des siècles.

La disproportion des forces en présence est criante. Face à un adversaire misérable, sous équipé sur le plan technique, peu ou mal formé et qui improvise, le rouleau compresseur occidental fait son oeuvre : corps d’élite trié sur le volet et surentrainé, technologies dernier cri pour la collecte de renseignements, instruments d’analyse, armement hypersophistiqué.

Deux mondes s’affrontent. On se croirait revenu au temps de la conquête du Dahomey par le général français Alfred Dodds entre 1892 et 1894. Les Blancs veulent dominer leur pré-carré, en exploiter les richesses économiques, imposer leur modèle culturel et linguistique, leur système d’organisation politique. Ce rapport de force en faveur de l’Occident existe depuis la révolution industrielle, il a débouché sur la colonisation. L’action des services spéciaux se situe dans cette continuité-là. Il s’agit bien sûr d’un choc de civilisation que nie l’Occident. Celui-ci s’avance masqué et se bat au nom des idéaux les plus nobles : la démocratie, l’Etat de droit, l’égalité, les Lumières, etc. Le battage médiatique et le consensus actuel au nom de la lutte antiterroriste est significatif à cet égard (2). Dans toutes les guerres, qu’elles soient révolutionnaires ou conventionnelles, l’état de l’opinion publique et son soutien sont un élément majeur auquel les dirigeants politiques sont très attentifs.

Le journaliste Vincent Nouzille nous offre un livre étayé qui ne tombe pas dans le procès ou le fantasme, les faits sont recoupés, les interviews des acteurs parfois anonymes sont nombreuses.

Il éclaire la face cachée du pouvoir d’Etat. Certes, il s’agit d’une approche écrite par les vainqueurs et avec leurs lunettes, on est toujours à la veille de lire en Occident une histoire du point de vue du faible ou du dominé. Mais tous ceux qui sont engagés dans une lutte de libération nationale y puiseront matière à réflexion.

(1) Ces mesures de surveillance seront mises en oeuvre “en cas d’urgence absolue” par le premier ministre. Les Basques connaissent bien cette expression, la procédure d’expulsion “en urgence absolue” ayant été abondamment utilisée à notre encontre par le pouvoir.

(2) Un attentat islamiste de plusieurs morts fait la une des médias occidentaux. Mais personne ne parle du rapport britannique Reprieve qui nous indique que 98% des attaques de drones sont civiles. Pour un terroriste atteint, 28 civils, femmes et enfants compris sont tués. 1147 personnes, y compris femmes et enfants ont été tués dans des opérations visant 41 hommes. Une bonne moitié des cibles seraient encore vivantes. Sur cette boucherie, pas d’images, pas de manifestation, seuls le silence, l’indifférence.

*Vincent Nouzille: Les tueurs de la République, assassinats et opérations spéciales des services secrets, éditions Fayard, Paris, 350 p. 20€

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