Les revendications des Touaregs (III) Le Niger

L’Histoire s’est accélérée pour les Touaregs. Vainqueurs d’une armée malienne déliquescente, ils s’emparèrent en avril 2012 du nord du Mali pour le perdre quelques semaines plus tard au profit de formations islamistes à leur tour délogées militairement par la France. J’avais consacré mes deux dernières chroniques au mouvement identitaire touareg du Nord Mali, à l’origine de ces développements spectaculaires. Mais avec environ 1,5 million de Touaregs pour une population nigérianne estimée à 16 millions d’habitants, c’est au Niger que l’on trouve la plus forte communauté touareg. Tout comme au Mali, l’Etat central s’y est affronté à plusieurs reprises aux Touaregs, en 1990-95 puis en 2007-09. Si la situation y est aujourd’hui relativement pacifiée, elle n’en demeure pas moins explosive et l’afflux de rebelles maliens en déroute pourrait déstabiliser le pays. Un scénario catastrophe pour le Niger, mais aussi pour la France qui a besoin de l’uranium nigérien pour faire tourner ses 58 réacteurs nucléaires…

Un employé de la mine d'uranium à ciel ouvert exploitée par Areva dans le désert de l'Aïr au Niger.
Un employé de la mine d’uranium à ciel ouvert exploitée par Areva dans le désert de l’Aïr au Niger.

L’histoire des Touaregs au Niger est en partie semblable à celles de leurs voisins maliens. La «deuxième rébellion» des Touaregs du Mali est d’ailleurs née en 1990 au Niger en réponse au peu de considération montrée par le pouvoir central envers les populations sahéliennes considérablement affectées par les sécheresses et la réduction des zones de pâturage. En 1995, un accord mit fin au conflit en promettant notamment des mesures de décentralisation et un meilleur partage des revenus miniers. Car si le Niger est le deuxième pays le plus pauvre de la planète, il est aussi le troisième producteur mondial d’uranium. C’est un paradoxe sur lequel on doit se pencher pour comprendre la politique du Niger en général, et la problématique touareg en particulier.

Accord post-colonial inique

La France avait fait mine de s’intéresser au sort des Touaregs en créant en 1957 l’Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS). Cette structure censée leur assurer un espace commun avait pour fonction essentielle d’assurer à la France le contrôle des principales ressources naturelles de l’Algérie, du Mali, du Niger et du Tchad. Ce projet disparut avec les indépendances des colonies subsahariennes en 1960 mais la France parvint à convaincre le Niger de signer en 1961 un accord de « défense » stipulant que l’ancienne colonie devait «pour les besoins de la Défense, [réserver] par priorité [sa] vente à la République française […] et s’approvisionner par priorité auprès d’elle». Cet accord post-colonial inique attisa bien des ressentiments, mais ce n’est qu’en 2007 que le gouvernement nigérien franchit le Rubicon en accordant de nouvelles concessions à la Chine et quelques autres pays. «Rien ne sera plus comme avant au Niger» promettait alors le Premier ministre nigérien qui espérait de ces nouveaux contrats un accroissement de 5% du PNB de son pays.

La première conséquence de cette révision de l’accord de 1961 fut cependant le déclenchement d’une nouvelle rébellion touareg menée par le Mouvement du Niger pour la Justice (MNJ). Constitué essentiellement de Touaregs, ce mouvement dénonçait le non respect par Niamey des accords de 1995 et revendiquait une meilleure répartition des revenus miniers du pays ainsi qu’une meilleure prise en compte de la pollution liée à l’extraction. Rien d’étonnant donc à ce que le MNJ ait attaqué des infrastructures minières, bloquant ainsi brièvement la production d’uranium. Rien d’étonnant non plus à ce que le MNJ ait kidnappé un représentant de la compagnie d’Etat chinoise Sino-U dont l’une des nouvelles concessions était située sur d’importants pâturages touareg.

Implantations d'Areva au Niger : présent au Niger depuis plus de 50 ans, AREVA exploite dans le départementd’Arlit, au nord du pays, deux sites miniers, SOMAÏR et COMINAK, et développe à proximité le nouveau site d’Imouraren.
Implantations d’Areva au Niger : présent au Niger depuis plus de 50 ans,
AREVA exploite dans le départementd’Arlit, au nord du pays, deux sites miniers,
SOMAÏR et COMINAK, et développe à proximité le nouveau site d’Imouraren.

Situation toujours déplorable

Evidemment, la situation était plus complexe. Pour le gouvernement nigérien, c’est la France qui avait suscité cette nouvelle rébellion pour conserver son monopole sur l’uranium. La Lybie était, quant à elle, soupçonnée de collusion avec la France car elle était en pleine négociation avec Sarkozy pour la construction de réacteurs nucléaires et souhaitait donc s’assurer un accès à l’uranium nigérien. Il n’est d’ailleurs pas anodin que Kadhafi se soit fait proclamer «leader des sultans touareg» en avril 2007… Excédé, le gouvernement de Niamey expulsa le directeur général d’Areva France et son chef de la sécurité, ferma les bureaux de RFI et décida même le 1er août 2007 de rompre tous les contrats avec Areva. Ce n’est qu’en réévaluant de 50% les sommes versées au Niger qu’Areva put finalement maintenir ses exploitations.

La grille de lecture du Niger est-elle la bonne? Areva prétend que c’est Niamey qui aurait suscité la rébellion pour pouvoir accuser la compagnie française… Mais une chose est sûre: les Touaregs ont la faculté de déstabiliser la production d’uranium. Le conflit déclenché en 2007 se termina par une scission du MNJ et la signature d’accords de paix en 2009 qui n’ont été que superficiellement respectés. La situation des Touaregs est donc toujours déplorable… et le Niger toujours aussi vulnérable. Le pays est aujourd’hui exposé à un afflux d’armes en provenance de Lybie au Nord, et d’islamistes en déroute en provenance du Mali à l’Ouest. Ces derniers pourraient par ailleurs conclure des alliances avec des militants de Boko Haram en provenance du Nigeria, à la frontière sud du pays. Au vu de ce contexte, Niamey fait tout pour apaiser les populations touareg, promettant par exemple un plan d’aide de 2,5 milliards de dollars. C’est énorme pour un pays dont le PIB s’élevait à 6,5 milliards en 2011 ; mais c’est peu par rapport aux 12,2 milliards de chiffre d’affaire d’Areva en 2012. Le Niger souhaite donc renégocier avec la compagnie française ; pas sûr que ce soit une très bonne idée pour cette dernière de se montrer pingre…

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