Faiblesse militaire, désorganisation politique et dissensions internes ont eu raison des principales rébellions touaregs que le Mali a connues depuis son indépendance en 1960. J’avais dans ma dernière chronique retracé le contexte et l’histoire des « trois rébellions touaregs » de 1963-64, 1990-95 et 2007-09 qui furent autant d’échecs. La montée en puissance de l’islamisme radical, l’afflux d’armes en provenance de Lybie et une meilleure organisation politique ont permis une « quatrième rébellion » d’une ampleur inédite, et qui a indirectement précipité l’intervention militaire de la France au Mali.
Partant du constat que l’absence d’une organisation exclusivement politique était extrêmement dommageable, plusieurs jeunes du Nord Mali fondèrent le 1er novembre 2010 le MNA (Mouvement National de l’Azawad, le territoire du Mali revendiqué par les Touaregs). Cette organisation prétendait « défendre et valoriser la politique pacifique pour […] recouvrer tous les droits historiques spoliés du peuple de l’Azawad ». Une telle manifestation pacifique des revendications touaregs était inédite, mais l’Etat malien n’a su que lui opposer la répression habituelle. Cette attitude a conduit les dirigeants du MNA à fusionner en octobre 2011 avec un groupe armé issu de « la troisième rébellion » pour former le MNLA (Mouvement National de Libération de l’Azawad). C’est également à cette période que la chute de Kadhafi provoqua un afflux d’armes et de combattants aguerris. Le déclenchement d’une « quatrième rébellion » était dès lors inévitable.
Tâche des rebelles facilitée
Les premières escarmouches eurent lieu en janvier 2012. Dans un premier temps, cette nouvelle rébellion ne remporta que de modestes succès, mais elle mit en évidence l’incapacité du président malien Amadou Toumani Touré à résoudre la question touareg. Se saisissant de ce prétexte, un groupe de sous-officiers menés par le capitaine Sanogo renversa le président malien le 21 mars 2012. Le premier effet de ce putsch fut de déboussoler l’armée et donc de faciliter la tâche des rebelles qui s’emparèrent des trois principales villes du Nord (Gao, Kidal et Tombouctou) en 3 jours consécutifs. Moins d’une semaine plus tard, le MNLA triomphait : « Considérant que la libération du territoire de l’Azawad est complète, nous proclamons irrévocablement l’indépendance de l’Etat de l’Azawad à compter d’aujourd’hui, le 6 avril 2012 ».
Le MNLA déclare se « situer dans un contexte de laïcité » mais ce n’est pas le cas de tous les acteurs présents sur le territoire de l’Azawad. Des formations islamistes se sont manifestées dans la zone dès 2003 avec l’implantation du GSPC algérien, devenu en 2007 Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), et l’apparition en 2011 du MUJAO issu d’une scission d’AQMI. Une autre organisation islamiste nommée Ansar Dine s’est fait connaître en mars 2012 par l’exécution sommaire de 82 soldats maliens. Dirigée par Lyad Ag Ghali, l’un des principaux dirigeants de l’insurrection de 1990-95, Ansar Dine compte de nombreux Touaregs dans ses rangs, ce qui n’est pas le cas d’AQMI ou du MUJAO. Elle se distingue également de ces formations par un opportunisme pouvant prendre le pas sur les convictions religieuses: selon des télégrammes diplomatiques américains dévoilés par WikiLeaks, Ag Ghali « mise sur tous les acteurs du conflit touareg de manière à maximiser son gain personnel ».
Abandon des revendications indépendantistes
Les rapports entre le MNLA et les islamistes ont toujours été exécrables. De fait, les indépendantistes touaregs se sont bien davantage affrontés aux djihadistes que l’armée malienne. Cela s’explique assez facilement : l’armée, corrompue, partage avec les islamistes les bénéfices du trafic de drogue dont une importante route passe par le Mali. Pour les Touaregs en revanche, la présence de groupes affiliés à Al-Qaïda éloigne toute perspective de développement économique et culturel de l’Azawad. C’est donc sans surprise que l’on a assisté à de violents affrontements entre le MNLA et les islamistes dès l’annonce de la libération de l’Azawad, le 6 avril 2012. Au terme de lourds affrontements, le MNLA perdit Gao au profit du MUJAO le 26 juin, et fut peu après contraint d’abandonner Kidal et Tombouctou à Ansar Dine. Délogé de la plupart de ses positions, le MNLA décida en décembre de se recentrer sur sa lutte contre les islamistes et d’abandonner ses revendications indépendantistes. Et dès le début de l’opération Serval déclenchée le 10 janvier 2013, le MNLA offrit ses services à la France : « Nous sommes prêts à aider […] Nous pouvons faire le boulot sur le terrain. Nous avons des hommes, des armes, et par dessus tout le désir de débarrasser l’Azawad du terrorisme ».
Les différentes organisations islamistes du Nord Mali sont aujourd’hui en position militaire difficile et une partie des troupes d’Ansar Dine a fait scission. Le MNLA sortira-t-il pour autant vainqueur de cet affaiblissement des islamistes ? Ce n’est pas sûr. Cette « quatrième rébellion touareg » souligne le besoin d’un accord politique avec le Mali, mais Bamako ne semble pas disposé à faire de concessions, d’autant plus qu’au Sud du pays, le MNLA est peut-être encore plus détesté que les djihadistes. La meilleure carte du MNLA est sans aucun doute la France qui fait pression pour qu’un tel accord soit signé. En tant qu’ancienne puissance coloniale Paris marche cependant sur des œufs et il faudra que les Touaregs fassent preuve d’une cohésion inédite dans leurs négociations avec Bamako. Faute de quoi ils ne tireront aucun bénéfice de leur rébellion. Bien au contraire, ils se retrouveront une nouvelle fois plongés au cœur d’une guerre civile ethnique…