Les processus souverainistes

Né en 1958 à Elgoibar, Arnaldo Otegi, prisonnier politique depuis cinq ans sous le numéro 8719600510 dans le cadre de l’affaire Bateragune, est l’acteur majeur de la sortie de la lutte armée au Pays Basque.
Né en 1958 à Elgoibar, Arnaldo Otegi, prisonnier politique depuis cinq ans sous le numéro 8719600510 dans le cadre de l’affaire Bateragune, est l’acteur majeur de la sortie de la lutte armée au Pays Basque.

Troisième partie des extraits de l’entretien d’Arnaldo Otegi, leader de  la gauche abertzale, publié dans le quotidien Berria du 27 octobre. Voici ses réponses concernant « Les processus souverainistes» et la “Territorialité du Pays Basque”.

Au niveau de certains peuples d’Europe, les processus souverainistes sont très puissants :  Catalogne, Écosse… Que pensez-vous de la situation que nous vivons ?
Il y a maintenant un peu plus de cinq ans, lorsque nous avons rédigé le document Argitzen, voici ce que nous disions : “aujourd’hui, de nouveaux états pourraient naître, même dans l’Union Européenne, toujours lorsque des majorités sociales larges se mobilisent pour cela”. Il y a peu de temps, l’Écosse nous a prouvé cela, et même si le non l’a emporté, je reste persuadé que nous assisterons à l’indépendance de l’Écosse, bien plus tôt que nous le pensons. Dans l’Etat espagnol, le processus indépendantiste de la Catalogne est en marche, avec ses spécificités propres. Moi, je constate qu’au Pays Basque, nous sommes très en retard sur le travail de base à mener pour une telle démarche, particulièrement du fait que le débat populaire pour dessiner et construire un projet indépendantiste de gauche du XXIe siècle n’a toujours pas démarré.

Vous suivez la situation de la Catalogne de près. Les indépendantistes de Catalogne atteindront-ils leur objectif qui est de créer un Etat souverain ?
Par rapport à nous la Catalogne a mené le débat  évoqué. Elle suit aussi une feuille de route précise et en plus, elle a rédigé le livre blanc de l’indépendance. Et si cela ne suffisait pas elle
dispose de milliers de volontaires qui se sont mis à faire du porte-à-porte pour convaincre les gens de la nécessité de l’indépendance. Ce processus sera confronté à de grosses difficultés,
d’énormes embûches, mais, pour moi il est irréversible. Et il est irréversible parce que le processus, à la base et dans son développement, n’est plus aux mains des partis et a été repris par le peuple. Finalement, le seul protagoniste du processus c’est le peuple. Nous devons tirer des leçons de tout cela.

Gure Esku Dago est en train de rassembler des abertzale de différentes tendances et de nombreux acteurs favorables au droit d’autodétermination. Après cette démonstration de force du 8 juin dernier, êtes-vous optimiste par rapport à ce qu’il pourrait apporter?
La première étape a été spectaculaire. Maintenant, d’autres étapes ont été annoncées et, d’après moi, l’heure est venue de formuler des propositions précises liées à la mobilisation. Ceci étant dit, et même si cela peut paraître un peu audacieux, si j’avais quelque chose à dire aux personnes qui luttent à fond dans ce mouvement, ce serait la chose suivante : ne laissez à personne le droit de s’immiscer dans ce qui revient uniquement au peuple ; que cela revienne au peuple et en aucune façon à un parti.

Le Pays Basque pourrait-il s’engager sur la voie de l’autodétermination sans défaire le noeud du conflit ? Ou pensez-vous qu’il faille tout d’abord résoudre les conséquences du conflit ?
À l’époque lorsque nous avions fait part de notre changement de stratégie, nous avions divisé, de manière assez mécanique, le processus sur deux niveaux : tout d’abord résoudre les conséquences et ensuite viendrait le temps de surmonter le conflit politique. Avec du recul je crois qu’à cette époque le schéma de négociation classique était encore très prégnant chez nous, ou tout du moins chez moi. J’ai moi-même ma propre autocritique à faire à ce sujet. Ce schéma nous a fait mener le processus dans des termes très fermés et très mécaniques, au lieu de le comprendre en des termes dialectiques et dynamiques. C’est pourquoi je dirais que nous aurions dû percevoir le processus dans son intégralité.

Donc, il faut se mettre à travailler à la souveraineté.
S’engager sur la voie de la souveraineté, est non seulement possible, mais en plus, indispensable. Pourquoi ? Car cela pourrait bien être la voie la plus efficace et sûrement la seule qui obligerait à trouver des solutions tant au niveau des conséquences du conflit que du secteur politique. Nous devons fixer l’axe de notre stratégie générale sur le processus d’indépendance et y insérer les conséquences du conflit. Et surmonter unilatéralement les éléments du calendrier qui ne peuvent se surmonter que de manière unilatérale, afin de renforcer le processus indépendantiste. C’est là que se situe la tâche des prisonniers. C’est-à-dire que c’est là que nous devons placer les avancées que nous faisons en faveur du processus indépendantiste et de son développement, pour donner une solution graduelle à ce problème, mais d’un point de vue général et global.

Territorialité du Pays Basque

Certaines personnes considèrent qu’il est contradictoire ou impossible d’associer territorialité et indépendance, en arguant du respect des différences de rythme entre chaque province ou cadre administratif. Sont-ils incompatibles ?
Ce genre de débat engendre de la méfiance ou de la crainte dans certains secteurs et, dans une grande mesure, cela peut être compréhensible. Moi par contre, ce genre de débat me réjouit. Pourquoi ? Et bien parce que, pour une fois, cela démontre que nous sortons de la nécessité de revendication d’un Etat propre et que nous commençons à le matérialiser. Faut-il respecter la compétence de décision des trois cadres administratifs ? Même si, pour nous, l’objectif ultime est clair –un état composé de sept provinces, nous devons être conscients que pour l’atteindre, nous devrons respecter trois espaces de décision : Communauté Autonome Basque (CAB)/Navarre/Pays Basque Nord. Voici donc, entre autres, ce qu’il faut décider au cours de ce débat national et populaire : quelle  est la voie la plus efficace pour arriver à cet objectif en tenant compte des réalités juridico-politiques et des rapports de force différents en présence ? Et je le répète, du fait de l’importance de ce débat et de la gravité des décisions qu’il faut prendre, cela ne peut se faire au sein des appareils de partis. Au contraire, ces décisions doivent être prises par des milliers d’indépendantistes, par le biais d’un processus participatif qui doit être  mené sur l’ensemble du Pays Basque. Sinon, nous nous tromperons.

À quoi donneriez-vous la priorité : à l’indépendance d’une partie du Pays Basque, de l’ensemble du Pays Basque ou bien à la territorialité du Pays Basque Sud ?
La seule chose qu’il faille prioriser et qui a vraiment de l’importance est celle-ci : décider quelle est la voie la plus efficace pour atteindre l’objectif final.

La Navarre pourrait connaître un nouveau contexte politique, car il semblerait que le régime régionaliste navarrais est en train de sombrer. Êtes-vous optimiste ?
Il est évident que le régime mis en place lors de la transition connaît une crise grave, et que des secteurs de plus en plus larges sont favorables à un changement. De ce point de vue
je suis optimiste, mais dans le même temps prudent, car nous ne devons pas oublier que la Navarre constitue un problème d’Etat, et qu’ils feront tout ce qui est en leur pouvoir et
bien plus encore pour sauver le régime.

L’éventualité d’une alternative de gouvernement sans PSN en Navarre vous semblet-elle possible, c’est à dire un gouvernement progressiste qui réunirait EH Bildu, Geroa Bai, Podemos-Ahal Dugu et Ezkerra ?
Madame Barcina n’est pas seulement la candidate de l’UPN, elle est aussi celle du régime. Et donc, elle sait qu’au-delà du soutien de l’UPN, elle bénéficie de celui du PP et du PSOE.
Donc, une alternative sans le PSN est non seulement possible mais elle est en plus indispensable. Les choses en étant ainsi cependant, si le bloc du changement obtenait la majorité, je
suis persuadé que l’Etat, plutôt que d’accepter le changement, optera pour un petit changement et qu’il jouera la carte PSN, pour composer un gouvernement qui sera une alternative
à celui de l’UPN. Sous certaines conditions, bien sûr : isoler EH Bildu et refuser la parole et le droit de décider aux navarrais. Donc attention, lorsque l’on associe le changement uniquement au départ de l’UPN, car lorsque nous parlons de changement nous parlons d’une initiative de plus grande ampleur, tout du moins nous, indépendantistes de gauche.

Quel rôle devrait jouer la gauche abertzale dans cette démarche ?
Une responsabilité historique s’offre à nous, et nous devons agir sans retenue en Navarre, nous rendre compte de l’importance de la Navarre dans notre stratégie nationale. Pour cela, je le répète, la gauche abertzale doit sortir de son petit nous, et s’imprégner d’un grand nous. En plaçant les intérêts des navarrais et de tous les citoyens basques au dessus de nos petits intérêts et en discutant et en décidant en Navarre des voies à suivre et des propositions concernant la Navarre.

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