Dans une situation sociale, sanitaire et économique délicate, les indépendantistes de Nouvelle-Calédonie jouent l’avenir institutionnel de l’archipel.
C’est dans une configuration institutionnelle inédite que la Nouvelle-Calédonie aborde les quelques semaines de campagne avant le troisième référendum d’autodétermination qui se tiendra le 12 décembre prochain.
Pour la première fois depuis les accords de Nouméa en 1998, les indépendantistes président à la fois le gouvernement collégial et le congrès de Nouvelle-Calédonie, les deux principales institutions de l’archipel.
Mais dans un contexte économique, social et sanitaire extrêmement tendu, ces responsabilités ne seront pas une sinécure, comme l’a reconnu l’indépendantiste Louis Mapou juste après son élection à la présidence du gouvernement : “nous arrivons au moment le plus difficile que traverse la Nouvelle-Calédonie depuis ces trente dernières années”.
Dans de telles conditions, il est évident qu’une résurgence des tensions entre les deux principales branches de la coalition indépendantiste FLNKS serait suicidaire. Après avoir fait chuter le seizième gouvernement de Thierry Santa (droite loyaliste), le 2 février et obtenu la majorité au sein du dix-septième gouvernement, l’UNI-FLNKS et l’UC-FLNKS se sont violemment affrontées pour l’élection du président du gouvernement. Pendant 5 mois, ces dissensions ont bloqué la prise de fonction du nouveau gouvernement, le loyaliste Thierry Santa restant en place pour assurer l’intérim. De leur propre aveu les indépendantistes ont fait preuve de “précipitation” en renversant le gouvernement en place, dans un contexte référendaire où leur objectif principal est au contraire de convaincre les indécis de leur aptitude à diriger le pays.
L’élection de Louis Mapou (UNI-FLNKS), le 8 juillet dernier, grâce au désistement du candidat de l’UC-FLNKS, marque-t-elle la fin de ces luttes intestines ? Il est en tous cas clair que la priorité de Louis Mapou est de prouver qu’il est capable de rassembler. Après son élection, la principale formation loyaliste avait refusé de briguer la vice-présidence —qui revient traditionnellement au camp minoritaire— au prétexte que le FLNKS avait “rompu les équilibres institutionnels” en faisant chuter le gouvernement Santa, et qu’il n’était pas question de servir “de caution de la politique qui pourrait être mise en oeuvre dans les prochains mois” alors que “la frange la plus radicale des indépendantistes a pris le pas sur les plus modérés”. Mapou a répondu en saluant “l’énorme travail” de son prédécesseur et en regrettant la décision des loyalistes de ne pas proposer de vice-président, “un mauvais signe à un moment où il faut construire l’avenir”. Mais, deux semaines plus tard, revirement des loyalistes qui ont finalement proposé une candidate à la vice-présidence après avoir “constaté qu’un équilibre a été trouvé dans le partage des responsabilités au sein de l’exécutif”. C’est donc à l’unanimité que le dix-septième gouvernement a été investi le 22 juillet, un indéniable succès pour Louis Mapou.
Front commun
Finalement sortis par le haut de cette épreuve, les indépendantistes ont su faire front commun pour l’élection à la présidence du Congrès, le 28 juillet, en soutenant la candidature du président sortant, Roch Wamytan, de l’UC-FLNKS.
Et c’est, cette fois-ci, le camp loyaliste qui s’est déchiré. La petite formation Eveil Océanien (EO, défense de la minorité wallisienne et futunienne) dont les trois voix sont décisives pour obtenir une majorité, avait promis son soutien aux loyalistes s’ils parvenaient à proposer une candidature commune, mais ces derniers ne sont pas parvenus à s’entendre. EO a donc finalement soutenu l’indépendantiste Wamytan, qui a été réélu. Cet épisode a laissé des traces dans les rangs loyalistes ; une partie de la droite loyaliste avait en effet accepté un compromis proposé par les centristes de Calédonie Ensemble, mais aussitôt qualifié de “diktat” et de “chantage” par Thierry Santa qui estimait que la présidence revenait à sa formation en compensation à son éviction de la tête du gouvernement. Cette attitude est d’autant plus incompréhensible que la droite loyaliste a choisi pour cette troisième campagne un ton beaucoup plus soft que pour les précédentes où le nationalisme français était exacerbé. L’objectif est bien sûr de convaincre les indécis, susceptibles de faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Annie Qaeze, la candidate que proposait Calédonie Ensemble, aurait en ce sens été un atout majeur pour leur campagne. Celle qui se présente comme une “jeune Calédonienne de 32 ans, originaire de la tribu de Wedrumel à Lifou, dernière d’une fratrie de six enfants” aurait probablement plu à une bonne partie de ces “15.000 Calédoniens qui ne sont ni Oui ni Non, parfois Oui parfois Non et dont certains avaient voté Non au premier référendum et ont voté Oui au deuxième”, pour reprendre les termes de Philippe Michel, le secrétaire général de Calédonie Ensemble.
En perdant la présidence du Congrès alors qu’ils avaient une occasion en or de la conquérir, les loyalistes ont laissé les deux principales institutions de l’archipel aux indépendantistes.
Comme évoqué plus haut, cela pourrait se révéler être un cadeau empoisonné. “Les trois grandes priorités, a déclaré Louis Mapou, sont la sortie de la crise Covid- 19, la gestion du Ruamm [assurance maladie, en lourd déficit] et la gestion du budget de la Nouvelle-Calédonie”, qui a dû être fixée en 2021 par la chambre territoriale des comptes.
Pour ne parler que du premier de ces dossiers, la Nouvelle-Calédonie est dans une situation très délicate : si elle a été épargnée par le virus (aucun mort à déplorer à ce jour), la couverture vaccinale n’y est que de l’ordre de 30% et Louis Mapou redoute de “vivre le drame de [ses] frères polynésiens”. Cette crainte est d’autant plus fondée que la Nouvelle- Calédonie s’est préservée du virus en se coupant du reste du monde, mais que des recours ont été récemment déposés pour dénoncer la quarantaine imposée à tous les voyageurs. Pour anticiper l’arrivée inexorable du virus, le gouvernement envisage désormais de rendre la vaccination obligatoire à l’ensemble de la population.
Le Covid permettra-t-il à la campagne référendaire de se tenir normalement ? On ne peut que le souhaiter, tant les enjeux sont importants et complexes. L’Etat a d’ailleurs rendu public en juillet un document détaillé de 104 pages qui précise les conséquences du oui et du non au référendum.
Pour les référendums de 2018 et de 2020, Paris s’était contenté d’un document succinct de trois pages. Un signe que les indépendantistes sont désormais pris au sérieux, ce qui est la moindre des choses, vu qu’ils sont déjà aux commandes…